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La Ligue 1 à 18 est-elle pire que la Superligue ?
Dans deux ans, ils ne seront plus que 18 à se disputer le titre et les places européennes. Cette décision présentée comme inévitable, mais qui fut loin d’être unanime au sein des instances du foot pro, était dans les tuyaux depuis un bout de temps. Alors que le projet de Superligue revient discrètement par la voix des tribunaux européens, voilà peut-être un nouveau front qui s’ouvre, et qui entraîne encore un peu plus le ballon rond loin de son histoire culturelle et de son rôle social.
On le redoutait, c’est désormais acquis. La Ligue 1 se jouera à 18 en 2023-2024. Un an de répit gagné certes pour certains clubs, mais la guillotine s’est bel et bien abattue. Pressés par les diffuseurs potentiels, dont un Canal+ plus que jamais maître du jeu, et angoissés par la crise économique qui s’annonce, les clubs puis la LFP se sont finalement accordés pour resserrer l’élite. Toujours évidemment au prétexte d’offrir un plus beau spectacle, d’assurer les arrières financiers des heureux élus, et finalement de courir après ce rêve fou de rivaliser avec le fameux Big 4 de l’UEFA (Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne).
Le faux argument du contexte
Naturellement, les « petits » ont râlé, conscients qu’ils allaient être gentiment évincés, dans la fournée des 4 sacrifiés (4 descentes de L1 et 2 montées de L2 en 2023). Bien sûr, tout le monde, le président du PSG le premier, a juré ses grands dieux qu’il ne s’agissait pas de se diriger vers une ligue semi-fermée. Les arguments présentent les atours du bon sens, le maquillage de toute régression réactionnaire. L’époque post-Covid nécessiterait d’en passer par là. Pourtant, Vincent Labrune nourrit cet objectif depuis fort longtemps. En 2012, ne déclarait-il pas déjà : « Il vaut mieux gagner un titre que de se taper quatre matchs de plus de championnat. Il faut donc repasser à 18, voire 16 clubs. »
Les impératifs économiques dictent leur loi. Le foot pro réclame de la stabilité, alors que l’échec de Mediapro et les perspectives du mercato se conjuguent pour assécher, provisoirement, toute folie des grandeurs. L’illusion compétitive est partiellement maintenue à la différence du bébé de Pérez et Agnelli. Toutefois, la logique – notamment garantir toujours aux principaux pensionnaires de L1 leur place et leurs revenus – se révèle davantage pernicieuse pour aboutir à un résultat identique. Cette réforme de la Ligue 1 peut d’ailleurs sembler, par son hypocrisie, bien pire que la Superligue, car elle s’inscrit dans la longue liste des micro-réformes qui transforment en pointillé le visage du foot, et appauvrisse irrémédiablement sa dimension populaire depuis plus de vingt ans.
Un foot les pieds sur terre
Pourtant, même le foot pro ne se résume pas qu’à une affaire de gros sous. Et au lieu de regarder vers les étoiles de la Premier League, la L1 serait inspirée de tourner le regard vers les territoires qui la font vivre, vibrer et pour tout dire exister (bien plus que les ridicules droits télé à l’international). En rognant le bord de cet Hexagone footballistique, un championnat à 18 perd de son sens et de son intérêt, donc de sa valeur. Cette saison, Dijon et Nîmes sont redescendus au purgatoire. Toulouse s’est cassé les dents sur les barrages. Comment s’appelleront les prochaines victimes de cette « sélection naturelle » ? Strasbourg ? Reims ? Angers ? Quelles perspectives demeureraient pour les clubs corses ? Sans parler du risque non négligeable de voir s’en aller des institutions comme Bordeaux ou Nantes.
L’assise territoriale et historique de notre foot national reste sa principale force, y compris en Ligue 1 et Ligue 2 (sans parler évidemment du National 1 et du National 2). La Premier League (qui compte vingt participants sans problème) l’a redécouvert avec l’épisode récent de la Superligue. Y compris les mastodontes tels que United ou Chelsea qui ne peuvent ignorer leurs « fans » et les « communautés locales » au nom desquelles ils s’expriment. Une première division à vingt contribue à irradier leur « province » (davantage que de briller à l’étranger). Besoin de citer les cas du Havre, Auxerre, Amiens ou Clermont ? La raison d’être du football dans notre pays se forge dans son inscription dans le paysage français. Passer de 20 à 18 clubs de Ligue 1, c’est mépriser cette réalité.
Par Nicolas Kssis-Martov