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La nouvelle vie de Kodjovi Obilalé
Gravement blessé après l'attaque du bus togolais lors de la CAN 2010 en Angola, Kodjovi Obilalé, l'ancien gardien de but de la GSI Pontivy, s'est construit une nouvelle vie du côté de Lorient où il travaille comme éducateur spécialisé dans l'association « Remise en jeu ». Reportage auprès d'un rescapé qui a retrouvé le sourire.
En ce début d’après-midi, c’est un joli soleil hivernal qui inonde le terrain synthétique situé à quelques mètres à peine du stade du Moustoir de Lorient. Après la sévère défaite à Monaco, aucun footballeur professionnel à l’horizon, seulement quelques étudiants qui tapent dans le ballon à la pause de midi. Bientôt, ceux-ci doivent laisser la place à d’autres jeunes pour lesquels l’association Remise en jeu a réservé le pré de 14h à 16h30. Remise en jeu, qui a pris le relais de Passion Foot, est une association qui se charge chaque année de prendre sous son aile une quinzaine de jeunes déscolarisés ou en grande difficulté sociale afin de leur donner une nouvelle chance de démarrer dans la vie. Cours le matin, sport l’après-midi, voilà le programme quotidien mis en place par les membres de l’association lorientaise créée par Paul Orsatti.
Pendant que les gamins arrivent d’un pas tranquille, au compte-gouttes, un homme en béquilles, survêtement noir, baskets aux pieds et grosse écharpe autour du cou, prépare la séance de foot et installe les plots sur la pelouse. Lui, c’est Kodjovi Obilalé, « Doudou » pour les intimes, trente-deux ans et ancien gardien remplaçant de la sélection togolaise. Victime d’une attaque à main armée avec ses coéquipiers des Éperviers lors de la CAN angolaise de 2010, Kodjovi reçoit deux balles dans le dos, tandis que deux autres membres du staff décèdent tragiquement ce jour-là. Aujourd’hui loin du monde du foot pro, « Doudou » se reconstruit peu à peu au contact des jeunes de l’association. « Faut pas s’attendre à ce qu’on soit nombreux aujourd’hui, prévient-il avec le sourire. La présence n’est pas obligatoire et certains ne se privent pas pour sécher. Mais du coup, ils ne sont pas rémunérés. » La région Bretagne verse en effet un petit salaire de 400 euros à celles et ceux qui prennent part à cette formation, mais seulement s’ils suivent les cours et viennent aux entraînements.
« On dirait des mamies ! »
Une demi-heure plus tard, la séance peut enfin commencer et tant pis pour les retardataires. Il leur suffira de prendre le train en route. Ici, point de règlement militaire ni de consignes strictes, l’ambiance fait plus penser à une cour de récré une veille de vacances d’été. « Les gamins, je les connais bien, détaille Doudou. Je sais qu’ils sont d’abord là pour se défouler, ça ne sert à rien de leur faire des séances hyper carrées, je fais ça à l’instinct. » Après quelques rapides ateliers avec le ballon en guise d’échauffement, place à l’exercice de conservation de balle. L’éducateur prend son rôle à cœur et distille quelques conseils à ses ouailles. « Matteo, essaye de mieux gérer tes conduites de balle, c’est toi qui dois maîtriser le ballon, pas l’inverse. » « Donnez plus de vivacité à ce que vous faites, c’est mou là, on dirait des mamies ! »
L’ambiance est bonne, les vannes fusent dans tous les sens, ça se chambre, ça rigole, et l’ancien gardien de but n’est pas le dernier à glisser des taquets verbaux aux jeunes de l’asso. « On dirait pas que c’est moi l’handicapé les gars, même en béquilles je fais mieux que vous ! » , leur balance-t-il en se marrant. Finalement, voyant que l’opposition se déroule sans accroc – ce qui n’est pas toujours le cas –, le grand Togolais se pose sur la touche et s’assoit sur une chaise pliante de camping qui fait office de banc pour l’occasion. En faisant défiler les photos qu’il a prises avec Youssoupha et Bouder lors de son passage dans les locaux de beIN Sports, pour qui il a commenté un match de la CAN quelques jours auparavant, la discussion dévie logiquement sur ses souvenirs liés à la compétition africaine. « On avait joué le Maroc en éliminatoires de la CAN 2006. Je me souviens des duels aériens avec Chamakh. Il essayait toujours de glisser sa tête, du coup je sortais les coudes en avant. À un moment, il me dit : « Hé gros, tu fais quoi là ? » Calme-toi garçon, t’es pas à Bordeaux ici ! »
Un destin brisé, un homme debout
Alors que l’entraînement touche à sa fin, Kodjovi s’essaye à une petite séance de reprises de volée avec deux jeunes dans la peau des centreurs. Malgré les béquilles et une jambe droite qui ne répond plus vraiment, il ne ménage pas ses efforts et parvient à claquer quelques gestes de qualité. Après deux heures de foot et de rires, tout ce petit monde range le matériel et quitte les lieux en se donnant rendez-vous le lendemain. Kodjovi Obilalé ferme la marche. Le moment est venu pour lui de raconter son histoire, celle qui l’a mené ici auprès de ces jeunes adultes, tranquillement installé dans le canapé d’un café du centre-ville lorientais.
« Mon intégration auprès d’eux s’est passée crème. Comme ils sont au courant de mon histoire, ça joue aussi. Ils voient un mec qui a tout perdu, mais qui est toujours là, qui est debout, ça leur donne du courage. En fait, on s’est mutuellement aidés. Moi, je leur donne de la force, mais eux aussi ils m’en transmettent. Ils m’ont donné une raison de me lever le matin, je me suis senti utile et ça, c’est hyper important. Tu revis. Et même si ce n’est pas toujours facile, qu’il y a des situations assez tendues, tu te dis que tu as un rôle à jouer là-dedans. » Sept ans après le drame, l’ancien gardien passé par l’Étoile filante de Lomé avant d’arriver en France et de tenter sa chance, sans succès, aux centres de formation de Niort et Lorient, dit aller mieux avec le temps. « Le jour où on m’a tiré dessus, j’ai direct su que c’était mort pour le foot, je ne ressentais plus rien dans la jambe droite. Et quand je me suis réveillé du coma, j’ai pleuré pendant une heure. Je suis quelqu’un de bon vivant, j’aime profiter de la vie, et là, tu te dis que tout ça, c’est fini. Ça fait mal. » Après trois mois d’hospitalisation à Johannesburg, en Afrique du Sud, le Togolais, qui a vécu le Mondial 2006 avec la sélection, se retrouve en centre de rééducation à Kerpape, à Lorient.
L’écriture et les joints pour thérapie
« C’est un monde à part, décrit-il entre deux gorgées de Sprite. Quand tu rentres là-dedans, tu relativises ce qui t’arrive, t’arrêtes de te plaindre. Des fois, mentalement, c’était dur, j’avais envie de chialer, mais à côté de toi, t’as des mecs ou des enfants qui sont tétra, qui ne peuvent bouger que la tête et là tu te dis : « Mais putain, relève-toi et arrête de pleurer. » » Si aujourd’hui le mental va bien malgré quelques petites rechutes, qu’il confie être en paix avec lui-même et ne plus en vouloir à ceux qui lui ont tiré dessus, les seules séquelles de la tragédie sont désormais physiques : « Là, tu vois, je rigole beaucoup, mais il y a des jours, quand je me réveille le matin, c’est chaud tellement les douleurs sont fortes. Si je devais les noter sur 10, je dirais 20. C’est très chaud. Il m’arrive même de devoir fumer un petit joint le soir pour pouvoir m’endormir et calmer la douleur. J’y touche vraiment que quand ça ne va pas du tout, quand le mal est insupportable. »
En guise de thérapie, sur les conseils d’un aide-soignant sud-africain, l’ex-portier de Pontivy s’est mis à écrire ce qui lui est arrivé dans un bouquin intitulé Un destin foudroyé (livre dont il n’a encore jamais perçu le moindre centime de la part des éditions Talent Sport). Un exutoire contre la haine, pour ne pas sombrer définitivement dans la folie. Heureux dans sa nouvelle vie, Obilalé compte désormais développer son association Joie de vivre, destinée à venir en aide aux sportifs qui, comme lui, ont été victimes d’un arrêt brutal de leur carrière ; avant de repartir vivre au Togo, où il possède dix hectares de terrain, et de se lancer dans l’agriculture. La page du foot est donc bel et bien tournée pour Doudou, mais sa nouvelle vie s’annonce plus chargée que jamais. Touché, jamais coulé.
Par Aymeric Le Gall, à Lorient