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La méthode Mao
Épinglé par l'European Investigative Collaborations (EIC), le consortium de journalistes d'investigation auquel appartient Mediapart, l'agent de joueurs Éric Mao aurait investi dans un bon paquet de clubs issus des divisions inférieures roumaines, portugaises ou irlandaises, qu'il aurait ensuite participé à mettre successivement sur la paille. Avec une méthodologie qui n'appartiendrait qu'à lui.
Au milieu des fichages ethniques, des fraudes potentielles sur les transferts de mineurs, des projets souterrains de ligue fermée, du PSG, de Manchester City, de la Juventus, du Bayern ou de l’AS Monaco, son blase semble tout petit. Comme perdu dans l’immensité des Football Leaks. Avec lui, pas de centaines de millions sous la manche ou de gros noms ronflants qui s’affairent en coulisses. Éric Mao ne miserait que sur des petits chevaux. Ce qui lui aurait permis, selon une enquête du journaliste roumain Costin Stucan issu du consortium de journalistes European Investigative Collaborations (EIC), de monter en douce un réseau de matchs arrangés dans divers clubs européens éloignés des projecteurs médiatiques.
Les mystères de Mao
De lourdes accusations, pour un homme encore présumé innocent et qui aura peut-être à cœur de se défendre dans les médias des torts qui lui sont reprochés. Car c’est bien un système de matchs truqués savamment pensé qu’aurait mis en place le bonhomme, croit savoir l’EIC. À la base du schmilblick, il y aurait donc la drôle d’histoire d’un mec, Xiaodong Mao, plus connu dans le milieu du foot sous le nom d’Éric Mao. Un gars drôlement mystérieux, qui serait, selon le quotidien Asia Times, un ancien journaliste sportif à la télévision devenu agent FIFA. Jusqu’ici, tout va bien. Du moins, jusqu’à ce que Mao ne décide, via sa société Anping, de racheter en 2013 70% des parts de l’Atlético Clube de Portugal, une formation de D2 alors en grande difficulté financière. Le début d’un drôle de rodéo économico-sportif : de 2013 à 2016, Anping aurait recruté 67 joueurs, dont certains auraient déjà été soupçonnés de trucage de matchs. Parmi eux, le gardien de but letton Igors Labuts – suspendu par la suite, après une affaire de matchs truqués en Irlande – et un milieu de terrain sierra-léonais, qui sera ensuite suspecté dans une affaire de matchs truqués aux Pays-Bas.
De fait, au cours de la saison 2014-2015, les paris en ligne sur les matchs du club faisaient apparaître des « indicateurs solides de trucage » , selon un rapport du Centre international pour la sécurité du sport (ICSS), basé au Qatar, que s’est procuré Football Leaks. L’ICSS qualifierait même Mao d’ « organisateur de premier plan de matchs truqués et leader d’une organisation criminelle singapourienne de truqueurs de matchs » . Coïncidence ou pas, après deux ans de défaites en pagaille, l’Atlético Clube de Portugal faisait faillite en 2017, alors qu’Éric Mao, lui, aurait discrètement pris la poudre d’escampette.
Arbitres en toc
Un fiasco parmi tant d’autres, au milieu des dégâts qui auraient été engendrés par la méthode Mao, estime l’EIC. Toujours au travers de sa société Anping, Mao, avance l’EIC, aurait en effet investi dans d’autres clubs européens de second plan. Leur point commun ? Ils trempent tous ou presque dans des soupçons, voire des faits avancés de matchs truqués. Parmi ces derniers, l’Academica de Clinceni (D2 roumaine), où le vice-président Alexandru Dragomir a été suspendu trois mois par la Fédération roumaine. Ou encore le club de D2 irlandaise d’Athlone Town, où deux joueurs ont été suspendus pour douze mois en septembre 2017. Aucun lien direct n’a été établi entre Mao et l’Athlone, mais, après le changement de propriétaire du club en 2016, des joueurs et membres du staff technique en provenance de l’Atlético Clube de Portugal et de l’Academica de Clinceni, deux clubs dans lesquels aurait investi Anping, ont bizarrement débarqué en Irlande pour intégrer la formation de D2.
L’EIC avance également qu’un des coups les plus osés de Mao serait ce consortium de faux arbitres qu’il aurait mis sur pied avec des partenaires à Chypre, pour arbitrer des matchs amicaux depuis 2016. Et ainsi influer sur les résultats et paris applicables aux rencontres en question. Selon l’EIC, Mao serait lié à Androsports, l’entreprise organisatrice de ces matchs amicaux. Ces derniers auraient parfois été arbitrés par un groupe de huit footballeurs étrangers, qui se seraient fait passer pour des hommes en noir officiels, après s’être rendus sur l’île. Parmi eux, on retrouverait des joueurs comme le Letton Kirils Grigorovs, qui a notamment joué à Athlone Town, ou le Roumain Adrian Udrea, qui a évolué à l’Academica Clinceni. Un programme gratiné, qui a conduit l’EIC à tenter de joindre Éric Mao et ses associés depuis plusieurs mois, afin que tous ces gens aient aussi un droit de réponse au regard du cocktail chargé d’éléments qui leur sont reprochés. Sans grande surprise, un coup pour rien : le consortium de journalistes n’a pour l’instant rien eu de mieux à se mettre sous la dent qu’un assourdissant silence radio.
Par Adrien Candau