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La Ligue 1 qui valait un milliard
En empochant plus d'un milliard d'euros de droits télés par an, notre Ligue 1 a enfin réussi à rattraper en grande partie son retard sur les autres championnats européens qui dominent le Vieux Continent. Derrière cette manne qui va submerger les pensionnaires de notre élite, le rêve de pouvoir enfin récolter de nouveaux titres européens (après l'amère leçon marseillaise), enclenchant un cercle vertueux avec les investisseurs et les sponsors. Toutefois, l'enthousiasme autour de ces chiffres faramineux risque de dissimuler aussi le vrai problème du foot capitaliste made in France : son manque de stratégie sur le long terme.
Une première question mérite d’être éliminée de suite : se demander si la Ligue 1 vaut 1,153 milliard d’euros par an. Une telle réflexion n’a aucune forme d’intérêt. Si un espace du foot pro répond aux logiques classiques de l’offre et de la demande dans le capitalisme moderne, ce sont bien les droits TV. Naturellement, la montée en gamme du PSG, l’arrivée de Neymar, mais aussi le retour sur la scène européenne de l’OM et le maintien de l’OL et de Monaco ont certes contribué à rendre attractif l’appel d’offre de la LFP. Mais c’est aussi, et surtout, le talent de la LFP depuis l’ère Thiriez pour susciter de nouveaux prétendants et gonfler les tickets d’entrée qui force l’admiration. Que le montant soit découplé de la qualité du spectacle reviendrait à s’étonner de confondre mérite et valeur.
Télé-dépendance
Pour en revenir au fond de l’affaire, au-delà des larmes de crocodile versées sur la disparition de Canal « l’opérateur historique » , les véritables analyses devraient d’abord se pencher sur les effets pervers potentiels que peuvent avoir de tels revenus. On se souvient que la fameuse taxe Hollande sur les millionnaires avait permis indirectement de constater l’ampleur de la flambée des salaires parmi des clubs (eux qui n’avaient a priori pas ambition à réclamer de telles rémunérations).
L’un des résultats de l’augmentation des dividendes audiovisuels a été de stimuler le marché intérieur du joueur moyen, faute de pouvoir toujours concurrencer les propositions d’outre-Manche. Peu de clubs tricolores ont pensé compenser cette distorsion (le dernier de Premier League touchant autant qu’un PSG champion) en regardant vers l’avenir, en investissant sur la formation ou en renforçant des cellules de recrutement capables de dénicher des perles à un tarif accessible.
L’autre danger serait de voir la télé-dépendance s’accroître davantage, pour fragiliser l’édifice du « modèle français » , si précieusement construit à coups de DNCG. Si personne ne doute de la solvabilité du groupe sino-espagnol, le libéralisme est cruel, et la Bundesliga, en son temps, avait durement payé la faillite de son principal diffuseur.
Une visibilité à l’internationale
À partir de 2020, l’écart entre la Ligue 1 et ses concurrents va partiellement se résorber, d’autant que la Premier League va subir une légère baisse pour les droits domestiques. Il reste donc à savoir ce que les clubs de Ligue 1 vont bien pouvoir faire de ce joli deal. D’abord en se rappelant que nos voisins anglais disposeront toujours d’une visibilité à l’internationale qui remplit leurs caisses (plus de 3 milliards d’euros) et qui continue de maintenir une prédominance proche de la NBA dans le basket. Et ce ne seront pas un ou deux matchs à 13h qui renverseront deux décennies d’hégémonie du foot anglais en Asie ou du Real Madrid en Afrique du Nord.
La remontada économique exigera d’articuler la construction d’un nouveau rapport au stade, au merchandising et de bâtir une vision du club en tant que « société de spectacle » . Bien sûr, la quête du palmarès européen reste un des paramètres pour que la saison plutôt excitante dont nous sortons puisse connaître de dignes héritières. L’élever au rang de but ultime et immédiat reviendrait à se casser éternellement les dents sur la solidité des autres grands d’Europe, dont la force s’est sédimentée depuis des décennies. Enfin, et dernière pierre d’achoppement, la crainte de voir pareille aubaine ressusciter les envies inégalitaires de notre Big 4 local, au risque d’amoindrir le gain quantitatif et qualitatif que pourrait en retirer le ventre mou. Une fois encore, la culture du court terme peut transformer le tour de magie de la LFP en cadeau empoisonné.
Par Nicolas Kssis-Martov