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La Meinau, l’autre cathédrale
Strasbourg est l'une des belles surprises de cette saison. Or, si aujourd’hui, le Racing a survécu, il le doit à son peuple. S’il revit en Ligue 1, il le doit à son stade. Les tribunes bleu et blanc clament tous les quinze jours, dans la cathédrale de la Meinau, l'amour de leurs couleurs. Une ambiance unique qui a permis au RCSA de regarder Paris, Marseille et Lyon droit dans les yeux.
21 octobre dernier. Thierry Henry revient en France à la tête d’un Monaco agonisant. Premier match test sur les bords du Rhin. Alors que les commentateurs se déchirent sur le supposé désamour des Français envers l’ancienne idole d’Arsenal, la Meinau l’applaudit longuement, avec un infini respect. « Ça n’a rien à voir avec le match, mais merci au public strasbourgeois pour l’accueil, je ne m’y attendais pas vraiment » , déclare le champion du monde 1998. Bienvenue dans un autre stade et un public unique. Un public qui sait peut-être mieux que quiconque ce qu’est la rédemption.
« Notre sang n’est pas rouge, mais bleu et blanc »
« Le Racing est dans l’ADN alsacien. Notre sang n’est pas rouge, mais bleu et blanc. À la Meinau, ce ne sont pas seulement les groupes de supporters qui chantent. Tout le monde vibre à l’unisson… » Jean-Luc Filser, le speaker de la Meinau, résume parfaitement cette sensation qui s’empare de vous dès lors que vous pénétrez l’enceinte, après avoir descendu le petit chemin depuis le Tram A en longeant la pizzeria et le McDo. « La ferveur extraordinaire ainsi que la mobilisation à Strasbourg pour préserver cette institution ont montré que le RCS appartient à tous ceux s’identifiant à ce qu’il représente, à son histoire et à son patrimoine immatériel » , confirme pour sa part Philippe Wolf, président de la Fédération des supporters du Racing.
Pour percer le mystère de cette ambiance hors norme, qui retournent le cerveau et l’estomac de tous les observateurs, il faut revenir à l’histoire particulière du Racing, et la manière dont il fut sauvé du naufrage et des ténèbres.
Certes, le RCSA a toujours tenu une place à part dans la capitale alsacienne. En 1979, une foule massive acclama les nouveaux champions de France (Domenech, Dropsy, etc.), « 100 000 personnes » , croira compter un Gilbert Gress euphorique, des scènes jamais vues depuis la libération en tout cas. Une capacité à se rassembler autour du Racing qui perdurera. « La victoire contre Rennes en 1992 (4-1) en barrages pour la remontée en D1 reste une référence incontournable, se rappelle également Philippe Wolf. Chaleur étouffante, stade comble, des buts superbes… » « La Meinau c’est à part, se souvient Ali Mathlouthi, formé au Racing, avec lequel il a remporté la Garmbardella 2006 et joueur de l’équipe première jusqu’à 2011. Cette année-là, pour le dernier match en National avant la faillite, j’étais très ému. Nous sommes montés dans le kop, c’était particulier, à l’image de ce qui unit le club aux supporters. Je me rappelle aussi un autre moment auparavant en Ligue 2 contre Le Havre. Lorsqu’on a marqué, le bruit m’a surpris. Il était tellement puissant… »
Dans le ventre chaud des derbys de CFA
Toutefois, la vrai genèse de l’actuel engouement date étrangement et justement de la période qui suit, peut-être la pire (hormis l’occupation évidemment). Après une gestion catastrophique, Strasbourg est relégué ans les limbes de la FFF. À la surprise générale, les affluences à la Meinau affichent des chiffres fous pour le CFA ou le National : 6500 âmes de moyenne en CFA2 avec près de 10 883 spectateurs lors du « choc » le 5 novembre 2011 contre le SC Schiltigheim (l’avantage des divisions inférieures fut d’offrir des derbys dans une région où seul le Racing avait survécu au haut niveau). Avec ensuite des pointes à 20 000 en CFA contre le FC Mulhouse et même 26 724 face à Colomiers le 22 mai 2015 en National. Des billetteries dont certains rêvent parfois en Ligue 1. Justement, revenu parmi l’élite, le taux de remplissage avoisine désormais les 95%. Le RCSA squatte sans problème le podium des gradins.
« Au printemps 2011, quand on a redémarré en 5e division, se remémore Philippe Wolf, c’était plus un soulagement qu’un problème, car nous avons très vite constaté que le plaisir de profiter de notre passion commune était plus important que le nom de l’adversaire ou le niveau sportif. Il y avait quelque chose de chevaleresque à continuer à être présent au stade et c’est justement parce que ça n’est pas souvent facile d’être supporter du Racing que c’est valorisant. Le club a su apporter du sens à tout cela et la remontée sportive dans un délai inespéré n’a fait que renforcer l’envie de faire vivre la Meinau. » « De fait, confirme Jean-Luc Filser, une nouvelle génération est arrivée à cette époque. Le fait d’avoir traversé cette période, cette épreuve et l’aventure de la remontée, tout cela a façonné l’attachement au club et renforcé notre fidélité. On sait d’où l’on vient ! »
Nettoyage bénévole, Ranieri et PSG
Ces années de galère vont forger une identité singulière du public et des ultras (UB 90, Kop ciel et blanc, etc.). Une harmonie qui s’est forgée dans le dur et la dure réalité du foot des modestes, loin des lumières et des médias. « Je garde une tendresse particulière pour le premier match à la Meinau en CFA2, notamment parce qu’après la perte du statut professionnel, l’abandon du stade, très coûteux, a été un temps évoqué, confirme Philippe Wolf. Mais la popularité du club, largement déconnectée des résultats, a permis finalement d’y maintenir les matchs, ce qui était essentiel pour la reconstruction du Racing : nous étions près de 10 000 ce jour-là à poser la première pierre du renouveau. La veille, nous étions des dizaines de supporters à nettoyer bénévolement la Meinau pendant des heures, car elle n’avait plus été entretenue depuis de longs mois. » Un club, un stade, un public. En clair, à Strasbourg, la star, c’est la Meinau.
Les joueurs savent ce qu’ils doivent à ce stade qui impressionne les visiteurs. « Je me rappelle notamment Claudio Ranieri l’an dernier, qui avait eu des mots très sympas pour l’ambiance de la Meinau alors qu’il connaît sans doute tous les stades d’Europe » , raconte Philippe Wolf. « Les joueurs s’entraînent déjà devant un kop plein et qui chante, le stade est au deux tiers rempli. Comment ne pourraient-ils pas comprendre et se sentir poussés ? » , constate basiquement Jean-Luc Filser. « Le lien entre la ferveur du stade et les exploits de l’équipe est incontestable, disserte Philippe Wolf. Ce sont les joueurs et le staff qui le disent régulièrement. Il y a sans doute un peu de communication là-dedans, mais c’est sans doute en partie vrai. J’y vois une preuve supplémentaire que l’apport des supporters au football est nettement supérieure aux contraintes d’organisation et de sécurisation qu’ils engendrent. Difficile de ne pas évoquer les matchs contre le PSG. La première défaite parisienne l’an dernier à la surprise générale, y compris la nôtre, et une ambiance étonnante lors des neuf interminables minutes d’arrêt de jeu. Il y avait un mélange magique d’enthousiasme, de sidération, d’angoisse et de fierté. Et aussi Lyon : Liénard, 90e+4. Inoubliable moment, je n’avais jamais vu la Meinau comme ça. Nous étions tous dans un état second. Le football ne vaut que par sa capacité à entretenir les plaisirs et l’innocence de l’enfance : si la passion des supporters rend le Racing immortel, ce but nous a donné l’illusion d’une jeunesse éternelle. » Semper fidelis.
Par Nicolas Kssis-Martov