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La légende du Sporting Club de Toulon

Par Vincent Riou
La légende du Sporting Club de Toulon

Les joueurs les plus virils de leur génération, le neveu de Francis le Belge en formation, un maire aux amitiés douteuses, de drôles d’oiseaux qui défraient la chronique judiciaire, un public chaud bouillant, une caisse noire qui fera des dégâts et un personnage plus gros que nature, Rolland Courbis. Pour tout cela, les esprits étriqués considèrent que le football pratiqué à Toulon entre 1983 et 1993 était un sport de voyous pratiqué par des voyous. Tentative de réhabilitation.

Clap de fin. Un beau jour de 1990, à Marseille, Bernard Casoni, Pascal Olmeta et Bernard Pardo sont arrêtés en plein entraînement de l’OM par la police sous les yeux ébahis de leur coach Franz Beckenbauer, et placés en garde à vue. Rien à voir avec les futurs soucis judiciaires de leur boss Bernard Tapie. Ces emmerdements-là remontent à leur vie d’avant: celle qu’ils ont vécue au Sporting Club de Toulon, dans les années 1980. Une aventure menée tambour battant à la frontière de la légalité, qui a propulsé le club de la troisième division aux portes de l’Europe en une décennie, avant de se dissoudre dans des vapeurs de caisse noire. 1990: l’entraîneur Rolland Courbis et le directeur administratif Éric Goiran sont incarcérés et inculpés pour détournement d’argent, malversations financières et faux en écriture. 1992: les joueurs ne reçoivent plus leurs salaires. 1993: le Sporting est relégué en deuxième, puis troisième division, trente-deux joueurs quittent le club d’un coup. Commentaire de Frédéric Meyrieu, meneur de jeu de 1990 à 1993: « Comme on n’était pas payés, j’ai dû quitter ma maison et retourner vivre chez mes parents, heureusement qu’ils étaient dans le coin. Mais cela restera comme les années les plus heureuses de ma carrière. » Ou le paradoxe toulonnais: comment des joueurs qui ont connu l’équipe de France, la coupe des champions et le titre de champion de France gardent au hit-parade de leur mémoire des matchs gagnés au couteau et des salaires versés en dessous-de-table. Le tout dans une ville de « canailles », comme se le rappelle avec émotion Bruno Germain.

Bernard Pardo

Comptes rendus de matchs bidon

La réponse tient en deux mots, ou presque: Rolland Courbis. Rolland –« avec deux ‘l’, de manière à s’envoler plus haut », comme le racontera un jour son père– est un ancien défenseur central maison, pilier –avec Onnis, Boissier, Emon, Dalger– de l’équipe historique qui a fait monter le club en D1 à l’issue de la saison 82-83. Passé directeur sportif un an à peine après sa retraite sportive en 1986, Courbis enfile dans la foulée le costard d’entraîneur. Est-ce parce qu’il est encore joueur dans sa tête? Toujours est-il que sa méthode n’a rien à voir avec celle de l’autre grand expérimentateur de l’époque, Guy Roux. Là où l’Auxerrois traque ses ouailles en boîte, le Méridional, lui, les y accompagne. « Il était avec nous, c’était notre caution. Il y avait les célibataires, les traîne-savates comme moi, et d’autres aussi qui étaient mariés, mais qui ont pour la plupart divorcé depuis, donc il y a prescription. On finissait souvent à la Scala, la première boîte de Jean-Roch, ça pouvait être tard, pour le café du matin on va dire », rigole Joël Henry, déjà l’un des héros des folles années brestoises. Il faut dire que lorsque le soir arrive, les Toulonnais sont déjà sur une belle lancée. Après l’entraînement, la petite bière au bar est souvent de rigueur. Et le midi, il arrive que l’on se retrouve au restaurant entre coéquipiers. Passionné de rugby, Philippe Fargeon se souvient d’un gueuleton mémorable dans un restaurant de poissons avec Courbis et Daniel Herrero, le gentil père Noël de l’ovalie locale. C’était à Sanary-sur-Mer, où Toulon se retrouve au vert une veille de match contre l’OM. Au réveil, l’attaquant s’étonne de la présence policière dans l’hôtel. « Il y a eu une alerte à la bombe, j’y ai pas cru, je ne vous ai pas réveillés », lui confie Courbis.

Il y avait les célibataires, et d’autres aussi qui étaient mariés, mais qui ont pour la plupart divorcé depuis, donc il y a prescription. On finissait souvent à la Scala, la première boîte de Jean-Roch, ça pouvait être tard, pour le café du matin on va dire

Arrivé en cours de saison 88-89, prêté par le Servette, Fargeon aura vite compris qu’il n’avait pas affaire à un entraîneur comme les autres. Lors de son premier déplacement, à Nancy, alors qu’il prend congé pour aller dormir, Courbis lui lance: « Tu fais quoi garçon? Quand on commence une partie de cartes, il faut la finir. » Avec Courbis, les stages se déroulent de préférence dans des villes équipées de casino. L’ancien défenseur Jean-Louis Bérenguier se souvient d’une préparation au Touquet: « Le premier jour, on fait un footing, on dîne, et Rolland nous donne rendez-vous une demi-heure plus tard. Nous les anciens, on revient bien sapés, chemise blanche, Gomina, et les deux Hollandais, les nouveaux, en survêt et claquettes. Là, Rolland dit: ‘Le premier qui rentre avant minuit et demi, il a une amende!’ Les mecs ont halluciné. On était les premiers à reprendre la saison, parfois une semaine avant les autres, mais parce que justement on y allait doucement, d’abord la bringue, et ensuite on accélérait le rythme. »Avant de se transformer en homme de terrain, Laurent Paganelli prit lui aussi part à l’aventure toulonnaise. De Courbis, il dit: « Rolland, on n’a jamais su quand, où, avec qui, et même s’il dormait. C’est le Depardieu du foot. Avec lui, il y avait toujours deux feuilles de route, une qui finissait à 1 heure du mat’, l’autre à 8. C’est simple: avec Rolland, le mec qui sortait pas le soir, il était pas titulaire le lendemain! De toute façon, il voulait sentir le potentiel déconnade d’un mec avant de le recruter. Les types trop carrés, il les prenait pas. » Des souvenirs, le consultant aux allures de moniteur de ski en a à revendre, comme cette semaine aux Baléares « avec Marcel Dib en GO »: « On était partis faire trois matchs amicaux, mais finalement on ne les a pas joués, on envoyait au club des faux comptes rendus de matchs. » Les jours de championnat, le planning ne change pas: « Le midi, on mangeait ensemble et on buvait du pinard, on était un peu éméchés, à 5 heures on jouait aux cartes ou à la pétanque, mais je peux te dire qu’à 20h30 ça bougeait, c’était l’union sacrée, on donnait tout. La prime, chez nous, elle était de cinq cents, alors qu’elle était de cinq mille à Bordeaux. Mais on pouvait battre n’importe qui et on fêtait ça. Rien que d’en parler là, j’en ai des frissons. »

Le Sporting avant un match en juillet 1991

Copains boxeurs et experts en baston

Des frissons, le meneur de jeu Gérard Bernardet et ses copains se souviennent en avoir eu un jour de déplacement à Brest. L’épais brouillard rend l’atterrissage périlleux, mais Courbis ordonne au pilote de prendre le risque. « On a vraiment failli s’écraser. Le lendemain, avant le match, pour bien montrer que c’est lui qui avait pris ses responsabilités sur ce coup-là, Rolland a sorti des billets de sa poche et a dit devant les dirigeants:‘Si vous gagnez, c’est moi qui paie les primes.’ Bon, on devait encore avoir les jambes qui tremblaient parce qu’on en a pris quatre. Mais c’est tout Rolland. » À Toulon, l’avant-match selon Courbis ne manque pas de piquant. Voilà un homme qui avoue sans honte avoir parfois poussé un peu loin le cérémonial d’accueil des visiteurs: vestiaires surchauffés l’été, eau glaciale dans les douches en hiver, vieux ballons mal gonflés d’une autre marque à l’entraînement. « C’est pas interdit par le règlement et ça fait partie du folklore sympathique, non? »interroge-t-il aujourd’hui avec le recul. Effectivement, c’est somme toute assez classique, mais c’est surtout très en dessous de la vérité. Paganelli se souvient ainsi que dans les couloirs traînaient des copains boxeurs du Rolland, experts dans la baston du regard. Et que lorsque les joueurs arrivaient dans les vestiaires, le sol des douches était déjà tapissé de posters de l’équipe adverse. Manière de dire: si vous voulez boire le champagne, vous savez ce qu’il vous reste à faire pendant 90 minutes… Parallèlement, des sorciers africains distribuent amulettes et pendentifs aux joueurs et vont jeter des sorts sur le terrain… Et puis arrive le moment de la causerie. « J’ai beaucoup appris en assistant à la préparation des matchs des rugbymen, affirme Courbis. Comment présenter les choses, ne pas se tromper dans le contenu, la durée, le moment. La causerie peut apporter un plus ou un moins, un match peut se perdre avant même d’être joué. » Celui que l’on n’appelle pas encore « coach » n’a pas son pareil pour transformer mentalement les outsiders en favoris. Paganelli se souvient ainsi qu’il les enregistrait parfois et les faisait écouter à la famille, à ses amis: « C’était extraordinaire, on avait l’impression d’être le Real Madrid qui va affronter une DH. Je vais te dire, Rolland sur le banc, il était tellement pertinent et drôle que je voulais être remplaçant! »

PSG/Toulon en 1986

« Déguise-toi en gardien de but »

Si Courbis peut se permettre de la jouer copain avec son groupe, c’est qu’il est aussi respecté pour sa science du jeu. Paganelli toujours: « Je me souviens d’un match gagné à Paris contre le Matra de Littbarski et Francescoli, il avait mis en place une défense à plat et deux latéraux très offensifs. À cette époque, je ne suis même pas sûr que le Milan jouait comme ça! » Bernard Casoni en rajoute une couche: « Il s’adaptait beaucoup à l’adversaire et était en avance sur des choses qui sont normales maintenant: défendre en avançant, faire le pressing sur le porteur du ballon, et puis jouer la zone, surtout… » Courbis, c’est le type qui donne des cours de tactique illustrés avec un verre de whisky et des pièces de monnaie à 2 heures du matin. Luigi Alfano se souvient d’un coup de fil au cœur de la nuit: « On allait jouer Bordeaux, et pendant l’entraînement, Rolland avait dit que quelqu’un d’autre marquerait Scifo à ma place. Je lui avais dit: ‘C’est dommage, parce que moi, le Belge, j’aurais bien aimé le prendre.’La nuit suivante, alors que je dormais, téléphone:‘Tu m’as fait gamberger, tu prendras Scifo au marquage.’ Quand je lui ai demandé si ça pouvait pas attendre le lendemain, il m’a répondu:‘Non, comme ça, tu as le temps d’y réfléchir.’ »

Rolland, on n’a jamais su quand, où, avec qui, et même s’il dormait. C’est le Depardieu du foot. Avec lui, le mec qui sortait pas le soir, il était pas titulaire le lendemain

En réalité, le management selon Courbis est basé sur un constat simple. « J’ai jamais compris la formule:‘On ne change pas une équipe qui gagne.’ Pour moi, un groupe avec plusieurs options a toujours été préférable à une équipe type », dit-il. Ces différentes options s’imposent selon l’adversaire, mais aussi en fonction des associations complémentaires. « J’expliquais aux joueurs qu’il y a des endroits, grâce à un certain contexte, où des hommes moyens peuvent former des duos ou des trios d’une complémentarité redoutable, et finalement s’avérer beaucoup plus précieux que des joueurs dits exceptionnels. » Surtout, il y a un temps pour déconner, mais il faut savoir s’arrêter. « Attention, c’était un tueur, impitoyable si tu ne donnais pas tout à l’entraînement ou en match », dit Jean-Louis Bérenguier. Un jour de match contre Montpellier, Luc Borelli étant blessé, c’est l’éternel goal remplaçant Dominique Murati qui s’y colle. Il se prend deux buts, dont un jugé évitable en fin de première période. Alors qu’il se fait masser à la mi-temps après s’être plaint d’un mauvais choc, Courbis fulmine et lui lâche: « Arrête tout. » Puis il se retourne vers Luigi Alfano, défenseur de métier: « Déguise-toi en gardien de but. » Luigi s’exécute et croise dans le vestiaire Cantona, qu’il chargeait jusqu’alors. « Mais tu fais quoi? »lui demande le Montpelliérain. Finalement, Alfano ne se prendra qu’un pion, par Laurent Blanc. Luigi, un homme polyvalent: lors d’un huitième de finale de Coupe de France aller (1-1) à Marseille saison 1988-1989, il joue avant-centre, et score! Au retour à Toulon, l’OM l’emportera in extremis après prolongation.

Les larmes de Ginola

Car à Toulon, et parfois à l’extérieur, le Sporting fait la loi. Courbis a choisi des hommes taillés pour les opérations maintien. Et revanchards, qui plus est. À la sortie d’une dérouillée 8-2 à Sochaux, les Rascasses repartent sous les quolibets des Lionceaux. À Mayol, la saison suivante, Sochaux ne passera pas la moitié de terrain… « Les matchs qu’il fallait gagner, on les gagnait dans le tunnel » , confie Paga. Alfano et Bérenguier, qui ont fait toute leur carrière au Sporting, rendent hommage aux anciens: « On a beaucoup appris de gens comme Rolland ou Bernard Boissier. » Pour calmer les meilleurs éléments offensifs du camp d’en face dans les premières minutes, on n’a en effet jamais fait mieux que Bernard Boissier et sa fameuse technique du faux contrôle raté: le joueur adverse qui croit pouvoir récupérer le ballon en bout de course se fait alors proprement découper. La classe. « Je revois encore Ferreri sortir du terrain en gueulant:‘Il est fou, il est fou!’ Boissier, c’était un cauchemar, et le pire, c’est qu’en plus il te faisait des petits ponts en match, le gars », se marre Paga. C’est un fait: il y a eu des casseurs à Toulon, mais des casseurs polyvalents. Bérenguier se vante ainsi d’avoir fini trois fois meilleur passeur du club, mais pas d’avoir été élu meilleur défenseur de D1. Quant à Alfano, il disposait peut-être du meilleur jeu de tête de l’histoire du foot. Dans un reportage de Téléfoot, Courbis se fout de sa gueule en expliquant qu’il n’a aucun mérite avec son front plat et son nez tellement cassé qu’il « le remet comme on remet une cravate ». Reste qu’avant d’être son coéquipier, Meyrieu avait une image d’Alfano plutôt flippante:« C’est simple, il me courait après avec la main levée comme s’il allait me dérouiller. » Fargeon, lui aussi, se souvient qu’avant son premier déplacement à Toulon avec Bordeaux, on lui avait dit de ne pas trop s’amuser avec la balle parce que l’on comptait sur lui toute la saison. Aujourd’hui qu’il connaît l’animal, c’est différent:« Alfano, c’est un amour en dehors, comme d’ailleurs souvent ceux qui font peur dans le foot. » Bérenguier de confirmer: « Avec Luigi, on n’a jamais blessé personne, des arcades peut-être, mais on rentrait dans le lard sans que ce soit dangereux. »

On a eu plusieurs rendez-vous avec des joueurs qui nous intéressaient et qui nous demandaient une prime à la signature nette d’impôt. Alors on s’est réunis avec Maurice Arreckx et on s’est dit: ‘On va faire sortir une somme au black’

Au milieu de ces brutes au grand cœur brillent quelques étoiles. Laurent Paganelli, donc, mais surtout le jeune David Ginola, pas encore « Magnifico » mais déjà trois classes au-dessus du tout-venant de la D1. « Ginola, j’ai partagé sa chambre, et c’était pas facile pour lui, se souvient Joël Henry. Il chialait pas, mais presque, les anciens ne lui ont pas déroulé le tapis rouge. La jeunesse, l’élégance, les dribbles, il avait tout pour lui. Je lui disais:‘Reste avec moi, t’inquiète, ils sont jaloux.’ » Bizarrement, l’attelage fonctionnera. En 1988, Toulon échoue à un souffle de la qualification européenne en terminant cinquième du championnat, le meilleur classement de son histoire. Et dans une ville traditionnellement tournée vers le rugby, le football enflamme les gradins du stade Mayol. Du jamais-vu avant, ni après.

« Ici, c’est Pagnol hein, pas Wim Wenders »

Quand il évoque les succès du Toulon de ces années-là, Mourad Boudjellal, enfant du pays et actuel président du club de rugby de la ville, avance la thèse suivante: « Il y a un problème identitaire à Toulon, car la ville est coincée entre Nice et Marseille. Voilà qui explique notre volonté d’exister à travers le sport, de nous faire connaître pour autre chose que le meurtre de députés ou le sabordage de la rade. Quand on venait jouer ici, on allait chez les oufs. On est dans l’excès. Ici, c’est Pagnol hein, pas Wim Wenders. » Hélas pour Courbis et sa bande, leur aventure se confondra justement avec ce qu’il faut bien appeler le folklore varois des années Yann Piat (1). C’est qu’à sortir tard le soir, les joueurs de Rolland sont amenés à croiser les gars du milieu. « Les champs de course, les casinos, forcément, si tu fréquentes ce genre d’endroits et que tu aimes la nuit, tu fais des rencontres, tu côtoies des gens qui ont une autre façon de vivre et de voir les choses. Jean-Louis Fargette par exemple, le mec qui tenait des discothèques, j’ai appris bien plus tard qui c’était, quand il s’est fait assassiner », témoigne Joël Henry. Jean-Louis Fargette? Aussi appelé « Savonette », la « connaissance » d’Henry était en fait l’un des grands parrains varois, mouillé jusqu’au cou dans à peu près tout ce qu’il y avait d’illégal dans le 8-3 à cette époque.

Avec Luigi Alfano, on n’a jamais blessé personne, des arcades peut-être, mais on rentrait dans le lard sans que ce soit dangereux

À son enterrement à La Valette-du-Var, en 1993, on croisa plusieurs milliers de personnes et une épitaphe: « Tu es le boss et tu le resteras toujours. » Fargette était proche de Maurice Arreckx, maire marron de Toulon jusqu’en 1985 et… bienfaiteur de l’équipe de foot. Encore joueur, « coach » était allé voir l’élu pour que Toulon continue de jouer à Mayol. « Socialement, économiquement et politiquement, le foot ne pesait rien par rapport au rugby. Mon idée, c’était de dire qu’il fallait partager, notamment les infrastructures, le stade, qui pouvait servir aux deux. Arreckx était intelligent, il a compris », expose Courbis. Le politicien sera aussi aux premières loges quand sera prise la décision de créer une caisse noire, nécessaire à la venue de joueurs du calibre de Joseph-Antoine Bell, Philippe Anziani, Bernard Pardo ou encore Laurent Roussey. « On a eu plusieurs rendez-vous avec des joueurs qui nous intéressaient et qui nous demandaient une prime à la signature nette d’impôt, en nous disant que ça se passait comme ça ailleurs,se souvient Courbis. Alors on s’est réunis avec Maurice Arreckx et on s’est dit: ‘On va faire sortir une somme au black.’ » Alors président du conseil général du Var, Arreckx détaille la combine à Courbis et Alain Asse, le président du club toulonnais:« Il nous a dit: ‘Je vais me démerder pour vous filer trois millions de francs. Pour qu’il n’y ait pas de jaloux, on dira que c’est pour le centre de formation, mais on s’en fout, vous les filez aux pros si vous voulez!’ » Acharnement symbolique pour le Sporting, l’éclosion dans l’effectif de François Vanverberghe (2), le neveu du parrain Francis le Belge. « François, il a joué en pro en D2 après mon départ, mais bien sûr que je l’ai connu, il est arrivé à 19 ans. Le Belge, c’était pas un intime, je le connaissais, comme tout le monde, je l’ai vu deux fois en trente ans, une à Paris où il est venu me féliciter pour ce que je faisais dans le foot, une autre à Saint-Raphaël ou Fréjus », explique l’entraîneur, qui se défend d’avoir copiné avec les gangsters de son temps: « Ce n’est pas parce les frontières sont poreuses qu’il faut les traverser, OK, mais ce n’est pas non plus parce que M. Arreckx avait des relations avec des marginaux que je n’allais pas leur parler! »

Roger Mendy, défenseur de Toulon à la fin des années 80

« Et Rolland s’est retrouvé en prison… »

Forcément, l’histoire ne pouvait que mal finir. Elle finira mal. Lors de la saison 1990-1991, le Sporting assure son maintien in extremis à la dernière journée, grâce à un nul contre Monaco (1-1). C’est que la méthode Courbis a aussi ses limites. « Quand on fait Roussey en 87, les médecins du club nous disent qu’il a une chance sur deux de se péter le genou. Fallait pas le prendre, mais Rolland a insisté pour le financer grâce à un de ses amis, l’un des grands argentiers de la ville. Trois matchs après, Roussey s’est pété. Rolland, c’est un joueur. Au casino d’accord, mais on ne mise pas comme ça sur des joueurs de foot… », punit Christian Dalger, coach de Courbis avant que celui-ci ne le remplace. Plus grave, les ennuis glissent progressivement du terrain à l’extrasportif. On parle de détournements de fonds équivalents à 13 millions de francs, d’un déficit de 7,1 milliards de centimes. Le jeune Antoine Kombouaré, qui arrive tout juste de Nantes, assiste à la débandade avec ses yeux de novice: « Un jour, la police a débarqué au club, un truc de fou. Et Rolland s’est retrouvé en prison… »

Comme on n’était pas payés, j’ai dû quitter ma maison et retourner vivre chez mes parents, heureusement qu’ils étaient dans le coin

Courbis fera un peu de garde à vue, avant de partir s’engager à Endoume, puis à Bordeaux. Parallèlement, la majorité des joueurs quitteront le navire, qui échouera finalement en troisième division, en 1993. Vingt ans plus tard, alors que le club ne s’est toujours pas relevé, l’ancien entraîneur de Toulon reconnaît qu’il a roulé un peu trop vite, mais refuse les leçons de morale: « Oui, on avait fait une caisse noire qui nous permettait de faire trois francs avec un, en économisant l’Urssaf ou en défiscalisant. Tout le monde le faisait, mais on ouvre les yeux là où on veut… Les enquêteurs, il n’y a que les transferts avec Toulon qui les ont intéressés… »Et pourquoi ça? Jalousie, bien sûr. « Entre 78 et 91, j’ai changé tous les ans de Porsche, j’allais au salon, on me la reprenait au bon prix, on m’en vendait une nouvelle au bon prix. Ça fait partie des choses que l’on paye. Comme gagner au casino, désolé, mais j’ai de la chance. On dit que j’ai triché avec les croupiers et finalement je suis relaxé, pas parce que je suis innocent, mais parce que je suis malin. C’est cette même brigade financière qui l’avait en travers de la gorge de ne pas m’avoir chopé qui s’est intéressée ensuite à la caisse noire. » C’est bien connu: en France, on n’aime pas les gens qui réussissent…

Rolland Courbis en 1988

(1) Ancienne députée FN puis UDF du Var, assassinée dans des conditions jamais vraiment élucidées le 25 février 1994 par deux hommes à moto.(2) François Vanverberghe est mort assassiné en octobre 2002 d’une rafale de kalachnikov dans les Bouches-du-Rhône.

Article publié initialement dans le magazine SO FOOT. Pour vous procurer notre superbe hors-série sur les Bad Boys du foot, ça se passe ici.

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Par Vincent Riou

– Tous propos recueillis par VR, sauf ceux d’Antoine Kombouaré, par CG et BF et parus dans So Foot n°65.

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