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La parenthèse inattendue

Par Maxime Brigand
4 minutes
La parenthèse inattendue

« Prenez tout très au sérieux, à l'exception de vous-mêmes. » Au premier jour, Leicester n'avait rien à perdre. Le maintien a été assuré. Et le rêve s'est formé. La Ligue des champions a été assurée. Et aujourd'hui, il ne reste qu'une bataille : celle de la conquête d'un titre encore inimaginable. 90:00. Top.

C’est une masse au fond du couloir. La petite tête fine, blonde a le regard souriant. Le visage est familier, le maillot porté aussi. Au niveau du cœur, l’écusson du Manchester United Football Club. À l’écran, le gamin pointe l’image d’un doigt caché dans des gants de gardien de but. Ce sont ceux de son père, Peter, champion d’Europe avec le club de Manchester en 1999, quintuple champion d’Angleterre avec Sir Alex Ferguson et légende vivante dans les bois d’Old Trafford. La scène date de 1994. On y voit Kasper Schmeichel, huit ans à l’époque, jouer dans les couloirs du Théâtre des Rêves avec Tom Ince, fils de Paul, et Alex Bruce, gamin de Steve. L’homme de théâtre Antonin Artaud aimait dire que « l’histoire des peuples est l’histoire de la trahison de l’unité » . Rarement ces mots n’auront autant résonné que pour dessiner la trajectoire prise par Schmeichel fils. Kasper a aujourd’hui 29 ans, et, après plusieurs années passées à l’ombre, l’homme s’apprête à vivre le jour le plus important de sa carrière : la conquête d’un titre de champion d’Angleterre, là où son père a brillé et où il est prêt, de son côté, à renverser l’histoire sous le maillot de Leicester. Depuis plusieurs semaines, l’effet de surprise a maintenant fait son travail. Claudio Ranieri, lui, a fait varier de quelques nuances son vocabulaire : la notion de « rêve » est toujours centrale, mais, maintenant, il faut le vivre jusqu’au bout, « se battre pour le rendre réalité » . L’histoire n’est qu’à quatre-vingt-dix minutes.

« Jouer chaque match comme si c’était le dernier »

Dans un entretien donné à France Football la semaine dernière, l’entraîneur italien a insisté : « Je demande à mes joueurs de jouer chaque match comme si c’était le dernier. » Il explique que « la victoire et la défaite sont deux imposteurs » , que seul « le cœur de ses hommes » lui importe. C’est bien ce dont il est question aujourd’hui, à l’heure où la notion de raison n’a plus sa place. Ce qui se passe à l’heure actuelle n’est pas normal. Leicester ne devrait pas être là. Reste que les Foxes y sont, et le football ne peut qu’adorer ça. Il ne vit que pour les exploits, les belles histoires, l’humain et la conquête. Depuis des mois, on se frappe pour se réveiller, on se dit que ce n’est pas possible et, finalement, sur une sortie ratée d’Hugo Lloris en début de semaine à Londres, on a dû se résoudre : Leicester va être champion. Avec ses armes, une grosse paire de balls et une belle leçon donnée à toute l’Angleterre du foot. Remporter le titre de champion à Old Trafford sur la pelouse du club le plus riche du monde – et le plus en crise du moment ? – serait un point final parfait pour le contexte. Pour le côté affectif, on regardera Claudio Ranieri soulever sa couronne au milieu de Stamford Bridge. Là où hier José Mourinho aimait dire de l’Italien ceci : « À 70 ans, il n’a gagné qu’une Supercoupe et une autre petite coupe. Il est trop vieux pour changer sa mentalité. » L’histoire est sadique aussi, parfois.

Le CV de Ranieri

Ce n’est maintenant qu’une question de temps. Si ce n’est pas aujourd’hui, dimanche, ce sera samedi prochain contre Everton au King Power Stadium. La ville de Leicester le mérite bien aussi. Car c’est plus agréable de fêter un titre sur un siège que derrière un grand écran installé sur du béton. On veut bien se prendre une dernière secousse, encore quelques larmes italiennes, quelques envolées de Riyad Mahrez, un dernier petit but de Vardy, une dernière ligne cassée par Kanté, un dernier sauvetage de Morgan, un dernier plongeon de Kasper Schmeichel, un dernier cri au moment où Huth touchera le ballon, un dernier rush d’Okazaki, un dernier smilede Jeff Schlupp, une dernière rage d’Ulloa, un dernier rire de Christian Fuchs, une dernière montée de Simpson, quelques mèches d’Albrighton et une dernière transversale de Drinkwater. On ne s’en lasse plus et, au fond, voir cette belle histoire s’arrêter offre un petit pincement au cœur. On n’était plus habitué, Leicester ne l’avait jamais été. Ranieri encore moins, lui qui s’apprête à enfin corriger cette anomalie en remportant le premier titre de champion de sa vie dans une première division nationale européenne. Il ne reste plus que quatre-vingt-dix minutes, 5 400 secondes. Et une larme pour achever « l’opportunité d’une vie » . Ce n’est plus un rêve.

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