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La poudre de Perin-pimpin
Gigio pour succéder à Gigi ? L'histoire est belle, pour sûr, mais rien n'est encore plié. Car si Buffon a fermé le store avec la sélection, la guerre des goals est lancée en Italie, et Donnarumma ferait bien de se méfier de ce Mattia Perin qui ne lâche pas sa roue.
Question compliquée que celle de l’héritage. Avant de claquer la porte, le mourant doit organiser la distribution du magot au risque de brouiller des frères, de lancer une guerre au sein de la famille, et d’envoyer ses descendants devant les tribunaux. Heureusement que dans le sport, la chose est moins dramatique. D’abord, personne ne passe l’arme à gauche. Ensuite, au moment de la fin de carrière d’un grand champion, le jeune retraité n’a pas à se soucier de trouver des héritiers puisque les médias le font à sa place. La nature ayant horreur du vide et les journalistes encore plus, il faut sans cesse trouver « le nouveau » . Le nouveau Michael Jordan, le nouveau Pelé, le nouveau ceci, le nouveau cela.
Au fil des années, la France a appris à rire de l’interminable liste des « nouveaux Zidane » , ces Meriem, Gourcuff ou Marvin Martin placés un peu trop vite dans la lignée du double Z. Bonne nouvelle, tout cela n’a rien d’un réflexe franco-français et de l’autre côté du duché de Savoie, en Italie, on se gratte la tête depuis un bon bout de temps pour savoir qui sera le prochain Buffon. Plusieurs noms ont déjà été couchés sur le testament, beaucoup ont fait long feu, jusqu’à ce que l’arrivée soudaine et criarde de Donnarumma dans la valse des prétendants ne vienne écraser la concurrence. Enfin, en théorie. Car selon Dino Zoff, qui a quand même son mot à dire dans ce genre de débats, la Squadra a un autre garçon sous la main. « Pour moi, Perin est le meilleur gardien de l’Italie en ce moment » , a démarré Zoff il y a quelques jours pour s’échauffer. Avant de balancer la sauce : « Il est la bonne personne à l’avenir, non seulement pour son club, mais aussi pour l’équipe nationale. » Le sage a parlé.
Liste d’attente
Avec son avis tranché sur la question de l’après-Buffon, Dino Zoff jette un pavé dans une mare qui connaissait déjà quelques remous. En effet, l’arrivée de Donnarumma dans les cages de la sélection après le départ de Buffon est moins évidente qu’il n’y paraît, même si le clan du joueur fait beaucoup d’efforts pour faire croire que c’est le destin et que c’est écrit. Il est vrai que sur le papier, le storytelling fonctionne. Il y a d’abord ce prénom, Gianluigi, que les deux gardiens partagent. Le plus vieux était surnommé Gigi ? Appelons le minot Gigio, et en avant pour le marketing. Ajoutez à cela des tentatives souvent grossières pour nous faire croire que Donnarumma aime son Milan comme Buffon aime sa Juve, et le compte est bon.
Le hic, c’est que pas grand monde n’est dupe et que du monde se bouscule à la porte pour récupérer le job. Donnarumma est peut-être incroyable de précocité, mais des gars comme Alex Meret ou Simone Scuffet, eux aussi sur liste d’attente pour prendre le pouvoir, ne sont pas beaucoup plus vieux. Surtout, il y a le cas Mattia Perin. Un goal à peine plus âgé – tout juste 25 ans – et déjà bien connu dans le circuit. La sélection, il y met les pieds dès 2012, à une époque où l’Italie pense que Sirigu et Marchetti reprendront un jour le flambeau de Buffon. Perin est alors un jeune chien fou du Genoa qui enchaîne les prêts, et qui vient d’être élu meilleur gardien de Serie B à 19 ans après une saison avec Padoue. Une année 2012 royale au cours de laquelle il file découvrir la Serie A avec Pescara – toujours en prêt –, un an avant de s’installer définitivement dans les bois du Genoa.
Homme de verre
Depuis, Perin y est devenu un taulier, et les jours de match, c’est lui qui s’enroule le brassard de capitaine autour du bras. Moins impressionnant visuellement que Donnarumma qui déploie sa carcasse de mutant pour attraper un ballon, Perin a l’avantage d’être une vraie valeur sûre de la Serie A et de posséder un capital sympathie largement supérieur à celui du Milanais. Car Gigio, ces derniers temps, c’est surtout le gardien de but pleurnicheur d’une équipe qui court dans le vide pour retrouver ne serait-ce qu’un peu de son lustre d’antan. Au mieux, Donnarumma est un gamin dépassé par les événements et manipulé par son agent, le pizzaïolo Mino Raiola. Au pire, une tête de con capricieuse et ego-centrée.
Pendant ce temps-là, avec ses tatouages d’apache et sa dégaine de rockeur pour ados, Perin fêtait ses deuxièmes ligaments croisés bousillés en moins d’un an par une photo de lui en train de faire le pitre sur son lit d’hôpital, et en citant le Manuel du guerrier de la lumière de Paulo Coelho. Le grand taciturne contre le rigolo charismatique, en grossissant à peine le trait. Mais Perin a beau rigoler de ses genoux en papier mâché, son corps reste son vrai point faible. Deux ruptures des croisés à 25 ans, c’est beaucoup. Avant ça, il avait déjà loupé trois mois de compétition en 2015 à cause d’une épaule explosée. Fâcheux, à l’heure où il faudra décider de qui va prendre la place d’un Buffon qui ne fréquente que très peu la Croix rouge. Le pot de terre contre le pot de fer, là encore en grossissant à peine le trait. Et pour récupérer un héritage aussi balèze que celui de Buffon, mieux vaut avoir les reins solides.
Par Alexandre Doskov