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La Lazio fait un bond de 30 ans en arrière
Ce samedi soir, face au Milan AC, la Lazio s'apprête à arborer un drôle de maillot blanc agrémenté d'un aigle bleu. Vilain pour les uns, magnifique pour les autres, ce maillot porte en lui un morceau d'histoire du club. Retour dans les années 80.
Cela faisait des années que l’on en parlait. « La Lazio va rééditer le maillot du -9 » , pouvait-on entendre ou lire à droite à gauche, ici sur un forum, là au café du coin. Mais pour tous les tifosi, c’était impossible. Comme si le PSG ressortait le maillot RTL, ou si l’OM nous dégainait un maillot Panasonic. Pourtant, après des années et des années de négociations, la Lazio l’a fait. L’équipementier, Macron, a trouvé un accord avec la famille Casoni (aucun lien de parenté avec Bernard) pour récupérer les droits de ce maillot mythique de l’histoire du club. Le club aurait voulu le sortir pour le derby romain, le 11 janvier dernier, deux jours après avoir fêté ses 115 ans d’existence. Mais il manquait encore quelques détails. Deux semaines plus tard, la tunique est prête. Les joueurs ont posé avec, et jeudi 22, jour de sa sortie officielle, les supporters ont fait la queue à la boutique officielle pour aller se le procurer. Mais pourquoi donc un maillot provoque-t-il autant d’émoi ? Pour le comprendre, il faut remonter le temps, et revenir dans les années 80. Ou même, un petit peu avant.
Les drames Maestrelli et Re Cecconi, puis la Serie B
1974. La Lazio remporte le premier Scudetto de son histoire. Une équipe dingue composée de Giorgio Chinaglia, Luciano Re Cecconi, Pino Wilson et du coach Tommaso Maestrelli. Bien partie pour régner sur la Botte, malgré le départ de Chinaglia pour les New York Cosmos, la Lazio va pourtant connaître une série de drames ahurissante. C’est d’abord l’entraîneur, Maestrelli, père fondateur de cette équipe, qui tombe malade. Il se soigne, revient, mais le mal réapparaît. Le 2 décembre 1976, il décède, laissant la Lazio orpheline. Deux mois plus tard, le 18 janvier 1977, c’est le maître à jouer de l’équipe, Luciano Re Cecconi, qui perd la vie. L’Angelo Biondo reçoit une balle d’un flingue calibre 7,65 en plein thorax, après être entré dans une bijouterie et avoir fait croire au vendeur qu’il s’agissait là d’un braquage. Il s’agissait évidemment d’une blague, sauf que le vendeur de la bijouterie, paniqué, ne l’a pas reconnu, a sorti son pistolet et a tiré. Profondément heurtée par ces deux drames, la Lazio redevient une équipe anonyme. 11e en 1978, 8e en 1979. Arrivent alors les années 80. Une nouvelle décennie synonyme de renouveau ? Tu parles.
Le 1er mars 1980, un commerçant révèle que des joueurs de la Lazio l’auraient incité à parier sur des matchs truqués. C’est le début de l’affaire du Totonero, le premier grand scandale de combines en Italie. Le filon est vite remonté, et les policiers interpellent effectivement des joueurs de la Lazio, mais aussi du Milan AC, d’Avellino, de Bologne et de Perugia. La sentence tombe : la Lazio et le Milan AC sont relégués administrativement en Serie B.
Si le Milan AC remonte immédiatement, la Lazio mettra trois ans avant de retrouver la Serie A. Et c’est justement lors de la saison 1982-83, celle de la promotion en Serie A, que les Laziali vont porter pour la première fois ce maillot alors appelé « aquila stilizzata » (aigle stylisé). Il s’agit d’un maillot dessiné par le nouveau sponsor du club, Selecco, qui appartient alors au groupe Zanussi. Un maillot porte-bonheur, donc, puisqu’il accompagnera le club vers le retour parmi l’élite. Pourtant, la saison suivante, l’aigle disparaît du maillot. Selecco présente une nouvelle tunique toute blanche, avec seulement l’inscription « Selecco » au milieu du maillot. Déception pour les tifosi qui, superstitieux, se voyaient bien faire des merveilles en Serie A avec leur aigle sur le torse.
Une deuxième sanction
Mais les années en Serie A vont être calamiteuses. Sportivement, la Lazio vit les pires années de son histoire. Point culminant : cette saison 1984-85, où les Biancocelesti terminent derniers (15 points, seulement deux victoires en 30 journées), avec pourtant un jeune Michael Laudrup dans l’effectif. Retour en Serie B. Et les emmerdes sont loin d’être terminées. La Lazio termine la saison 1985-86 à la 12e place de Serie B, ce qui n’est déjà pas top, mais va morfler encore une fois. Le 2 mai 1986, Armando Carbone, bras droit de l’un des dirigeants du Napoli, est arrêté et confesse l’existence d’un autre réseau de matchs truqués. Hop, Totonero-bis, c’est reparti. Et qui est concerné ? L’Udinese, Perugia, Vicenza, Cagliari, Palerme et… la Lazio, évidemment. La sanction en première instance, qui tombe le 9 août, fait très mal : relégation en Serie C1 pour les Biancocelesti. Le club fait appel, les supporters descendent dans la rue pour exprimer leur colère (obligeant parfois les forces de l’ordre à intervenir) et pendant trois semaines, c’est l’angoisse. L’angoisse de la réponse, l’angoisse de devoir repartir des méandres du football italien avec l’incertitude de revenir un jour sur le devant de la scène. Finalement, le 26 août, la Cour de justice fédérale rend son verdict : la Lazio reste en Serie B, mais devra débuter la saison 1986-87 avec une pénalité monstrueuse de 9 points. Monstrueuse, parce qu’à l’époque, la victoire ne vaut que deux points. C’est le début d’une aventure folle qui va durer du 14 septembre 1986, jour de la première journée, au 5 juillet 1987, date du dernier match.
Du Scudetto à la Sambenedettese
Face à cette pénalité, c’est l’union sacrée autour de l’équipe. Un peu par superstition, un peu pour répondre à l’attente des supporters, les dirigeants décident de ressortir le maillot avec l’aigle stylisé, celui qui avait porté bonheur en 1982-83. La Lazio le portera pendant toute la saison, avec pour but de se maintenir en Serie B malgré les 9 points de pénalisation. Le début de saison est toutefois chaotique. Un nul contre Parme, une défaite à domicile contre Messine, un nouveau nul face à Perugia… Il faut attendre le 2 novembre, soit la 8e journée de championnat pour que les Laziali, grâce à une victoire 3-0 face à Bari, passent enfin au-dessus de la barre du 0. À mi-parcours, les Romains sont toujours relégables, avec un total de 15 points. Chaque week-end, c’est une bataille pour prendre des précieux points. Championne d’Italie un peu plus de dix ans plus tôt, la Lazio se retrouve à jouer des matchs couperets contre la Sambenedettese, Arezzo ou la Cremonese. Les semaines passent, et le miracle semble devenir possible. Le 14 juin, lors de l’avant-dernière journée, la Lazio s’incline lourdement 3-0 sur la pelouse de Pise. La Serie C1 est là, juste là. Elle toque à la porte.
Le dernier match face à Vicenza, le 21 juin, est une finale pour ne pas mourir. En cas de nul ou de défaite, les Laziali seraient relégués en troisième division. En cas de succès, en revanche, ils arracheraient un billet pour les barrages. Le genre de matchs qui contribuent à écrire l’histoire d’un club. 62 000 personnes garnissent les tribunes du stadio Olimpico. Un match fermé, à sens unique, un attaque-défense, mais le gardien de Vicenza, Ennio Dal Blanco, est en feu. Dans le stade, l’ambiance est surréaliste. Certains chantent, d’autres pleurent. Et à huit minutes du terme, la délivrance. Giuliano Fiorini profite d’un ballon qui traîne dans la surface pour marquer d’un bon vieux pointard des familles. S’ensuit une course folle sous la Curva Nord. « J’ai tout de suite compris que ce n’était pas un but normal, racontera plus tard le buteur dans une interview télévisée. Quand je suis sorti du terrain, après tous ces mois de tension, je me suis mis à pleurer. Mais vraiment pleurer comme un enfant. » 1-0, la Lazio reste en vie. Mais elle n’est pas encore sauvée, loin de là.
Le coup de casque de Pioli
Arracher son billet pour les barrages, c’est bien. Remporter les barrages, c’est mieux. D’ailleurs, le coach, Eugenio Fascetti, a la tête sur les épaules. « Du calme avec les célébrations, c’est maintenant que les difficultés commencent. Taranto et Campobasso ne sont pas des équipes tendres, ce sont des équipes rapides. Il va falloir faire les matchs de notre vie » affirme-t-il. Visiblement, il n’est pas entendu. Lors du premier barrage, sur le terrain neutre du San Paolo de Naples, la Lazio s’incline 1-0 face à Taranto. Trois jours plus tard, Taranto et Campobasso se neutralisent, 1-1. Le mini-classement donne : Taranto 3, Campobasso 1, Lazio 0. Étant donné que seul le dernier de ce classement est relégué, la Lazio n’a pas vraiment le choix : pour survivre, elle doit à nouveau s’imposer contre Campobasso. Le match de la mort, au sens premier du terme.
La rencontre se dispute à Naples, le 5 juillet 1987. Plus de 20 000 tifosi biancocelesti font le déplacement. Un exode. Ils espèrent un nouvel exploit de Fiorini. À nouveau, un match tendu, angoissant. 0-0 à la mi-temps. Huit minutes après la pause, la libération. Cette fois-ci, elle vient de Fabio Poli. Un joueur plutôt anonyme, arrivé à Rome en 1985, et qui en partira quelques jours après ce but. Après ce coup de casque qui permet à la Lazio de mener 1-0, et d’assurer définitivement son maintien en Serie B. Toute cette aventure, ces images restées dans les mémoires, sont inexorablement accompagnées du maillot avec l’aigle stylisé. Ce maillot, donc, que Macron a décidé de rééditer cette année, et que les Romains porteront à compter du match face au Milan AC. En l’honneur de cette « Lazio du -9 » et de ses héros. Et surtout de Giuliano Fiorini, décédé d’une maladie en 2005. Un peu de lui et de ce 21 juin 1987 planeront sur le stadio Olimpico, ce samedi soir.
Par Éric Maggiori