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La mort en face

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La mort en face

Après l'agression par balle en février dernier de Luis “Chucho” Bolanos, le milieu de terrain du LDU Quito, le football équatorien est officiellement entré dans la psychose. Où l'on découvre un quotidien fait d'attaques à main armée, de menaces de mort et d'extorsions. Reportage sur place.

J’étais disposé à leur remettre le fric et les bijoux que je portais sur moi. J’avais même commencé à retirer ma montre. Mais ils sont devenus nerveux lorsqu’ils ont vu les gens de la sécurité s’approcher. Alors quand le mec a baissé son arme, j’ai accéléré pour m’enfuir. Et là, il m’a tiré dessus.” Le 25 février dernier, Luis “Chucho” Bolaños, milieu de terrain du LDU Quito, se faisait agresser en plein jour sur le parking d’un centre commercial de la capitale équatorienne après avoir effectué un retrait bancaire. Deux balles, l’une dans l’épaule, l’autre dans l’avant-bras. Le lundi 14 mars, presque trois semaines après les événements, le voilà de retour au siège de son club. Regard caché sous une casquette, le joueur dissimule sa cicatrice encore rose d’une main posée sur son bras. Toujours en état de choc, “Chucho” n’est pas très chaud pour revenir en détail sur son agression. A peine consent-il à avouer que oui, il a eu peur, et que la seule chose qu’il souhaite aujourd’hui, c’est “oublier et passer à autre chose”.

Hélas pour sa tranquillité, les deux balles reçues par Bolaños ont fait l’effet d’une bombe dans la communauté sportive d’Equateur. Trois autres footballeurs, Christian Lara et Edison Preciado du Nacional et Jefferson Hurtado de Barcelona, ont profité de l’émotion pour révéler dans la presse leur quotidien fait d’attaques à main armée, de coups de fils intimidants, de chantage et d’extorsions. “Les joueurs doivent être conscients que nous avons dans le pays des sicarios (petites mains des cartels de la drogue, ndlr) spécialisés dans la séquestration et le chantage. Leur tactique, c’est d’appeler les footballeurs sur leur portable et de leur demander de déposer une certaine somme d’argent. En échange, ils garantissent leur sécurité ; c’est-à-dire qu’ils promettent de ne pas les tuer ou de ne pas séquestrer les membres de leur famille”, explique Jaime Molina, coordinateur général du Deportivo Quito depuis vingt ans. Dans ce pays rongé par la violence – les statistiques de l’unité anti-séquestration et extorsion de la Police (Unase) font état de 173 cas d’extorsion en 2010 dans la seule région de Quito, soit une augmentation de 230% en un an -, être footballeur n’est donc pas vraiment un atout.

En vérité, ce serait même plutôt l’inverse. Installé au volant de son luxueux 4×4 Chrysler sur le parking de son club, Jairo Campos est bien conscient de représenter une cible de choix. Rémunéré 400 000 dollars par an, ce défenseur du Deportivo est en effet l’un des joueurs les mieux payés d’Equateur. “Le danger est partout, nous vivons sous la menace”, commence-t-il par dire. Silence. Puis Jairo Campos baisse le regard. “Beaucoup d’entre nous viennent d’une famille modeste. Le football nous a donné la chance d’améliorer notre situation financière, c’est pour ça qu’ils nous menacent. Mais tu ne peux pas faire cadeau de ta réussite à des gens qui veulent profiter de toi, putain! Et puis ici, la majorité de la population galère pour s’en sortir. Le foot est l’une des seules choses qui donne de la joie aux gens. S’en prendre à nous, c’est nous empêcher de continuer à offrir du spectacle.

“Tout le monde savait où j’habitais”

L’agression de Bolaños, ajoutée aux déclarations de Lara, Preciado et Hurtado, ont amené Washington Pesantez, le procureur général d’Equateur, à ouvrir une enquête pour identifier les responsables de ce harcèlement. De leur côté, la fédération équatorienne de football et les dirigeants des principaux clubs du pays ont décidé de renforcer les mesures de sécurité de leurs installations. Depuis quelques jours, le grand portail en fer blanc du complexe sportif de la Liga de Quito reste ainsi désespérément fermé. Seuls les journalistes sont autorisés à pénétrer dans l’enceinte deux fois par semaine pour assister à l’entraînement. Et encore, à condition de montrer patte blanche: passeport, carte de presse, lettre de mission…

Derrière la barrière de sécurité, deux policiers de l’Unité de vigilance nord de la police nationale. Les flics sont venus expliquer aux joueurs la marche à suivre pour essayer de rester en vie. La réunion a lieu dans l’une des salles du siège. “Il y a quelques règles simples à connaître si vous voulez éviter tout problème, commence par déclarer l’un des agents aux membres de l’effectif. Premièrement, évitez de retirer des grosses sommes d’argent aux distributeurs. Ou demandez l’assistance d’un ou deux agents. Deuxièmement, restez toujours aux aguets: soyez vigilants aux feux rouges, et vérifiez que personne ne vous suit dans la rue. Troisièmement, calmez-vous sur les bijoux clinquants et les voitures de luxe.” Rires parmi les joueurs. “Ça, c’est vrai que c’est un peu notre kif”, reconnaît l’un d’entre eux. Le policier continue: “En ce qui concerne les recommandations familiales, inscrivez vos enfants dans une école qui propose le transport de porte-à-porte, afin qu’ils aient le moins de contacts possible avec le reste des gens.” D’un coup, ça rigole nettement moins. Il faut dire qu’il n’y a pas de point plus sensible que la sécurité de la famille. L’attaquant Hernan Barcos avoue ainsi avoir déménagé début mars car la peur était devenue trop grande: “Tout le monde savait où j’habitais. Ma femme allait seule au parc avec ma fille. Je ne voulais pas qu’il m’arrive ce qui est arrivé à plusieurs de mes amis.”

[page]“J’évite d’étaler mon fric”

Des réunions dans le genre, Liga de Quito en aura plusieurs dans la saison. Elles font partie du dispositif de sécurité mis en place par la direction du club après l’agression de Bolaños. Parmi les autres mesures: interdire aux sportifs d’accepter les interviews à domicile ou de rencontrer leurs fans à l’extérieur, mettre en place le versement du salaire par virement bancaire, ou encore limiter l’accès au centre technique. “Notre préoccupation majeure est que malgré l’insécurité qu’il y a dans notre pays, les joueurs sachent se prémunir de toute violence extérieure”, argumente Santiago Jacomé, directeur sportif du club. C’est gentil, mais l’attaquant Walter Calderon n’a pas attendu les conseils de sa hiérarchie pour mettre au point sa propre ligne de défense: “Je continue à sortir avec mes amis, mais je suis plus prudent. Si je sens que quelqu’un me suit, je me dirige vers un lieu sûr. En voiture et à pied, je prends toujours les voies et les rues les plus fréquentées: jamais de petites ruelles ou de coins sombres. Et j’évite d’étaler mon fric.”

Il faut dire que Calderon a vu la mort en face. En 2009, l’attaquant rentrait chez lui avec sa femme quand des hommes armés ont fait irruption dans sa maison. “Ils ont pointé leurs flingues sur nous. Les mecs qui font ça sont en général super nerveux. Si tu t’affoles, ça peut dégénérer. Alors j’ai réfléchi très vite, j’ai essayé de me contrôler et j’ai dit: ‘Prenez tout’. Par chance, personne n’a été blessé.” On lui demande si deux ans plus tard, il a encore peur. Sourire timide. Réponse franche. “Bien sûr. Quand on te suit jusque dans ton intimité, c’est vraiment violent, terrifiant. Encore aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher d’y penser.” Au Deportivo Quito, l’ambiance est moins paranoïaque qu’à la Liga. Chiffon à la main, l’attaquant Michael Jackson Quinonez lustre la carrosserie de sa Nissan 350. Plus loin, un autre fait chauffer les basses de sa voiture de sport. Le gardien semble relax. Pourtant, le centre technique est situé à cent mètres du lieu où Bolaños a été agressé. “C’est parce qu’on est premier du classement”, blague l’entraîneur Fabian Bustos. Ne pas se méprendre néanmoins: là aussi, après la douche, tous les joueurs partiront en caravane pour éviter tout problème sur la route. Il faut dire qu’en 2010, cinq membres du Deportivo Quito ont été menacés par téléphone par des sicarios.

“Ou tu la fermes, ou tu ouvres ta bouche”

Les joueurs d’El Nacional, eux, refusent de se déplacer en convoi. Dans cet autre club de Quito, l’humeur est étonnamment bon enfant. Pas de psychose. Pas de mesures de sécurité extrêmes non plus. Paradoxalement, c’est pourtant à El Nacional que les joueurs se sont exprimés les premiers sur la violence qui les guette. Assis sur un banc devant les vestiaires, le défenseur Fricson Erazo montre du menton ses coéquipiers. “J’ai quelques collègues qui sont actuellement victimes d’extorsions. C’est devenu notre pain quotidien. Ça affecte beaucoup le rendement de l’équipe. Imagine, tu vas jouer un match important, et on t’appelle sur ton portable pour te dire que si tu ne déposes pas 6000 dollars, il t’arrivera quelque chose de grave. T’as une chance sur deux de rentrer sur le terrain totalement déconcentré.” Alors que faire?“T’as deux options, explique-t-il en dessinant un schéma imaginaire sur le sol. Ou tu la fermes et tu permets aux délinquants de continuer leurs activités en toute impunité. Ou tu ouvres ta bouche, avec le risque de mettre en péril ta vie et celle de tes proches. Je peux comprendre que c’est parfois dur de parler. Mais on ne peut pas permettre que ça continue comme ça, sinon on va finir comme au Mexique ou en Colombie, des pays où les joueurs sont pieds et poings liés.

Par Mylène Moulin, à Quito.

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