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La Juventus sur terre battue
Les premières vraies chaleurs de l'année 2015 sont l'occasion de revenir sur un match joué par la Juventus sous 40 degrés. C'était à Malte, en septembre 1971. Une rencontre jouée sur terre battue.
Dans les années 60, la Juventus est loin d’être maîtresse en son royaume. La Vecchia Signora remporte le Scudetto en 1967, mais c’est un exploit isolé lors de cette décennie. Les sixties voient en effet l’Inter d’Helenio Herrera dominer la Botte et l’Europe, mais aussi la Fiorentina du coach Bruno Pesaola (1969) et le Cagliari du bomber Gigi Riva (1970) créer des exploits retentissants. Du coup, la Juventus est reléguée au second plan. En mai 1971, elle termine le championnat à la quatrième place, et se qualifie donc seulement pour la Coupe UEFA. L’équipe de l’époque compte pourtant dans ses rangs de beaux joueurs : Fabio Capello, Franco Causio, Antonello Cuccureddu, l’Allemand Helmut Haller ou encore le buteur Roberto Bettega. C’est cette équipe, guidée par le Tchèque Čestmír Vycpálek qui, le 15 septembre 1971, va inaugurer sa campagne européenne. Les 32es de finale de la Coupe UEFA offrent en effet aux Bianconeri un déplacement à Malte, qu’ils ne seront pas près d’oublier.
Pas de pelouse, pas de bancs
L’adversaire de la Juventus se nomme Marsa FC. Une équipe qui n’a jamais rien gagné à Malte (même pas une petite coupette, rien), mais qui, cette année-là, se classe deuxième du classement et composte donc son billet pour l’UEFA. Marsa n’ayant même pas de stade pour accueillir un match européen, la rencontre face à la Juventus va se disputer à La Valette. Une capitale qui ne compte que 6700 habitants, et donc un stade pas franchement conçu pour recevoir un top-club européen. De fait, quand les joueurs turinois débarquent au stade Gzira, ils restent sans voix. Et pour cause, le sol ressemble à un terrain de foot amateur, en pire. Où est donc la pelouse ? Pas de pelouse. Seulement de la terre battue. Où sont donc les bancs de touche ? Pas de bancs de touche. Les remplaçants vont s’asseoir par terre, à l’ancienne. Et tout cela, évidemment, sous un cagnard terrible. 35 degrés au thermomètre, plus de 40 en plein soleil. Des conditions de jeu comparables à celles de matchs sur un terrain de calcetto l’été en bord de plage, à la différence que là, les joueurs turinois n’ont pas l’occasion d’aller se jeter dans la mer après 30 minutes d’efforts. Il va donc falloir suer. Et pas qu’un peu.
15 minutes de folie
De nombreux supporters italiens ont fait le déplacement. Ceux du club maltais, en revanche, espèrent voir leur équipe créer un exploit. Le début de match (coup d’envoi à 17h) est laborieux pour les joueurs de la Juve, pas franchement habitués à jouer sur de la terre. Avec leur maillot bleu, ceux du Marsa FC sont en revanche plus à leur aise et, avec un 4-3-3 mis en place par l’entraîneur Calleja, posent même des problèmes à la Vieille Dame. Il faut finalement attendre la 32e minute pour que Haller ne débloque la situation d’une frappe lointaine. Mais les locaux n’en démordent pas et sont tout proches de revenir à 1-1 juste avant la pause. C’est Faruggia, pas si Nul que ça, qui met à rude épreuve le portier juventino. 1-0 à la mi-temps, un moindre mal.
La seconde période débute, et premier grand n’importe quoi : Marsa, qui avait disputé l’intégralité du premier acte avec une tunique bleue, revient sur la pelouse (pardon, sur la terre) avec un maillot rouge. Et pourquoi pas, hein ? Mais visiblement, le changement de couleur ne va pas porter chance aux Maltais, qui vont littéralement sombrer. En quinze minutes, de la 54e à la 69e minute, les Italiens plantent quatre pions, signés Causio, Haller encore, Novellini et Capello. 5-0, et même 6-0 en toute fin de match, avec un dernier but de l’immense Cuccureddu. Malgré la rouste, le public du stade Gzira applaudit à la fois les beaux vainqueurs et les vaillants vaincus. Au retour, à Turin, dans des conditions de jeu beaucoup plus normales, Marsa en prendra cinq, pour un 11-0 sur l’ensemble des deux matchs.
La règle de 4
Pour les joueurs de la Juventus, ce déplacement à Malte, qui aurait pu rester anecdotique, va, dans un certain sens, marquer le reste de la saison. « Cela a mis nos organismes à rude épreuve dès le début de la saison. Du coup, les matchs d’après nous ont paru beaucoup plus simples. C’est un peu comme si vous courriez avec des poids de 10 kilos sur chaque cheville et qu’ensuite, vous les enleviez. Forcément, vous vous sentez plus légers et plus forts après » résumera des années plus tard le regretté Sandro Salvatore dans une interview au Guerin Sportivo. Et l’ancien défenseur n’avait pas menti : quatre jours après son excursion maltaise, la Juve déglingue Taranto en Coupe d’Italie, 4-1. Quelques jours plus tard, pour l’ouverture de la Serie A, c’est Catanzaro qui en prend quatre dans le buffet, pour un succès 4-2 des Turinois. Même tarif pour le Milan AC à la quatrième journée, 4-1 à San Siro. C’est le début d’une saison triomphante pour la Vieille Dame, qui récupérera son sceptre national au mois de mai en décrochant son quatorzième Scudetto. Un Scudetto dont l’embryon est né sur terre battue, quelque part sous le soleil maltais.
Par Éric Maggiori