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La langue de Torres avait-elle besoin d’aide ?
Jeudi soir, les coéquipiers de Fernando Torres se sont précipités sur l’attaquant qui venait de mal retomber pour l’empêcher d’avaler sa langue. Un très mauvais réflexe à bannir des terrains de football... comme à l’extérieur.
Une balle en cloche. Un choc aérien avec Alex Bergantiños. Et Fernando Torres qui s’étale de tout son long sur la pelouse du Deportivo La Corogne. Immédiatement, ses potes s’agitent autour de lui, s’efforçant de lui retenir la langue afin qu’il ne l’avale pas. Un bel acte de solidarité. Très vite, les médias applaudissent la réaction des joueurs de l’Atlético de Madrid, qui auraient eu le geste juste et salvateur. Oui, mais non. Les camarades d’El Niño, bien que volontaires, ont tout faux. Car non seulement ce réflexe est inutile, mais il est en plus dangereux.
« Il ne faut jamais faire ça. Ça ne sert à rien » , commence Camille Cathelineau, interne en médecine au CHU de Rennes. Pourquoi ? D’abord parce que le mythe de la personne tombant dans les pommes ou faisant une crise d’épilepsie et avalant sa langue peu après est « une idée préconçue. En fait, c’est totalement faux, ce risque est complètement hypothétique. Le seul danger, si le blessé est sur le dos avec la tête vraiment en arrière, c’est que la langue bascule et bouche le pharynx. C’est LE cas extrême qui n’arrive quasiment jamais, car la langue, très bien fixée à la mâchoire, est équipée d’un frein empêchant ce cas de figure. Pour que ça arrive, il faut vraiment un concours de circonstances exceptionnel, avec une tête complètement penchée et un frein déglingué. » Donc non, l’attaquant Francis Koné n’a pas, lui non plus, « sauvé la vie » du gardien adverse il y a quelques jours en Tchéquie.
Et il serait bon de lui demander d’arrêter ce genre de tentatives, lui qui assure que c’est la « quatrième fois » qu’il agit de la sorte. Car en essayant de choper la langue du bonhomme, il met ses doigts à rude épreuve. Le muscle de la mâchoire étant assez puissant, l’urgentiste amateur peut se faire méchamment croquer la main. « Jusqu’au sang, alerte Camille Cathelineau. Au-delà de la douleur, cela peut s’avérer grave, car tu ne connais pas les antécédents du gars. Là ça va, parce que les joueurs professionnels sont parfaitement suivis, mais dans la rue ou sur le stade le dimanche par exemple, tu peux tomber sur une personne malade. Et s’il y a contact entre ton sang et la muqueuse de la gencive, tu peux choper une maladie. Genre une hépatite. » Dans le cas de figure d’un joueur qui tombe et perd connaissance, la seule attitude à conseiller (et que Koné a d’ailleurs visiblement intégrée) est tout simplement de placer la victime en PLS (Position latérale de sécurité), sur le côté. De manière plutôt douce évidemment, afin d’éviter d’empirer les possibles lésions aux cervicales ou autres bobos. La langue à la terrible réputation repose ainsi sur la joue, et il n’y a plus qu’à attendre les professionnels de santé. Ouvrir la bouche suffit ensuite en cas de problème avec une langue un peu insolente.
Reconnaître son impuissance et laisser le boulot aux pros
Mais alors, pourquoi cette rumeur de langue avalée est-elle si tenace ? Difficile à dire. Et pourquoi les footballeurs tiennent-ils tellement à emprunter le costume du médecin ? Camille, qui a joué au niveau national chez les jeunes, a son idée sur ces interrogations : « Cette fausse information n’est pas uniquement présente dans le monde du foot. Parce que tu as toujours un mec qui connaît un pompier qui connaît un infirmier qui connaît un médecin qui aurait dit :« Attention à ne pas avaler sa langue. »Et puis, se contenter de mettre quelqu’un en PLS, c’est rester un peu attentiste dans la tête des gens. Or, personne n’aime être attentiste, ne rien faire. C’est dur de regarder son pote inconscient en se sentant impuissant. Un jour, il m’est arrivé d’assister à une crise d’épilepsie dans le train, et les gens ne voulaient pas comprendre qu’il n’y avait qu’une chose à faire : mettre le malade en PLS. Un joueur de foot, c’est pareil. Il se dit : « Je peux au moins l’empêcher d’avaler sa langue. » C’est pourtant tout ce qu’il ne faut pas faire. » Torres, qui va aujourd’hui beaucoup mieux, a donc eu raison de remercier ses collègues seulement parce qu’ils étaient venus le voir. Pour les doigts dans la bouche, c’est non. Qu’importe le contexte.
Par Florian Cadu