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La Lazio de Pioli, au nom de l’héritage d’Eriksson
Cette Juve d'Allegri vient de mettre à terre le Real Madrid d'Ancelotti et se dirige tout droit vers l'Allemagne pour affronter sans peur le terrifiant Barça de Luis Enrique. Mais de Madrid à Berlin, il y a un petit détour par Rome. Un détour qui pourrait faire trébucher une équipe pourtant en pleine confiance. Parce que ce soir à l'Olimpico, les Turinois vont affronter une équipe de coupe. C'est-à-dire une équipe aux idées claires qui a bien conscience d'être seulement à 90 minutes d'une place éternelle dans l'histoire.
Ça a toujours été comme ça. Certains aiment construire sur la durée. Brique après brique. Au calme. De façon régulière et ordonnée. Pour le long terme. Ceux-là misent tout sur un mariage fort, dans toutes les dimensions de leur vie. Parce qu’il ne faut pas briller, puis disparaître dans l’ombre. Et parce que le championnat, après ses 38 interminables journées, récompense toujours le meilleur. Le vrai, le seul plus fort. Sauf que d’autres n’ont jamais été d’accord. Pour ceux-là, au diable les compromis, les mariages, la constance. Ce qui compte, c’est le moment. Le frisson. Le vertige. La nuit plutôt que les réveils. Le sommet plutôt que les plateaux. Ceux-là préfèrent les coupes aux championnats. Ces compétitions plus ou moins grandes capables de faire décoller les esprits. Ces épreuves plus ou moins attendues qui s’invitent dans les foyers pour faire fuir la routine de la semaine le temps d’un mardi ou d’un mercredi soir. Elles n’ont jamais eu la prétention de valoir une sortie du samedi ou un dîner familial du dimanche, elles. Dans certains pays, elles ne valent pas grand-chose, d’ailleurs.
Comme en Italie : la Juve n’a eu à jouer que quatre matchs pour arriver en finale. Et pourtant, ces équipes de coupe font rêver. La Vieille Dame l’a bien compris cette saison : le privilège de jouer des matchs qui comptent au bout du mois de mai n’a pas d’équivalent. Bien plus tôt, Berlusconi aussi avait tout vu en transformant son Milan en machine à gagner des coupes internationales. Les émotions de la mort subite n’ont pas d’égales, et les plus belles « équipes frisson » de ces dernières saisons se sont souvent révélées au cours de soirées de milieu de semaine. Le Liverpool de Gerrard. Le Milan d’Ancelotti. La première version de l’Atlético Madrid de Diego Simeone. Le Porto de Falcao et James. Le Napoli des trois ténors. Le Villarreal de Pellegrini, Riquelme et Forlán. Après tout, l’Athletic Bilbao de Bielsa avait fini 10e en Liga…
L’histoire récente parle romain
Et la Lazio, alors ? L’équipe romaine, elle, a réussi l’exploit de produire une équipe de coupe tous les trois ans lors des deux dernières décennies. Et la version 2015 n’est pas bien différente des cinq autres, qui ont toutes fini par remporter la Coupe d’Italie en 1998, 2000, 2004, 2009 et 2013. « Le couteau entre les dents » , « match après match » , « bien jouer, et ne pas jouer beau » . Toutes ces formules, sorties de la bouche de l’ex-Laziale Diego Simeone, pourraient bien définir l’esprit de la Lazio de Stefano Pioli. Ainsi, alors que la Juve vit actuellement le meilleur moment de ses quatre années de domination nationale, cette finale pourrait être plus difficile que les apparences le laissent penser. Au-delà de jouer dans son propre stade, la Lazio arrive à cette ultime échéance avec le sentiment de jouer dans son jardin du fait de la nature de la compétition. L’histoire récente des deux clubs est éloquente. Lors des vingt dernières années, la Juve a trouvé le temps de remporter huit Scudetti, mais n’a gagné aucune Coppa Italia. Pire, elle s’est inclinée trois fois en finale. La Lazio, elle, en a remporté cinq. Cinq titres sur cinq finales disputées, dont la dernière en 2013 contre la Roma.
Les palmarès complets des deux clubs vont dans la même direction. En tout, la Juve en est à 31 championnats gagnés et neuf Coupes d’Italie. La Lazio en a deux et six. Un ratio de un pour trois qui en dit long : la Juventus est bien plus à l’aise dans l’exigence du championnat, comme le montrent ses sept finales internationales perdues (5 Ligues des champions, 1 Coupe UEFA, 1 Intercontinentale), tandis que la Lazio se montre implacable en Coupe (toutes proportions gardées) dès que son potentiel lui permet d’être un peu cohérente collectivement. D’ailleurs, la dernière fois que la Lazio a remporté le Scudetto, celui du centenaire du club en 2000, la fin de championnat s’était transformée en coupe déguisée : neuf points de retard à rattraper en huit « finales » face à la Juve d’Ancelotti. Mais avant 1998, la romaine n’avait connu les sommets de la coupe qu’en 1958 et 1961 : une victoire, une défaite, pas plus. Qu’est-ce qui a changé depuis la fin des années 2000 ?
L’héritage de Sven-Göran Eriksson
Vainqueur de la compétition six fois en tant que joueur (quatre avec la Sampdoria, deux avec la Lazio) et quatre fois en tant qu’entraîneur (Fiorentina, Lazio, deux fois avec l’Inter), Roberto Mancini est certainement le plus grand spécialiste de la Coupe d’Italie. En Espagne, un autre homme lié à la Lazio est devenu un grand spécialiste des confrontations directes : Diego Simeone. Depuis qu’il est à la tête de l’Atlético Madrid, l’Argentin a d’ailleurs remporté toutes les coupes possibles et imaginables, ou presque : Ligue Europa, Supercoupe d’Europe et d’Espagne, Coupe du Roi et presque une Ligue des champions. Les deux hommes partagent un point commun. Ou deux. La Lazio, d’abord, durant une saison et demie de 1999 à 2001. Et un homme, ensuite : Sven-Göran Eriksson. Un technicien qui aura construit son parcours à travers ses exploits dans des compétitions à confrontation directe, de son IFK Göteborg champion d’Europe en 1982 au Benfica finaliste de la C1 en 1990, en passant par les espoirs mondialistes de la nation anglaise et pas moins de 4 Coupes d’Italie (Roma, Samp, Lazio). Arrivé à Rome en 1997, Eriksson a imposé son style d’entraîneur distant mais rigoureux, grand amoureux du 4-4-2, et surtout une mentalité gagnante qui aura permis au club de battre le Manchester United du triplé de 1999 en Supercoupe et de réaliser les deux épopées 1999 et 2000 en Serie A.
Dans ces rangs est née une génération d’entraîneurs à la réputation de pouvoir gagner n’importe quel match, peu importe la forme de leurs troupes : Simeone, Mancini, Mihajlović (ou encore Almeyda en Argentine). El Cholo, par exemple, reconnaît volontiers l’influence du gourou suédois : « J’ai eu un grand entraîneur, Eriksson, à la Lazio. Nous avions une grande équipe : Mihajlović derrière, Veron au milieu, Salas, Ravanelli, Mancini, Bokšić… Et Sven-Göran disait toujours : « Plus on a de possession, plus on donne du temps à l’adversaire pour se mettre à l’aise. » Et c’est resté dans ma tête. Les matchs ne sont pas remportés par ceux qui jouent le mieux ou qui ont le plus le ballon, mais par ceux qui sont le plus convaincus par ce qu’ils font. » Depuis, le style est resté. Et la Lazio n’a jamais arrêté de chercher des techniciens capables avant tout de la faire jouer avec les idées claires. Peu d’éclat, car peu de moyens, mais surtout très peu d’espaces pour les adversaires. La Lazio est devenue dure à jouer, compliquée, agaçante et très compétitive. D’Eriksson à Pioli en passant par Delio Rossi, Reja ou Petković, la romaine s’est rarement montrée brillante. Mais elle n’a jamais cessé d’être tranchante. Surtout en coupe.
La sécheresse d’une finale
Cette saison, la Lazio a déjà affronté à deux reprises la Juve. Les résultats ne laissent pas de place aux excuses : 0-3 à Rome, 2-0 à Turin. Lors de cette dernière rencontre, la Lazio avait contrôlé le ballon (59% de possession) et créé du danger (22 tirs) sans réussir à contrôler les contres adverses. Ce soir en finale, il faudra avoir les idées encore plus claires. Et Pioli en est bien conscient, mais n’y accorde pas tant d’importance : « Cette fois-ci, c’est une autre situation, une autre compétition. C’est un match sec. C’est une finale. » Il y a deux ans, avant la fameuse finale capitale du 25 mai, les hommes de Petković s’étaient inclinés en championnat 0-2 à la maison contre la Vieille Dame. Mais la coupe avait été une autre histoire : la Lazio avait éliminé les hommes de Conte au bout des arrêts de jeu de la demi-finale, sur un but de Floccari. Comme quoi.
Enfin, comme il y a deux ans, l’intérêt que la Coupe suscite n’est pas le même dans les deux camps. D’une part, Allegri a déclaré qu’ « il est très important de gagner pour préparer au mieux la finale de Berlin » . En face, Pioli n’a pas eu peur de lâcher qu’il s’agit tout simplement du « match le plus important de (s)a carrière » . La Lazio peut-elle alors vraiment réaliser l’exploit ? En réalité, la Juve de 2015 n’est plus celle de 2013. En se confrontant à l’Atlético de Simeone, le Borussia de Klopp, le Monaco de Jardim et le Real Madrid d’Ancelotti, cette Juve a grandi mois après mois, écartant l’une après l’autre ses peurs les plus profondes. En atteignant la finale de la Ligue des champions, elle est incontestablement devenue, elle aussi, une équipe rodée pour les vertiges des coupes.
Par Markus Kaufmann
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