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La Pologne a-t-elle fait la paix avec les Allemands ?
Alors que les deux pays, longtemps ennemis, célèbrent en ce mois de juin 2016 les 25 ans du traité de bon voisinage, l'Allemagne et la Pologne se retrouvent pour un match de foot à la portée plus que symbolique. Surtout pour la Reprezentacja.
11 octobre 2014. 22h45. L’heure est à la fête à Varsovie. Au sein même du stade national comme devant les écrans géants installés pour l’occasion en centre-ville, on s’embrasse et on se congratule. Ailleurs dans le pays, l’euphorie est également de mise. Pourtant, ce soir-là, la Pologne n’a rien gagné de spécial, juste un match de foot. Un match de qualifs à l’Euro 2016, que Lewandowski et compagnie étaient quasiment sûrs de disputer, passage à 24 équipes oblige. Oui mais voilà, ce soir, la Reprezentacja n’a pas battu n’importe quelle équipe. C’est l’Allemagne, championne du monde quelques mois auparavant, qui est venue se casser la gueule sur les rives de la Vistule.
Alors, les Polonais ont bien le droit de célébrer comme il se doit d’avoir mis les Weltmeister à terre. Surtout lorsque ces derniers sont allemands. Car il ne faut pas se méprendre, si la Pologne célèbre cette victoire comme si elle avait gagné la Coupe du monde, c’est avant tout parce que les adversaires du soir avaient le visage de l’ennemi héréditaire. Celui qui a plusieurs fois pris le pays pour un vulgaire champ de patates.
Pour la première fois de son histoire, en ce 11 octobre 2014, la Pologne peut se targuer d’avoir battu les Allemands sur un terrain de foot. Mais la symbolique est hautement plus importante. « Ce soir, nous avons écrit une page d’histoire » , avait lancé Robert Lewandowski après le match. Les relations entre les deux pays ont beau s’être apaisées depuis quelques décennies, l’Allemagne ne sera jamais un ami comme les autres de l’autre côté de la frontière.
Un nouveau respect
Alors que le souvenir de la guerre s’estompe, l’opinion populaire polonaise est de moins en moins hostile aux Allemands qui font preuve de beaucoup plus de remords que les Russes lorsqu’il s’agit d’évoquer les questions qui fâchent. Depuis la politique d’ouverture à l’Est prônée dans les années 60-70 par le chancelier Willy Brandt, les deux pays ont vu leurs liens se resserrer. Selon une étude menée par l’Institut des Affaires publiques allemand, et publiée en 2015, les Polonais estiment à 62% que les relations entres les deux sont très bonnes.
Au gré des prises de position de certains gouvernements, pro ou anti-allemands, les discussions entre les deux pays peuvent évidemment se tendre. L’an passé, l’actuel président polonais Andrzej Duda avait déclaré que l’Allemagne « ne traitait pas tous ses voisins de la même façon » , ce qui n’avait pas manqué d’énerver Berlin. Le ministre des Affaires étrangères allemand avait alors rappelé que la Pologne ne cessait de maltraiter la communauté allemande de Silésie, région polonaise frontalière de l’Allemagne. Mais au-delà de ces querelles récurrentes entre dirigeants, les habitants des deux pays se supportent bien mieux qu’avant. Et le football en est une preuve.
Drapeaux polonais en Allemagne
Lors de l’Euro 2012, organisé en Pologne et en Ukraine, l’équipe d’Allemagne avait été très supportée par les habitants du pays co-organisateur de l’événement, et Miroslav Klose et surtout Lukas Podolski, qui n’a jamais caché son attachement à son pays de naissance, ont été très acclamés lors des entraînements publics de la Mannschaft. En Pologne, on ne leur en veut pas spécialement d’avoir choisi l’Allemagne, bien au contraire ; on est plutôt fier qu’ils représentent les valeurs polonaises chez le voisin. Aujourd’hui, plus de deux millions de personnes disposant d’un passeport polonais vivent en Allemagne, le plus souvent pour des raisons économiques. Dans ces foyers, le polonais reste la langue privilégiée, et le soutien à l’équipe d’Allemagne n’est pas forcément massif.
Après le premier match remporté par la Pologne face à l’Irlande du Nord, il n’était pas rare de croiser des personnes avec des drapeaux polonais dans les rues des grandes villes allemandes.
Mais cet amour pour la sélection polonaise ne signifie pas forcément un désamour profond pour le pays qui les a accueillis. « Dans mon cœur bat deux pays, l’Allemagne et la Pologne » , avait déclaré Lukas Podolski, il y a quelques années. Un sentiment partagé par une grande partie de sa communauté. Être citoyens des deux pays et en partager les valeurs communes est devenue la norme chez les enfants d’immigrés. Pour 61% des Allemands, toujours selon l’étude de 2015, les Polonais s’intègrent d’ailleurs parfaitement à la société allemande.
Le symbole Lewandowski
Finalement, le ressentiment le plus fort qui existe encore entre les Polonais et les Allemands vient plutôt du fait que l’Allemagne exerce encore un poids énorme sur l’économie polonaise. En 2013, la Pologne effectuait environ 27% de ses échanges commerciaux avec la RFA. Les médias les plus populaires dont le tabloïd Fakt sont, eux, contrôlés par le groupe Alex Springer, propriétaire de Bild. Cette omniprésence teutonne est encore assez mal vécue en Pologne. En Allemagne, à l’inverse, on se moque encore volontiers du fait que les Polen ne soient pas capables de vivre sans le soutien massif de Berlin. Dans l’équivalent de nos blagues sur les Belges, le Polonais y est dépeint comme un voleur ou un fainéant. Il est donc assez ironique qu’un des joueurs les plus travailleurs que la Bundesliga ait connus ne soit rien d’autre qu’un natif de Varsovie. Du haut de son 1m85, Robert Lewandowski martyrise les lignes de défense allemandes depuis six ans maintenant. Après son coéquipier en club Thomas Müller, il est sans doute la plus grosse star du championnat.
Mais de son pays natal, sa super intégration chez le voisin n’a pas toujours été bien vue. Surtout lorsqu’il oubliait de marquer des buts pour la sélection. La presse n’hésitait pas alors à le traiter d’ « Allemand » et à lui reprocher de plus mouiller le maillot pour son club que pour sa sélection. De ne pas être un leader. Mais depuis que le joueur du Bayern a chipé le brassard de capitaine à son meilleur ennemi Jakub Błaszczykowski, et surtout qu’il joue à son meilleur niveau quel que soit son maillot, on ne jure plus que par lui, de Cracovie à Gdansk, de Szczecin à Lublin, en passant par Poznań et Varsovie.
Lewandowski est omniprésent dans le paysage médiatique polonais. Il est devenu sans doute malgré lui le symbole du Polonais qui réussit ailleurs que dans une usine. Aujourd’hui, un des footballeurs les plus célèbres d’Allemagne est bien né de l’autre côté de l’Oder – et ne possède pas de passeport allemand. Un fait inimaginable il y a encore quelque temps et qui montre bien qu’un des deux pays domine moins l’autre qu’avant. Si, ce soir, Lewandowski sera forcément le joueur le plus surveillé, ce sera autant pour son jeu que pour ce qu’il dit de la Pologne d’aujourd’hui. Une Pologne qui essaye de s’affranchir de l’Allemagne tout en gardant un pied chez elle.
Par Sophie Serbini