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La meilleure option

Par Pierre Maturana
5 minutes
La meilleure option

Le licenciement de Claudio Ranieri suscite une vague d’émotions et de réactions impressionnante depuis la semaine dernière, au motif que cette décision serait choquante. Vraiment ?

Il y a quelque chose de l’ordre de l’indignation facile, voire du populisme, dans les commentaires qui ont suivi le licenciement de Claudio Ranieri à Leicester. « Comment peut-on traiter de la sorte l’entraîneur qui a mené une équipe à réaliser l’un des plus grands exploits de l’histoire du football ? » entend-on en boucle. La réponse est pourtant on ne peut plus simple : tout simplement parce que l’homme qui a mené Leicester au titre de champion d’Angleterre au terme d’une épopée extraordinaire – le mot est faible – est aussi celui qui les a menés aux portes de la relégation à l’entame du dernier tiers de la Premier League. Un certain discours voudrait qu’enchaîner un titre avec une descente fasse rentrer encore un peu plus le club dans les annales, renforce la légende et rende l’histoire encore plus belle. Personne ne doute ni même ne nie que cela conférerait à l’aventure du LCFC un romantisme certain, de ces histoires qui font le fameux sel du football depuis toujours.

Mais Leicester, 17e le jour du divorce avec Ranieri, n’a pas vraiment le luxe de s’épancher dans le romantisme. Quel club aujourd’hui, en 2017, peut se permettre d’aller tranquillement dans le mur sous prétexte qu’il vient de réaliser le plus belle saison de son histoire ? Pourquoi, à l’heure du foot business et du culte du résultat, Leicester devrait-il être le seul club au monde à s’affranchir de la règle que tout le monde a fini par intégrer et qui veut que l’entraîneur soit le premier des fusibles ? Que devaient faire les dirigeants de Leicester, alors : virer les joueurs ? Prier pour que Mahrez retrouve ses dribbles, que Vardy se remette à marquer sur chaque demi-volée, que Nampalys Mendy se découvre le volume de jeu de Ngolo Kanté en quelques semaines ? Attendre et espérer sans rien faire que l’équipe retrouve le feu sacré qui lui faisait prendre 10 points par mois il y a un an ? Qu’on se le dise, à ce moment de la saison, il n’y avait pas de meilleure option pour Leicester que de se séparer de son héros d’hier.

La responsabilité du héros

Aussi dur que cela puisse paraître et malgré toute la sympathie que mérite Claudio Ranieri, un titre ne donne pas tous les pouvoirs à un entraîneur. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures : le technicien loué hier pour avoir sublimé une équipe – visiblement – moyenne ne peut pas être exonéré des failles qu’elle présente aujourd’hui. L’exploit restera pour toujours, mais pour l’heure, il est un lointain souvenir pour une formation qui a pris un point en deux mois, s’est fait éliminer par Millwall, un ogre de troisième division, en Cup et tourne à 0,7 but par match en 2017. Et si les joueurs sont forcément coupables de leurs piteuses performances, Claudio Ranieri y est évidemment pour quelque chose : n’attend-on pas d’un entraîneur qu’il sache remobiliser ses troupes dans les moments durs ? Qu’il trouve une vraie solution, au moins tactique si elle n’est technique, pour pallier le départ de Ngolo Kanté ? Qu’il fasse redescendre ses « stars » , Mahrez et Vardy en tête, de leur nuage ? Qu’il sorte son effectif de l’incroyable gueule de bois dans laquelle il patauge depuis mai dernier ?

Le « contre-coût »

L’important aujourd’hui pour Leicester, en tant que club, n’est pas de contempler son histoire, fût-elle récente, mais d’assurer ni plus ni moins que sa survie en Premier League. C’est le dur principe de réalité : pour un club qui fonctionne comme une entreprise, une relégation est une catastrophe économique. Au-delà du défi particulièrement compliqué que représenterait une remontée dans l’élite, surtout en Angleterre (Aston Villa, QPR, Wigan, Blackburn et bien d’autres peuvent en témoigner), une relégation signifierait probablement un exode des joueurs phares du club, des joueurs qui auraient pu se vendre à prix d’or il y a six mois et qu’il faudra brader dans trois. Moins de droits télé, moins de sponsors, moins d’investissements, moins de recettes en général… Une relégation serait aussi synonyme de nombreux sacrifices internes : certains clubs rodés à la lutte pour le maintien budgétisent les conséquences d’une descente en fin de saison, mais un club champion comme Leicester tombera forcément de haut, et devra faire un gros ménage en coulisses, dans les effectifs de son secteur administratif, de son service com’, à la cantine… Autant de « petites mains » qui ont partagé la joie du titre, mais qui auront de vraies raisons de s’indigner s’ils devaient payer les conséquences d’une relégation acceptée sans broncher et par pur romantisme.

Sauver le navire

Bien sûr, le timing semble bancal : pourquoi ne pas s’être séparé de Ranieri à la trêve ? Pourquoi ne pas avoir attendu le huitième retour face à Séville en Ligue des champions, où les Foxes conservent toutes leurs chances de qualification en quarts de finale ? Oui, c’est triste pour Claudio Ranieri, lui qui avait déjà été évincé de façon au moins aussi brutale de Chelsea en 2004 ou de Monaco en 2014 alors que ses équipes sortaient de très belles saisons. Mais qui s’est ému de l’éviction de José Mourinho en décembre 2015 alors que ses Blues pointaient dangereusement à un point de la zone de relégation quelques mois après avoir soulevé leur premier titre de champion depuis 2010 ? Personne, parce que Chelsea avait tout simplement besoin d’essayer autre chose pour ne pas regarder le navire couler. Pourquoi en serait-il autrement à Leicester ? Avec le recul, Claudio Ranieri aurait sans doute mieux fait de négocier une séparation dès l’été dernier, au lendemain d’un exploit que personne n’oubliera jamais. Mais c’est bien connu, les entraîneurs ne partent pas. Ils attendent toujours qu’on les pousse dehors, avec le chèque qui va bien. Cela date de la nuit des temps. Pas du 21 février 2017.

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