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La Juve, Ronaldo, et le temps perdu
Même pas arrivé au bout de son bail à la Juventus, Cristiano Ronaldo quitte Turin pour Manchester, sur ce qui ressemble au premier gros échec de sa carrière. Le Portugais laisse aussi la Vieille Dame face à des perspectives sportives et financières bien moins engageantes que lors de son arrivée dans le Piémont, trois ans plus tôt.
La Juventus n’a pas remporté la Ligue des champions depuis 1996. Elle est aussi l’équipe qui a concédé le plus de défaites en finale de la prestigieuse compétition de clubs (7), et reste notamment sur une série de cinq revers sur la dernière marche de l’épreuve (en 1997, 1998, 2003, 2015 et 2017). Alors que la Vieille Dame a aussi imposé une domination hégémonique sur le championnat d’Italie lors de la décennie 2010, la C1 était clairement devenue son obsession. La venue de Cristiano Ronaldo en 2018 devait la guérir de sa monomanie en lui permettant de soulever cette Ligue des champions qui s’était si longtemps refusée à elle. Trois ans plus tard, alors que Ronaldo quitte la Juve pour Manchester United, les Bianconeri n’ont pas franchement passé un cap continental et peuvent légitimement se demander pourquoi ils se sont tant escrimés à faire venir le Portugais.
101 buts en 134 matchs
Paradoxalement, la faute n’en revient pas à Ronaldo lui-même. Avec 101 buts inscrits en 134 matchs toutes compétitions confondues, l’ancien Madrilène est statistiquement irréprochable. Contrairement à la direction de la Juve, qui n’a pas su bien accompagner la venue de l’enfant du Sporting. Sportivement d’abord, où le profil de Ronaldo, si particulier, ne n’est pas vu offrir de réelles complémentarités sur la ligne d’attaque. Numéro neuf dans l’esprit, mais ailier de par son positionnement, le Portugais requiert d’être associé à un avant-centre hybride, capable d’alternativement occuper l’axe, de dézoner sur un côté, voire de décrocher derrière, à la construction du jeu. Ni Mario Mandžukić, ni Paulo Dybala n’étaient Karim Benzema, et la Vieille Dame n’aura jamais su réellement greffer Ronaldo à son collectif, seulement l’utiliser comme point de terminaison virtuose de ses actions. Bien sûr, l’animation offensive limitée des Bianconeri fut aussi le fait de ses entraîneurs successifs, un coup trop conservateur (Allegri), inadapté au contexte turinois (Sarri) ou tout simplement trop tendre (Pirlo).
La rançon de la star
Financièrement, il faut aussi acter que la venue de Ronaldo a engendré autant, sinon plus de problèmes, qu’elle n’a créé d’opportunités pour la Juve. Le miracle économique des revenus soi-disant faramineux que le Portugais devait faire pleuvoir sur le club piémontais n’a pas eu lieu. Sa venue n’a certainement pas fait exploser les droits TV domestiques de la Serie A, qui ont même diminué pour la période 2021-2024, à 930 millions d’euros par an (contre 970 millions lors du cycle précédent, une somme négociée avant l’arrivée de Ronaldo à Turin). Le Portugais aura surtout permis à la Juve d’augmenter ses revenus liés aux sponsors et la publicité, passés de 87 millions d’euros en 2017-2018, à 129,6 millions en 2020. La hausse est importante, mais elle ne couvre absolument pas les presque 60 millions d’euros brut de salaire que coûtait le joueur à la Vieille Dame.
Des émoluments disproportionnés, auxquels il faut ajouter le transfert du joueur, évalué à 115 millions d’euros. Intenable, en réalité, pour les Bianconeri. Une saison après la venue de Ronaldo, la Juventus annonçait une perte nette de 39 millions d’euros sur l’exercice 2019. Son déficit avait plus que doublé par rapport à la saison passée (19,2 millions d’euros). Lors des trois années précédentes, les comptes étaient pourtant au vert, avec notamment un bénéfice de 42 millions d’euros en 2016-2017. Pire, en 2020, la Juve plongeait encore, en tablant sur des pertes de presque 90 millions d’euros. Le coronavirus n’a certainement rien arrangé. Mais la question de savoir si la Juventus avait réellement les épaules pour assumer le recrutement du Portugais se pose.
Le pire du milieu
Elle semble d’autant plus légitime que l’argent que la Juve a consacré à Ronaldo n’a pas pu être dépensé ailleurs. Là où les Juventini avaient précisément besoin de se renforcer. Si la Vieille Dame est passée d’un milieu de terrain Pogba-Vidal-Marchisio-Pirlo en 2015 à un trio Bentancur-Matuidi-Pjanić quatre ans plus tard, c’est aussi parce qu’elle n’avait plus les moyens de ses ambitions pour remplumer son entrejeu. Pour boucher les trous dans la coque, elle s’est résolue à débaucher des joueurs libres, comme Rabiot et Ramsey, en fin de contrat au PSG et à Arsenal. Ou à conclure un étrange échange Pjanić-Arthur avec le Barça.
Rien de tout cela n’aura logiquement fonctionné, et Paulo Dybala aura trop souvent été le seul accélérateur de particules d’une formation en manque d’idées comme de mouvement. Ronaldo quitte la Juventus en laissant donc une équipe qui semble à la fois affaiblie sportivement et financièrement, en comparaison avec ce qu’elle était avant son arrivée. Il laisse également l’Italie derrière lui, en s’étant contenté d’écrire un message générique sur ses réseaux sociaux, avec de belles fautes d’orthographe, aux « tiffosi » juventini. Au moment de se dire au revoir, il n’y a pas beaucoup d’émotion qui transpire. Seulement le regret du temps perdu, que le Portugais comme la Juventus ne pourront jamais recouvrer.
Par Adrien Candau