- Ligue des champions
- 1/4 de finale retour
- Monaco/Juventus (0-0)
La Juve, retour aux sources
Elle a été solide sans briller. Elle n'a pas pris de but sans impressionner. Elle a tué son adversaire d'un seul coup de couteau, sans vraiment trembler. La Juve est en demi-finale de Ligue des champions. Et elle rappelle furieusement cette Juve cynique des années 80/90.
Elle est de retour. 12 ans après. La Juventus est dans le dernier carré. Aux côtés du Barça, du Real Madrid et du Bayern Munich. Des trois plus grands clubs du monde. Quatre équipes, et 21 Ligues des champions cumulées. Oui, la Juventus est à sa place. Et pour les Bianconeri, c’est un soulagement. Parce qu’il n’y a pas si longtemps que ça, il y a huit ans très exactement, la Juventus se déplaçait sur les pelouses de Rimini, de Crotone ou d’Arezzo, en Serie B. Le scandale Calciopoli était passé par là, le plus grand club italien a dû purger sa peine au purgatoire. Puis il est revenu en Serie A, a galéré, est même tombé dans le ventre mou de cette première division qui lui semblait désormais hostile. Mais Antonio Conte est passé par là. L’ancien milieu de terrain, qui était là il y a douze ans, lorsque la Juventus sortait le Real Madrid en demi-finale de la C1, a remis la Vieille Dame à sa place : tout en haut. Du moins, tout en haut du football italien. Pour l’Europe, le bon Antonio n’a jamais eu les clefs. Un quart de finale face au futur vainqueur et une élimination au premier tour. C’est à Massimiliano Allegri qu’incombait la lourde tâche de faire revenir la Juventus dans le (très) haut du panier continental. Mission accomplie.
Meilleure défense de la Ligue des champions
On a pratiquement tout entendu sur la Juventus au terme de cette double confrontation face à Monaco. Qu’elle a été fébrile, qu’elle s’est qualifiée « à l’italienne » – « c’est moche, mais ça passe » a même affirmé Patrice Évra sur beIN au coup de sifflet final -, qu’elle est en demi-finale uniquement parce qu’elle a tiré Dortmund en huitièmes et Monaco en quarts. Peut-être. En attendant, la Juve est là. Elle n’a encaissé qu’un seul but depuis la fin de la phase de poules, quand le Real Madrid en a pris quatre, le Bayern trois, et le Barça deux. La Vieille Dame a d’ailleurs la meilleure défense de cette Ligue des champions 2014/15, avec cinq buts encaissés (à égalité avec l’Atlético Madrid et Monaco, ironie, deux adversaires qu’elle a affrontés). La défense est à l’honneur et ce mercredi, Monaco, devenu docteur es défense sous Jardim, a été pris « à son propre jeu » .
Oui, la Juventus est redevenue cynique. Elle n’est pas belle, cette Juve. Elle est froide. Elle est glaçante. Mais qu’est-ce qu’elle est efficace ! Les quatre jours qui viennent de s’écouler l’ont encore prouvé. Samedi soir, les Turinois recevaient la Lazio, une équipe qui pratique actuellement le jeu le plus flamboyant d’Italie, et qui avait pris l’habitude, depuis février, de flanquer trois ou quatre buts à tous ses adversaires. Qu’a fait la Juve ? Elle a attendu. « Bah venez, attaquez-nous » . Alors la Lazio a attaqué. Elle a pris un premier contre, 1-0. Elle a continué d’attaquer. A pris un deuxième contre. 2-0. Puis la Juve a verrouillé, Chiellini a mangé les chevilles de Felipe Anderson (sans les mains, ce coup-ci), et la bande a tenu son score sans jamais réellement risquer. Ce mercredi, elle a fait pareil. Le 0-0 lui suffisait. Elle aurait pu se dire qu’en allant marquer un but d’emblée, l’affaire aurait été entendue. Non. Elle a attendu. Était-ce parce qu’elle n’avait pas les moyens de faire mieux ? Tout était-il totalement contrôlé ? Le fait est que, quelle que soit la réponse à ces interrogations, la Vieille Dame n’a pratiquement pas couru le moindre risque en 90 minutes. Aucune occasion franche pour les Monégasques. Comme la Lazio ce week-end. Et ce n’est pas un hasard.
Héritage
En fait, le vrai truc, c’est que la Juventus est redevenue la Juventus. Celle que l’on détestait, que l’on adorait, ou que l’on adorait détester. Celle qui vous donnait l’impression que vous pouviez la battre, que c’était « 50-50 » , et qui, finalement, gagnait 1-0. Cette Juve qui remporte une Ligue des champions en 1985 en s’imposant 1-0 face à Liverpool avec un but sur penalty, pour une faute commise hors de la surface (Boniek/Johnston, 30 ans tout rond avant Morata/Carvalho). Cette Juve qui élimine le FC Nantes en demi-finale 1995, en perdant pourtant 3-2 le match retour à la Beaujoire. Cette Juve qui, de 1996 à 1998, bat trois fois Manchester United 1-0 en Ligue des champions. Non pas que cette équipe ait toujours été une équipe défensive, ce serait une offense à Boniperti, Platini, Baggio, Del Piero et Trezeguet. Mais la Juve a toujours su être une forteresse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les plus grands défenseurs italiens, de Scirea à Cabrini en passant par Gentile (et avec tout le respect pour Baresi, Facchetti, Maldini ou Nesta), ont porté la tunique blanc et noir.
Quand Antonio Conte, un homme qui a pourtant fait ses gammes sous Marcello Lippi, a déboulé sur le banc de la Juve, il y avait des envies de changements. Conte voulait rompre avec cette image, il souhaitait que la Juve devienne l’équipe du beau jeu. Il a donné les clefs à Pirlo, et lors de sa première saison à Turin, il n’était d’ailleurs pas rare de voir son équipe flanquer des roustes (4-1 contre Parme, 3-0 contre Palerme, 5-0 face à la Fiorentina, 3-0 face au Napoli, 4-0 contre la Roma). Malheureusement, lors des saisons suivantes, ses recettes n’ont pas fonctionné en Europe. Du moins, pas suffisamment pour franchir un cap qui lui aurait permis de se hisser dans un dernier carré. D’ailleurs, en Italie, on n’hésitait pas à parler de deux Juventus : celle en Italie, belle et dominatrice, et celle en Europe, timorée et maladroite. Allegri, lui, a choisi de revenir aux racines. S’il faut gagner 1-0 et ensuite défendre son but, la Juve le fera. Sur les 31 victoires décrochées cette saison, 9 se sont soldées par une victoire 1-0, soit 29%. Il sera difficile d’appliquer les mêmes recettes face à des monstres offensifs comme le Bayern ou le Real. Mais la Juve saura jouer avec ses armes. Et puis, il ne manque qu’une ligne au palmarès de Gigi Buffon. Et ce n’est pas comme si une telle occasion allait se représenter mille fois avant que le plus grand portier du monde ne tire sa révérence.
Par Éric Maggiori