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La presse espagnole et le grand n’importe quoi du mercato
Entre Zlatan Ibrahimović, Thiago Silva, Gareth Bale ou de nombreux noms moins ronflants, la presse espagnole a de quoi se nourrir en ce mercato. Comme tous les ans. Car au pays de Cervantès, on se fie bien de vérifier à 100 % son information. Mode d’emploi.
C’était le 17 juillet dernier. As, fer de lance du journalisme pro-madrilène, avance une Une tapageuse : « Ibrahimović veut suivre Ancelotti » . Dans les jours qui s’en suivent, le concurrent Marca accrédite la thèse d’un départ du meilleur joueur de Ligue 1 pour la capitale espagnole. Illico, Mino Raiola, agent du Suédois, discrédite l’information en affirmant dans les colonnes italiennes du Corriere dello Sport qu’Ibra « est à 100 % au PSG » . Dans un registre plus catalan, le mini-feuilleton Thiago Silva au Barça a lui aussi connu ses informations diverses et contradictoires. Autant de tapages médiatiques pour que, deux semaines plus tard, L’Équipe annonce la prolongation imminente des deux stars du PSG. Exemples parmi d’autres, la France du football a semble-t-il découvert les joies du mercato made in Spain avec ces deux dossiers. Pourtant, chaque été, le refrain est bien connu outre-Pyrénées. Deux mois durant, la période des transferts ouvre les portes d’un grand n’importe quoi. Entre spéculations, rumeurs, et informations, difficile de décrypter un tel méli-mélo. Bienvenue dans le charmant monde du mercato espagnol !
« 50 % d’informations véridiques »
La première spécificité espagnole est le nombre très important de journaux. Loin du monopole français de L’Équipe, la presse espagnole regorge de parutions sportives. Ainsi, en plus des quatre mastodontesMarca, Mundo Deportivo, Aset Sport, les quotidiens régionaux et nationaux font la part belle aux sports, football en tête. S’y ajoute les programmes télévisuels et radiophoniques. « Beaucoup de clubs espagnols ont beaucoup de journaux qui les suivent quotidiennement. Pour un même club, on peut en avoir trois ou quatre, nous explique Eric Olhats, recruteur pour la Real Sociedad. Si vous dites tous les jours que tout va bien, plus personne n’achète le journal » . Car loin du Real Madrid et du FC Barcelone, la presse pullule également. Eric Olhats, toujours : « Dans cette logique, chaque journal doit essayer d’en dire plus que ses concurrents. Il faut du titre aguicheur, il faut avoir des photos clinquantes. Tout ça est une histoire de business, de vente » .
Cette diversité dans les titres de presse implique, logiquement, un très grand nombre de journalistes. Et donc, autant d’égos. François Gallardo, agent français basé à Barcelone, nous éclaircit : « En Espagne, c’est la folie entre les journalistes. Les jalousies sont exacerbées. Ils sont tous « barjots » ! Il y a des personnes qui sont capables d’inventer de toute pièce une histoire pour essayer de prendre la place d’un de leur confrère. Et tout ça en sachant que leur information est totalement bidon » . Une version qui ne convainc pas forcément Dani Hildalgo, journaliste à As, pour qui « toutes les informations ne sont pas nécessairement vraies, ni fausses, mais elles répondent toutes à des intérêts » : « On ne parle pas non plus de la presse anglaise ou turque, dans lesquelles des choses peuvent être inventées de toute part, mais ici on suit des rumeurs » . Dans le langage de François Gallardo, « 50 % des rumeurs des journaux espagnols ne sont pas fondées » .
Allan Nyom : « Tu t’y fais »
À l’instar des mercatos anglais, français, hongrois ou maltais, les différentes rumeurs, fondées ou pas, répondent à des intérêts. Des intérêts qui peuvent être celles d’un club, d’un agent, ou même d’un joueur. « Ici, c’est un jeu de poker-menteur entre tous les acteurs, analyse le même François Gallardo. Et le fait que la plupart des joueurs veulent venir jouer en Espagne n’arrange rien. Je ne connais quasiment pas un joueur qui dise non. Que ce soit au niveau footballistique ou économique, ça reste tout bon pour le joueur. » Dani Hidalgo, suiveur de l’Atlético de Madrid, nous livre comment une information peut lui revenir aux oreilles : « Ce qui peut arriver c’est qu’un directeur sportif te dise : « Bon, écoute, on cherche un milieu défensif qui joue en Allemagne et à qu’il reste deux ans de contrat. » Ensuite, on fait la recherche tout en sachant que peu de joueurs sont dans ce cas. Mais la marge d’erreur existe bel et bien. » D’où les erreurs d’interprétation d’une piste à suivre. CQFD.
Mais le plus déstabilisant reste pour le joueur. Marchandise le temps de deux mois, il est la cible de bien des rumeurs. Allan Nyom, joueur de Grenade depuis 2009, explique une situation qui est loin d’être uniquement la sienne : « Tôt ou tard, en Espagne, ça t’arrive que ton nom soit cité dans une information qui est totalement fausse. On t’invente, sans que tu sois au courant, un club qui te veut, ou une rénovation qui n’existe pas. Par rapport à la France, cela est beaucoup plus accentué. D’une certaine manière, cela montre qu’ils tiennent plus au football. Au bout d’un moment tu t’y fais. » Pour Dani Hidalgo, « aujourd’hui, les clubs sont tellement fermés, qu’il n’y a pas 30 000 solutions pour sortir des informations » . Du coup, le moindre semblant d’information devient de suite un scoop. Par exemple, « le cas Zlatan ne relève pas du mensonge » . Nous voilà rassurés !
Par Robin Delorme, à Madrid