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La porte Klose
Il y a une dizaine de jours, le monde a appris la fin de carrière de Miroslav Klose, appelé à rejoindre le staff de Joachim Löw. La fin d’une époque et une leçon de vie à retenir.
La nouvelle est tombée comme ça, un 1er novembre 2016. Miroslav Klose n’est plus un footballeur. Il ne portera plus de maillot à son nom, ne fera plus d’appels en profondeur, ne traînera plus dans la surface pour mieux surgir, ne sautera plus au-dessus des autres, pour mieux rater son salto plus loin. Un homme arrête de taper dans un ballon pour de l’argent, ce n’est finalement pas grand-chose, et pourtant c’est beaucoup. Peut-être même trop. Une banale annonce, une simple brève, le couperet tombe, entre deux déclarations sans saveur et une probable composition qui sera fausse. La fin de la carrière d’un joueur, c’est un pan de notre vie qui s’arrête, une période dont on peut à présent se souvenir comme le temps d’avant. Et le temps d’avant, c’était le temps d’avant.
On se rappelle les buts, les moments, les joies et les peines. Dans ce conglomérat d’images qui se succèdent dans notre tête se forme alors le portrait d’un homme, notre vision. Pas besoin d’ouvrir une page Wikipédia ou de revoir des actions sur YouTube, à moins de vouloir entretenir la nostalgie, de se rassurer. Se conformer à la vision des autres signifie malheureusement bien souvent perdre la sienne, aussi imparfaite soit-elle. Nous n’avons pour beaucoup pas la chance de connaître personnellement Miroslav Klose, ni ne pouvons nous targuer de nous souvenir de toute son œuvre. Pourtant, impossible de ne pas l’aimer, et de ne pas se sentir triste de le voir partir.
Le passé marche dans le présent
La fin de Miroslav Klose était inéluctable, tant il a toujours été anachronique, vestige du passé, presque un souvenir vivant. À l’ancienne. Dès sa naissance d’ailleurs, à Opole, au cœur d’une région rendue à la Pologne après la Seconde Guerre mondiale, mais allemande pendant des siècles. De fait, son père, Josef, lui aussi footballeur pro, est un Aussiedler, un Allemand ethnique ayant le droit de revenir dans son pays, du moins à l’Ouest. Ce qu’il fait en 1986, après une fin de carrière française. Miro a huit ans, parle à peine deux mots de Goethe, victime collatérale de la grande Histoire. Puis vient le football.
Pas le centre de formation, plutôt les divisions inférieures, l’apprentissage en parallèle, les luttes de clocher. Il débarque dans le monde pro à vingt ans, déjà en retard, ayant en plus raté le titre de Kaiserslautern. Même rengaine au Werder, où il est recruté dans la foulée du Meisterschale. Comme la plupart des grands joueurs allemands, il lui faut le Bayern pour enfin être sacré. Et comme ceux de jadis, lorsque Mario Gómez l’a rendu caduque, il part en Italie. La Lazio, Rome, le maillot bleu ciel, l’aigle. Il régale la Botte de sa classe, de son élégance, capable même de faire annuler un but qu’il a inscrit de la main.
Arbeit macht glücklich
Des buts, pourtant, il en a marqué. Beaucoup. Mais pas tant que cela, loin des statistiques monstrueuses et inhumaines qui sont la norme aujourd’hui. S’il en a mis vingt-cinq en une saison de Bundesliga, sa moyenne oscille plutôt entre dix et quinze. S’il est le recordman des buts de la sélection allemande et de la Coupe du monde, c’est à force de 137 sélections et de quatre participations à la Coupe du monde. La Nationalmannschaft, à qui il a tout donné et qui lui a rendu une Coupe du monde. Parti remplaçant en 2014, il a fini en titulaire indispensable. C’est la récompense méritée du travail, de l’humilité. Oui, Klose n’était pas Ronaldo. Certains trouveront toujours triste qu’il l’ait dépassé. Ils se trompent : le travail n’est pas moins indispensable que le talent brut.
Son départ, il a laissé à la DFB le soin de l’annoncer, pour mieux embrayer sur une place dans le staff de Jogi Löw. Des mots laconiques et sans fard. Ray Allen, lui aussi parti le même jour, s’est fait plus loquace, et il est facile de tracer un parallèle lorsqu’il écrit : « Dans chaque vestiaire où tu seras jamais, tout le monde dira toutes les bonnes choses. Tout le monde dit qu’ils sont prêts à sacrifier ce qu’il faut pour gagner un titre. Mais ce jeu n’est pas un film. Ce n’est pas à propos d’être l’homme du quatrième quart-temps. Ce n’est pas à propos du discours. C’est faire son travail chaque jour, lorsque personne ne regarde. »
Chaussures fluorescentes
Dans sa jeunesse, Miroslav Klose a suivi une formation de menuisier. Un artisan, voilà ce qu’il était, et ce qu’il restera. Pas un artiste de fulgurances, mais un homme qui travaille patiemment dans son atelier/sa surface, en silence, qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait, répétition incessante de gestes. Ce n’était pas toujours très beau à voir, le résultat parlant de lui-même. Le Polonais devenu allemand est dans le fond un peu japonais.
La fin de Miroslav Klose, c’est la fin du 9 « à l’ancienne » . C’est la fin de la longue lignée des « Bomber » . Bien sûr, Miro jouait avec le 11 parce que la lumière ne l’intéressait pas. Voir Miro partir – pas une mince affaire –, c’est accepter que l’attaquant moderne a gagné, qu’il a 18 en finition dans FM dès ses seize ans, qu’il fait des appels, des débordements, peut jouer sur les côtés, porte des chaussures fluorescentes et prend des poses de thug dans des publicités pour équipementiers désireux de vendre un culte de l’instant. C’est dur, c’est le cycle de la vie. On s’y attendait, on le sentait venir. Mais c’est dur. Parce qu’il nous a appris qu’on pouvait réussir en étant quelqu’un de bien et en travaillant. C’est une leçon qu’il ne faudra pas oublier.
Par Charles Alf Lafon