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La peau des renards
Battu logiquement dimanche après-midi à Swansea (0-2), Leicester a ce matin la tête dans le vide avec un petit point d’avance sur Hull, premier relégable. Neuf mois après avoir écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du foot, les Foxes entretiennent leur légende, mais poussent également Ranieri sur un siège éjectable. Vie et mort d’un rêve qui touche à sa fin.
Dans les couloirs du Liberty Stadium, le regard droit, fermé, embué. Cette soirée du 12 février 2017 fera date dans la vie de Claudio Ranieri. Le sexagénaire italien au look de professeur n’a plus le temps pour les excuses. D’ailleurs, il n’a jamais été du genre à se cacher derrière les faux-semblants. Reste que cette fois, le natif de Rome a décidé de retirer son image de tuteur compréhensif. « Vivre avec ce qu’on a réalisé la saison dernière est difficile. Après ça, on veut laisser une, deux, trois chances aux joueurs. Peut-être que maintenant, j’en ai trop donné » , balance-t-il alors face à la presse anglaise, qui se plaît depuis quelques jours à parier sur sa tête. Quelques minutes plus tôt, Ranieri était encore sur scène. Une scène où son homologue, Paul Clement, fraîchement élu coach du mois, profite lui d’une bouffée d’oxygène au classement après un succès mérité (2-0) face à Leicester, définitivement redevenu « normal » . Simple : à Swansea, dimanche, Leicester est tombé pour la cinquième fois consécutive en championnat – une première pour un champion en titre depuis 1956 – et les Foxes sont aujourd’hui au bord du gouffre avec un petit point d’avance sur la zone rouge. Comme la conclusion logique d’une situation au cœur de laquelle il n’y a presque plus rien du Leicester champion surprise en mai dernier. Au départ, ce déplacement face à un concurrent direct pour ne pas descendre en Championship devait être l’occasion pour Ranieri de « lancer une nouvelle saison » . Il n’a fait qu’empiler de nouvelles questions.
Disette offensive et sens de l’histoire
Les chiffres, d’abord, car ils sont significatifs. Cette défaite à Swansea pourrait s’expliquer par la chute de l’équilibre défensif des Foxes, hier base du Leicester de Ranieri, mais l’important est presque ailleurs : en 2017, les rêveurs du printemps dernier n’ont pas remporté la moindre rencontre de championnat et pire, n’ont pas inscrit le moindre but. Le tout à moins de dix jours d’un déplacement à Séville en Ligue des champions qui devrait être mis de côté pour sauver le sens de l’histoire. Cette disette offensive a plusieurs explications, mais une dépasse plus particulièrement : Riyad Mahrez et Jamie Vardy sont redevenus des joueurs normaux, eux aussi. La semaine dernière, Claudio Ranieri s’est entretenu longuement avec les deux pivots offensifs du premier titre de champion de sa carrière, mais pour quoi faire ? Pour pointer les problèmes, ce qui a changé en l’espace de quelques mois et leur chute de forme ne peut expliquer à elle seule tous les maux du Leicester version 2016-17. Elle peut en être la représentation. Le problème, en réalité, est plus profond et ne peut non plus s’expliquer par le seul départ de N’Golo Kanté l’été dernier. Ce serait trop simple.
De l’extraordinaire à l’ordinaire
En réalité, en quelques mois, Leicester a perdu plus qu’un milieu défensif. Leicester a perdu l’esprit qui faisait hier sa force, l’effet de surprise qui fait qu’aujourd’hui, chaque adversaire sait exactement comment prendre un onze articulé dans un système qui n’a jamais changé depuis le début du mandat de Ranieri, mais aussi un peu de confiance, forcément. Ce qu’il s’est passé la saison dernière doit être oublié, Claudio Ranieri voulait aller dans ce sens, mais ne s’y est jamais vraiment attelé dans les faits. Il l’a fait dans les mots, expliquant à plusieurs reprises que les difficultés rencontrées par son groupe n’étaient que le « juste retour à la réalité de ce qu’est Leicester, soit un club qui lutte pour le maintien » . Mais dans son approche du jeu, l’Italien est revenu avec les mêmes consignes, la même vision et n’a pas vraiment réussi à intégrer cette bascule de l’extraordinaire à l’ordinaire. Lui taper uniquement dessus serait dur, trop dur, et serait trop vite oublier ce qu’il a accompli la saison dernière et le bon parcours européen du club cette saison. Non, Ranieri fait partie d’un tout, d’un ensemble qui n’a pas su soigner sa gueule de bois et se renouveler.
Aujourd’hui, tout le monde sait comment Jamie Vardy joue : il a besoin d’espace, ce que seul City lui a donné en décembre dernier (4-2) ; tout le monde sait comment Mahrez avance : partir de la droite, repiquer sur son pied gauche et armer, ce qu’il n’a pu faire cette saison qu’à la CAN face au Zimbabwe. Ça, c’est pour les hommes qui étaient censés assurer la transition. Car derrière, il y a une paire Morgan-Huth qui n’avance plus et Danny Drinkwater, toujours aussi volontaire, mais moins efficace depuis qu’on l’a amputé de son bras armé Kanté. Après la défaite au King Power Stadium contre Manchester United (0-3) dimanche dernier, Kasper Schmeichel avait appelé ses potes à se rebeller sous peine d’une relégation « inévitable » . Désormais, Leicester en voit la couleur. Il n’y a plus de rires, plus de larmes de joie, plus cette chance qui tourne toujours en votre faveur et cet esprit de groupe qui fait qu’on veut s’arracher l’un pour l’autre. Il n’y a plus d’extraordinaire, il y a la réalité. Celle d’un club qui s’est retrouvé un jour à une place qu’il a méritée, mais qui n’était pas la sienne et qui vit aujourd’hui un retour sur terre brutal. Résultat, rien n’est pardonné à Claudio Ranieri, mais c’est à lui de relever ce défi. Un plan de bataille, treize matchs, un changement de régime. Sinon, Leicester ne sera qu’un bon souvenir. C’est peut-être déjà trop tard.
Par Maxime Brigand