Dans la petite salle de réception de la tribune Raymond Goethals du vieux stade Edmond Machtens à Bruxelles, on se croirait dans la chambre d’un ado rebelle. Les murs sont ornés de cadres IKEA, de drapeaux et d’écharpes aux couleurs du Royal White Star Bruxelles. Au sol, le lino est marqué à jamais par quelques trous de clopes. Manque plus qu’une compile de La Rue Ketanou, un didgeridoo, une collection de bouteilles de Passoã vides et un sac Eastpak tagué au marqueur pour faire un saut dans le passé. Un passé d’où émerge, en ce vendredi ensoleillé à Molenbeek, commune de l’Ouest de Bruxelles, ce bon vieux Rudy Mater. Mûr et lucide, l’homme est marqué par une année de galère entre chômage et CFA 2. Pas évident de digérer le divorce unilatéral avec Valenciennes, après une idylle de douze années. Depuis quelques semaines, le Ch’ti refoule les pelouses professionnelles avec le White Star en Division 2 devant quelques centaines de spectateurs. Des affiches face à Roulers ou Deinze qui ne filent pas vraiment la chair de poule. Mais Rudy revient de loin et ces quelques ballons touchés en D2 belge suffisent largement à lui redonner le sourire. Entretien.
Salut Rudy. Alors, comment ça se passe au Plat Pays ?
Très bien, très très bien même. Je suis arrivé ici il y a un mois, j’ai vu une victoire à domicile en coupe, un nul à l’extérieur et une victoire pour mon premier match.
L’an passé, tu as coupé six mois avant de jouer cinq mois en CFA 2. Comment as-tu atterri au White Star ?
Je suis arrivé ici il y a un mois à peu près. Ça s’est fait grâce à Guillaume Rippert, un ami avec qui j’ai joué à Valenciennes et qui est en Roumanie. C’est même plus qu’un ami, c’est un frère. Il a un peu parlé de moi autour de lui jusqu’à ce que John Bico le coach (ancien agent d’Eden Hazard, ndlr) qui était à la recherche d’un joueur de couloir soit intéressé. Et il m’a donc contacté.
Tu n’as pas hésité longtemps ?
Non. Bon, il y avait quelques réglages à faire quand même, des choses à prendre en compte pour que je signe. J’ai 34 ans, je suis là pour un challenge personnel et collectif. L’an passé, j’étais assez bien à Feignies. Il fallait qu’il y ait un groupe de qualité, qui vit bien, qui ne se prend pas la tête, qui rigole. Footballeur, c’est un des plus beaux métiers du monde et il faut en profiter un max’ parce que ça passe très vite.
T’avais déjà eu des contacts avec des clubs belges avant de venir ici ?
Pas directement. On avait parlé de moi dans plusieurs clubs. Il y a eu Mons ou Mouscron, des clubs dans les alentours, mais ça ne s’est pas fait, car ils n’avaient peut-être pas besoin d’un latéral ou de Rudy Mater, par rapport à ce qu’on leur a raconté je ne sais où.
Tu penses qu’il y a eu des choses qui ont été dites sur toi ?
Après, je ne pense rien du tout, mais dans le milieu du football, voilà, on est vite en haut de l’affiche et on est vite détruit par certaines personnes. Même si on a pu penser ou dire du mal de moi, je pense que le coach s’aperçoit que je suis un homme vrai, qui a des valeurs et qui sait rigoler. Un Ch’ti quoi, un vrai de vrai, qui apprécie les bonnes personnes, mais qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.
T’as eu le temps d’aller boire une mousse au Delirium, de tester les frites de la place Flagey ou d’aller voir le Manneken-Pis ?
Pas du tout, parce que déjà, je mets une heure quarante pratiquement pour arriver ici. Je pars très tôt avec les embouteillages, c’est quarante minutes de bouchons tous les matins. Quand j’ai terminé l’entraînement, c’est la même chose, j’ai rapidement envie de rentrer chez moi.
Le White Star, le club de la commune de Woluwe-Saint-Lambert, joue dans le stade du RWDM, le club de la commune de Molenbeek… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas grand monde dans ce stade. C’est pas trop compliqué de jouer devant trois cents personnes dans un stade de quinze mille places ?
L’ambiance durant mon premier match était je trouve assez sympa avec les jeunes du club, même s’il n’y a pas comme à Valenciennes quinze ou seize mille supporters. Cela reste un beau stade avec une belle pelouse, des adversaires de qualité donc tout pour faire un bon match. Le public, quand on est sur le terrain, on n’y fait pas trop attention. C’est toujours mieux quand il y a du monde, mais bon, à nous de faire en sorte qu’il y ait du monde et qu’on fasse de bons résultats.
C’est quoi l’objectif cette saison ?
C’est d’être dans les huit, et après, on sait jamais. Moi, je suis quelqu’un d’ambitieux. Je pense qu’on a l’équipe pour finir dans les huit premières places.
Le club a été un temps entraîné par Jean-Guy Wallemme. L’an passé, il y avait Wilfried Dalmat. Il y a beaucoup de Français dans l’effectif ?
Il y a David Fleurival, Frédéric Duplus et d’autres. Je crois qu’on est plus de Français que de Belges.
Ça vaut quoi la D2 belge ?
J’ai n’ai pas vraiment pu juger par rapport au match. On m’a toujours dit que ça valait un bon premier, deuxième de National. Je veux voir un match entier pour juger, mais ça joue quand même, j’ai vu de bonnes actions, des joueurs de qualité.
Cédric Fauré joue aussi à l’Union Saint-Gilloise, le club un peu hype de Bruxelles. C’est devenu le Qatar, la D2 belge ?
Certains choisissent la Belgique, car ici, ils n’ont pas peur de prendre un joueur de 34 ans qui a de l’expérience, de l’envie, revanchard, comme en Italie ou en Angleterre. Il n’y a qu’en France où on a l’impression qu’à cet âge on est rincé, on n’est plus bon à rien. Bientôt, à 30 ans, on sera vieux, alors que pour moi, ce furent mes meilleures années. Tant que le corps en est encore capable.
Tu te sens bien physiquement d’ailleurs ?
Bien sûr, j’ai encore des trucs à régler, car j’ai fait six mois d’arrêt et cinq mois en CFA 2, tranquille. On arrive ici et le rythme est différent. J’avais cinq kilos en trop quand je suis arrivé. Il m’en reste un gros, mais en trois semaines, je les ai perdus. Je reprends la route, mes journées sont pleines, j’ai repris les entraînements, le rythme est intensif, tu te dépenses et ça change tout.
Ça a été dur à gérer l’année qui vient de s’écouler après ta non-reconduction dans ton club de cœur ?
Toute l’année a été dure à gérer. J’ai été touché humainement. Je ne vais pas dire que j’ai fait une dépression, mais ce n’était pas loin. Après, ça reste mon club, j’ai toujours envie qu’ils gagnent, mais ils m’ont fait quand même vraiment mal, très mal. Je ne peux pas oublier ce moment où on me dit qu’on ne comptait pas sur moi, alors que j’avais refusé les propositions de quelques clubs. J’étais à 90% certain de rester. Je n’ai pas envie de remuer le couteau, mais j’ai été blessé et notamment par certaines personnes. Après, c’est le foot, j’ai envie de rebondir, j’ai une reconversion au club, ça restera mon club, celui avec lequel j’ai grandi, j’ai passé mes plus belles années.
T’avais même passé un appel pour jouer gratos ?
Ouais. Après mon départ, il y a une page Facebook qui s’est créée intitulée « Pour que Rudy Mater reste à Valenciennes » . J’avais lancé ça sur cette page, car la plupart des supporters allaient dessus. C’était pour leur faire dire que si ça se passait mal, je pouvais perdre ma reconversion. Je suis prêt à aider gratuit, mais si vous ne me prenez pas, j’espère que vous n’allez pas vous planter parce que je serais un des premiers à réagir.
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Ce n’est pas un milieu qui te dégoûte ?
J’ai fait vingt ans dans ce milieu. Je m’en doutais. On le sait très bien que quand ça ne va plus… Je n’ai pas été bien, mais ce n’était pas qu’une question au niveau du football. Il y a des personnes que je pensais être des amis, ils ont disparu totalement. Des gars autour de moi qui ne m’ont même pas envoyé un message quand j’ai signé ici, alors qu’ils étaient pratiquement trois fois par semaine chez moi. Je m’y attendais, j’avais quand même fait une sélection autour de mes amis. Même parmi les gens que je pensais être mes véritables amis, il y a des gars qui retournent leur veste quand ça ne va pas. Tout footballeur, je pense, a connu ça. J’ai plein d’amis qui sont restés, mais dans mon cercle proche, il y en a qui sont partis. C’est là où tu vois tes vrais potes, quand tu n’es plus en activité.
Tu n’as pas pensé aller jouer à Dutemple, ton club d’enfance ?
Ça a été limite, j’ai failli. Mais je m’étais dit que je n’allais quand même pas signer tout de suite là-bas. J’ai du temps.
Ton plus beau moment, ça reste les montées avec VA. Ce serait pas mal de faire pareil cette année ?
La plus belle, c’est la montée en D2 parce que le club n’avait pas le statut pro depuis l’affaire VA-OM. À Nungesser, c’était extraordinaire. On va essayer de faire pareil cette année, mais tout ce que je peux dire, c’est que je suis très heureux. Je me lève à six heures trente tous les jours, chose que j’avais pas fait depuis vingt ans. Franchement, je suis bien, je suis joyeux, je suis dans mon élément. Le haut niveau m’avait manqué.
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