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La quête selon Pochettino
Si Mauricio Pochettino marche depuis quatre ans sur les pelouses de Premier League, la question de son héritage est désormais posée. Son Tottenham restera-t-il dans les mémoires un groupe excitant jamais primé ? S'est-il perdu dans ses méthodes brutales ?
Un après-midi de novembre, à Londres. Il fait froid, mais Mauricio Pochettino n’en a rien à faire. Ce que le technicien argentin veut avant tout, c’est discuter et se rappeler. Alors, il demande à Eric Dier de venir dans son bureau. Pochettino est un adepte des entretiens individuels avec ses joueurs, et ce, depuis la première fois où il a enfilé un costume d’entraîneur. Ça, c’était en janvier 2009, à Barcelone sous les couleurs de l’Espanyol. C’était écrit, le joueur Pochettino allait un jour franchir la ligne et son ancien entraîneur, Luis Fernandez, expliquait l’an passé qu’il avait l’habitude de passer des heures à « parler tactique avec lui. Il était toujours dans l’analyse, la discussion et, pour un coach, travailler avec des joueurs comme ça, c’est un plaisir. Il a puisé dans tous les coachs qu’il a rencontrés au cours de sa carrière. Sa force, c’est son calme naturel, mais aussi sa volonté de tout comprendre pour tout maîtriser » . Les éléments de compréhension, c’est ce que Mauricio Pochettino veut filer à son joueur en cette fin d’année 2016. Pour ça, l’homme pose un cadre connu et une situation vécue. Retour au 2 mai précédent. L’Argentin est alors avec ses soldats à Stamford Bridge et va vivre la « pire soirée » de sa carrière d’entraîneur. Sa plus grande déception.
Que retient-on aujourd’hui de cette soirée ? Ce supporter de Chelsea qui demande aux Blues de « gagner pour Ranieri » qui est au même moment dans un avion pour tuer son appréhension après le nul qu’il a obtenu avec Leicester la veille à Old Trafford (1-1), ce spectacle jugé par certains comme « le plus honteux » de l’histoire de la Premier League ou tout simplement ce scénario fou au bout duquel Eden Hazard a marché sur les derniers rêves de titre de Tottenham et a fait exploser le salon de Jamie Vardy. Pochettino, lui, veut retenir autre chose et l’explique à son joueur : « Le football était largement différent il y a vingt ans, quand j’étais joueur. Je devais regarder le ballon, mais aussi l’adversaire, car je pouvais recevoir une droite ou un coup. Mais il y avait moins de caméras qu’aujourd’hui. C’était plus dur à jouer.(…)Oui, on doit montrer l’exemple, on n’est pas toujours libre et il y a trop de contrôle. Mais on ne mettra jamais de côté notre caractère. » Oui, la ligne de l’entraîneur des Spurs, arrivé en Angleterre il y a maintenant plus de quatre ans, c’est avant tout ça : se dépouiller.
Osvaldo : « Il vous fait souffrir comme un chien »
Dans les valises de Pochettino à l’Espanyol et à Southampton, Pablo Osvaldo avait imagé la méthode de l’ancien protégé de Bielsa ainsi il y a quelques années : « Il vous fait souffrir comme un chien. Sur le moment, vous le détestez comme vous n’avez jamais détesté personne, mais le dimanche, vous le remerciez, car ça marche. » Oui, la belle gueule de White Hart Lane serait un guide autoritaire, brutal et épuisant. La conquête de l’an dernier s’expliquerait d’ailleurs avant tout sur ce point. En septembre dernier, le gourou de la préparation physique et mentale, Raymond Verheijen, s’était amusé à faucher le technicien argentin comme il l’a fait récemment avec la gestion de Jürgen Klopp en pointant le fait que Mauricio Pochettino « demande trop à ses joueurs à l’entraînement » en s’appuyant sur les fins de saison des équipes de la petite Poche. Lorsqu’il était arrivé à Tottenham en mai 2014, l’ancien défenseur du PSG avait alors fait parler sa personnalité forte et imposé son « intensité » en doublant la dose d’entraînements. Certains joueurs ont alors expliqué depuis qu’il fallait « deux cœurs pour jouer pour lui » et qu’une pré-saison entre ses mains est la pire expérience possible. Ce qui fait que Tottenham arrache presque tout sur son passage lors des premiers mois de la saison avant de se courber lors des dernières semaines, ce qu’il s’est passé en mai dernier dans un final où Arsenal n’aurait jamais dû pointer devant les Spurs au classement. Sur ce point, Pochettino a du Bielsa en lui, et quand on connaît leur histoire commune, rien n’est surprenant, même si le premier aime affirmer qu’il a « développé ses propres caractéristiques et son propre jeu » , ce qui est vrai.
L’exigence de Pochettino est sur et en dehors du terrain. Sur, son système est brutal, rigide et explosif. En dehors, il serait avant tout invivable. Interrogé il y a quelques mois, Kyle Walker détaillait la balance recherchée entre « une rigueur physique, basée sur des séances attachées à une plate-forme avec une corde élastique où plus on met de puissance, plus on est ramené vers cette plate-forme, histoire de travailler contre sa propre force » et un développement forcé d’un groupe jeune qui n’a encore rien gagné. Si l’Argentin est comme ça, ce serait avant tout pour ça : pour apprendre à ses soldats l’art de la guerre, le sens du combat et la notion de dépassement de soi. Un concept qu’il a au fil du temps réussi à installer dans les têtes à White Hart Lane où il estime son équipe « intouchable » grâce à cette communion particulière avec le public. Et comment lui donner tort ? Cette saison, les Spurs ont gratté dix victoires sur douze possibles à domicile, auxquelles on ajoute deux nuls et donc aucune défaite. Mieux, Tottenham y a maltraité le Chelsea de Conte début janvier (2-0) et le City de Guardiola en octobre (2-0). Un jour où le Catalan avait simplement expliqué qu’il considérait son homologue comme l’un des « meilleurs entraîneurs du monde » , ce qu’Antonio Conte a appuyé il y a quelques semaines.
Cette saison serait alors la bonne pour Tottenham qui cavale derrière un titre de champion d’Angleterre depuis 1961 ? Pochettino y croit encore, mais Chelsea est presque déjà trop loin, trop fort et bénéficie d’un calendrier plus favorable. À son arrivée en Angleterre, l’entraîneur argentin était entouré de scepticisme alors qu’il avait été choisi pour remplacer l’intouchable Nigel Adkins à Southampton. La légende des Saints, Lawrie McMenemy, avait alors demandé tout haut ce que ce Pochettino connaissait du jeu anglais. Mais le fils de Murphy a appris, a travaillé son approche sans mettre de gants sur ses mains de fer. On le dit prêt à prendre la succession de Luis Enrique à Barcelone, lui n’en a rien à carrer, car il veut laisser avant tout sa trace à Londres, au-delà des regrets éternels d’un groupe qui était – et reste encore par moments cette saison – le plus beau à voir jouer l’an passé. Le foot n’a pas de place pour la déception et ne retient malheureusement trop souvent que les vainqueurs. Mauricio Pochettino a trois mois pour écrire une ligne de palmarès sur les crampes de ses joueurs et la sueur de leur front. L’erreur n’est plus permise et Anfield, où Tottenham a rendez-vous samedi après-midi, doit être la première marche.
Par Maxime Brigand
Propos de Luis Fernandez recueillis par MB.