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La malédiction bordelaise
Pourquoi, saison après saison, depuis plus de vingt-cinq ans, la Coupe de France chez les Girondins de Bordeaux est-elle synonyme de fiasco ? Pourquoi l'autre trophée aux grandes oreilles ne veut pas entendre l'appel des Marine et Blanc ? Voici quelques éléments de réponse, pour l'autopsie d'un malaise. Âmes sensibles, s'abstenir.
Parce que les Aquitains ont souvent un mental de gaufrette.
Il n’est jamais facile de se motiver quand il faut aller se faire croquer par un adversaire qui en veut plus, qui joue sa saison sur un match, et qui veut se montrer pour attirer l’œil des clubs plus huppés. Autrement dit, très souvent, celui du monde professionnel. Les Girondins en savent quelque chose, car leur histoire est jalonnée de désillusions en Coupe de France. Et s’ils sous-estimaient maladroitement leurs vis-à-vis ? Bon, pas dans les déclarations d’avant-match, bien sûr, mais sur le terrain, inconsciemment. On en a vu plein des comme ça, du côté du Haillan, depuis le dernier sacre en 1987, face à Marseille (2-0), au Parc des Princes. Bourges, Saint-Maur-Lusitanos, Bayonne, Montceau-les-Mines, Sedan et autres… Des formations amateur, semi-pro ou de Ligue 2, qui se sont envoyé le club qui a gagné trois coupes et qui détient encore le plus grand nombre de finales perdues (6). Pas bandant le challenge, et pas joli-joli de snober… mais surtout, très cruel à la fin.
Parce que qu’être favori, ça tétanise.
« Les gens en parlent et on entend de tout… Et comme Bordeaux est une ville un peu plus grande qu’Évian, Lorient ou Troyes… de suite, on est favori ! Mais non ! Le football ne se joue pas sur la taille d’une ville ou de l’histoire. Bon, c’est clair qu’il y a quelque chose de beau à jouer, même si le seul regret, c’est de ne pas avoir joué à la maison la demi-finale. » Cédric Carrasso n’aime pas l’étiquette, on l’a compris. Lui qui a déjà connu trois demi-finales (deux avec l’OM), dont une perdue face à Guingamp avec Toulouse, dans un excès de suffisance collective. Lui qui regrette aussi, dans la compétition, de ne pas avoir reçu à Chaban-Delmas, depuis deux ans et demi (janvier 2011). Lui qui sait : « Il n’y a pas de vérité : c’est du 50/50. » Lui qui fera tout, donc, pour enrichir un palmarès personnel pas super étoffé, et faire le taf. « C’est important d’aller au Stade de France pour éviter une fin de saison en roue libre, et on est là pour ça ; ça fait partie de notre métier. » CQFD. Renvoi direct au paragraphe 1.
Parce que se faire humilier, ça ridiculise.
Rappel : l’édition 1999-2000, qui fait suite à un éclatant titre de champion de France pour les Girondins, restera encore probablement longtemps comme l’un des pires moments vécus par le club depuis sa création en 1881. Calais, et la bande de Christophe Hogard, pensionnaire de CFA, décident de se les vider sur un terrain de Félix-Bollaërt en ébullition, face aux cadors. Les Boyz de Ladislas Lozano (future) éteignent ceux d’Élie Baup. Jandau, Millien, Gérard, Schille, quasi inconnus de la France du foot jusque-là, tapent sans rougir les Ramé, Bonnissel, Micoud, Laslandes, Dugarry. Syndrome post-traumatique, les Bordelais, depuis, ne roulent plus qu’en automatique, histoire de ne jamais plus caler. Le cauchemar sévit encore dans les mémoires, même s’il se dit autour de la Place de la Victoire que ce match n’a jamais existé. Pourtant, c’est le FC Nantes, ennemi héréditaire du littoral Atlantique, qui vengera les Aquitains. Sinon, en 1988-1989, Beauvais (D2) sort en 32e de finale, la formation d’un certain Vincent Lizarazu (1-1). Tirs au but fatidiques (3-2) : Éric (presque) « The King » Cantona délivre une panenka pourrie, que le portier adverse arrête dans son lit. Glauque, comme le ridicule.
Parce que trop de Coupes de la Ligue tue la Coupe de France.
La coupe aux grandes moustaches, c’est devenu la hype en Gironde. Le truc qui fait passer le cancre en classe supérieure, en fin d’année. Bim ! 3 victoires, plus 3 finales perdues. Le joujou du club au scapulaire. « Au niveau de l’excitation, pour Bordeaux, pour la ville, pour les gens qui aiment ce club, la Coupe de France, c’est mythique, s’exclame Cédric Carrsso. La Coupe de la Ligue a été gagnée ici, c’est bien, mais ça n’a pas la même saveur, poursuit-il. On va essayer de faire plaisir à tout le monde, ce serait génial. » Tant pis pour Thiriez, tant mieux pour les fans. « Je pense qu’on a été à la chasse au trophée européen… j’entends par là qu’on a privilégié la Coupe de la Ligue, par exemple, car en quatre ou cinq matches, on peut-être en Coupe d’Europe » , constate, nostalgique, Philippe Fargeon, ancien attaquant des Girondins, et l’un des derniers à avoir soulevé le bocal en 1987 (buteur ce jour-là). Je regrette qu’aujourd’hui, on parle plus de la Coupe d’Europe que de la Coupe de France… C’est un trophée qui plaît au public et un trophée qui en est d’abord un, avant d’être synonyme de place européenne… même si ça va de pair. Actuellement, c’est aussi la seule possibilité pour un joueur d’inscrire un titre au palmarès, avant de partir. »
Parce qu’il vaut mieux sentir les petits fours que la merguez.
Benoît Trémoulinas avait enflammé le barbecue en disant, avant d’éliminer Moulins (CFA) en 16e chez lui, qu’il se méfiait « de l’odeur de la merguez » autour des « stades champêtres » . Bon, pas très tact, mais efficace. Chemin bien long pour accrocher l’Europe, pas évident, donc, pour les Bordelais de se qualifier – historiquement parlant – au-delà des quarts de finale. En vingt-six ans, le maxi : deux demi-finales. Calais en 1999-2000, et le PSG, au Parc, en 2002-2003. Le doublé de Ronaldinho (2-0) ayant mis fin à l’aventure des visiteurs…
Alors Troyes, avant-dernier de Ligue 1, est-il synonyme de piment dans la saison, pour les Girondins ? « Oui, car on veut aller loin dans la compétition… ça reste une motivation et un challenge supplémentaires, et c’est vrai qu’entrevoir une finale au Stade de France, ça peut être extraordinaire, indique Julien Faubert. C’est un objectif et, au niveau de l’envie, ça donne un coup de boost. » Même quand il s’agit du cinquième déplacement en autant de matches. Mais c’est à ce prix que les Girondins pourront sauver leur saison. Sinon, ils feront comme souvent, ils seront victimes de la malédiction…
Par Laurent Brun