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La Moldavie et la possibilité d’une victoire
Opposée ce soir à l'Autriche, la sélection moldave reste sur six défaites d'affilée. Pas de quoi susciter l'engouement déjà relatif d'un pays qui souffre d'un manque patent d'infrastructures et de culture foot. Même si comme partout, il y a quelques bonnes histoires à raconter. Visite guidée de la Divizia Națională, entre arbitres corrompus, véhicules tout-terrain et hooligans amateurs de thé.
Le moment où la Jeep a débarqué sur le terrain, il s’en souvient très bien. On jouait la première mi-temps, il venait de siffler un pénalty en faveur du Politechnika Chişinău, modeste club de seconde division moldave. Alerté par un bruit de moteur, Vitaly Onike a ensuite tourné la tête pour voir un homme foncer sur lui au volant de son 4×4, hurlant des insultes sous les acclamations d’un public déchaîné. Le génie au volant, c’est Mihai Macovei, le président du Roso Floren, le club adverse : « J’en ai eu assez de ces arbitres, ils sont tellement corrompus et partisans que je ne pouvais tout simplement plus le supporter » , s’est plus tard justifié l’auteur de ce coup de folie : « Je devais faire quelque chose pour arrêter ça. » Pour sauver sa misérable vie, Vitaly Onike a commencé à courir. La suite, c’est encore le vengeur motorisé qui la raconte le mieux : « Je ne l’ai pas frappé ou menacé. J’ai juste conduit ma voiture sur le terrain pour protester contre sa décision et je suis ensuite reparti quelques minutes après. Je n’ai fait de mal à personne. » Sauf à son club, qui perdra la rencontre 3-0 sur tapis vert, et à son compte en banque, délesté d’une modeste amende de 2000 euros.
Fierté nationale
Dix ans après, cet épisode de la Jeep fait encore la fierté de Victor Daghi, le porte-parole de la Fédération moldave, qui raconte les détails de l’affaire avec un plaisir non dissimulé. « Cette histoire a fait le tour du monde, beaucoup de gens en ont parlé sur internet, c’était incroyable. » Ce moment de gloire reste néanmoins l’un des seuls à ranger dans la légende du football moldave. Il faut dire que le reste du temps, niveau ballon rond, on s’ennuie plutôt ferme à Chişinău. Médiocre, la sélection nationale qui affronte ce soir l’Autriche reste sur six défaites d’affilée, dont la dernière contre le Montenegro (0-2). Son principal atout ce soir se nomme Artur Ioniță, récemment transféré au Hellas Verone en provenance du FC Aarau, en Suisse. À son propos, Victor Daghi n’arrête pas de touiller son café : « C’est l’un de nos joueurs les plus brillants. La semaine dernière, il a marqué son premier but en série A. Toutes les télés et journaux du pays ne parlaient que de lui. Il pourrait devenir notre nouvelle star. » Et rejoindre ainsi l’illustre Hall of Fame du football moldave, qui orne la salle d’entrée, et que le maître des lieux présente fièrement : « Voilà notre panthéon. » Des dizaines de visages inconnus, au milieu desquels surgit celui de Pavel Cebanu, l’actuel président de la Fédération . « Nous l’avons élu joueur moldave du siècle, c’était vraiment le meilleur, s’émeut Victor, mais nous n’avons pas besoin de nous tourner vers le passé, l’avenir aussi est prometteur. »
À la vérité, il reste plutôt bouché actuellement en Divizia Națională, l’équivalent de notre chère Ligue 1. Depuis 1997 et l’arrivée du surpuissant FC Sheriff Tiraspol, le suspense n’est plus vraiment de mise. Régnant sans partage sur toute une flopée de clubs pourris, l’équipe de Transnistrie a remporté treize fois le championnat en quatorze ans d’élite… Une performance à faire pâlir le septennat français de l’OL. C’est tout simplement « la meilleure performance tous championnats européens confondus » , savoure le coach Zoran Zekić, assis dans les gradins de son stade, la Boltashya Arena, magnifique écrin ultra-moderne de 13 500 places, un brin anachronique avec le reste de la région. En 2011, seul le Dacia Chişinău a finalement réussi à stopper momentanément la série de titres. Un souvenir douloureux pour l’international burkinabé Benjamin Balima, arrivé au club il y a huit ans, et qui dénonce un « complot » de grande envergure : « L’arbitrage a joué contre nous. La Fédération voulait que ce soit une autre équipe moldave qui joue l’Europe. Le Dacia a payé les arbitres pour être champion. » Un brin conspirationniste, l’avant-centre à la crête péroxydée développe sans trembler : « Certains de nos adversaires ne jouaient pas à fond et prenaient des valises contre le Dacia. Par contre, ils jouaient le match de leur vie contre nous. Tout le monde voulait nous faire tomber. »
Wags et pintes de thé
Il faut dire que l’hégémonie du club de Tiraspol ne fait pas que des heureux. Situé en Transnistrie, un État fantôme sous contrôle de l’armée russe, qui a fait sécession avec la Moldavie en 1992, le club présidé par l’invisible Victor Gushan bénéficie d’immenses privilèges fiscaux. Financièrement, il est aussi soutenu par l’entreprise étatique Sheriff, qui a le monopole de pratiquement tous les secteurs d’activité du pays auto-proclamé, grâce à un accord passé avec le gouvernement. En plus de son stade flambant neuf, le club dispose aussi de deux autres enceintes, d’une académie de formation, d’un hôtel cinq étoiles et de 18 terrains d’entraînement. Sa politique ? Écraser ses faibles rivaux. En recrutant massivement des joueurs à l’étranger, africains ou brésiliens, un fait rare en Moldavie, et en investissant à long terme sur la formation. Pour toute opposition, des équipes misérables et non payées, comme le FC Dinamo Auto et ses 128 fans sur Facebook. Autant dire que le Sheriff fait la loi dans la surface de réparation, comme ce soir face au FC Zaria, un honorable représentant du ventre mou du championnat, venu tout droit de Chişinău se faire exécuter devant 200 spectateurs livides et silencieux.
Ici, pas un bruit, pas un chant, seulement des pintes de thé, distribuées gratuitement à la cafétéria. Dans le virage Nord, 27 irréductibles tentent de lancer le mouvement armés d’un tambour, sous le regard désespéré d’Andrei, un fan de 24 ans aux allures de croque-mort. « Je ne sais plus vraiment combien on a gagné de championnats. 11,12, un truc comme ça ? C’est devenu tellement répétitif que le manque d’affluence et d’engouement ne m’étonne pas. » Tandis que les joueurs du Sheriff déroulent sur le terrain, leurs jolies poupées russes s’occupent en tribune en prenant des selfies. Armés de leurs jouets, les enfants placés à leur pied rompent le silence pesant par leurs bruits de guerre. Le match achevé sur un 4-0 traditionnel, Benjamin Balima trottine jusqu’aux vestiaires en lançant un dernier regard attristé au public : « Ici, il n’y a pas de vraie culture foot. Les Moldaves, ils aiment seulement quand le Sheriff joue l’Europe. Pour la Ligue Europa, là, le stade est plein. On a fait des matchs contre Marseille ou Tottenham, c’était chaud. » Malheureusement, c’est râpé pour cette année, puisque le club s’est fait éliminer en tour préliminaire par les Croates de Rijeka. « Cette saison, il nous reste encore les Classicos contre le Zimbru Chişinău pour vibrer un peu » relativise le double passeur décisif, qui a étonnement joué arrière-gauche ce soir : « Ce sont des matchs particuliers, car il y a une dimension nationaliste importante. »
Vers l’infini et au-delà
Privé de victoire et d’émotion, le football moldave a absolument besoin d’un coup de projecteur sur ses jeunes limités, mais plutôt techniques. Ce soir, le capitaine de la sélection, Alexandru Epureanu, recordman national des transferts avec 4 millions d’euros, devra montrer la voie pour faire rêver le sympathique Victor Daghi. En attendant, le porte-parole virevolte dans les couloirs d’une Fédération en plein Watergate, où suintent la tension et l’excitation : « Aujourd’hui, nous allons nommer officiellement un nouveau sélectionneur, une ancienne star, vous verrez. C’est un moment charnière de l’histoire de la sélection. » C’était il y a une dizaine de jours, avant de prendre congé. Depuis, la célébrité mondiale a été dévoilée dans un communiqué : il s’appelle Alexandru Curtianu. Titré de nombreuses fois dans les années 80 avec le Zimbru Chişinău, le messie aura la lourde tâche de conduire la sélection vers les sommets face à l’Autriche et la Russie. Une ultime révolution. « Pas sûr que ça suffise à gagner » , prédit pourtant Victor, dans un élan de lucidité.
Par Christophe Gleizes et Barthélémy Gaillard, à Chişinău et Tiraspol