- Serie A
- Juventus/Milan AC
La Juve en avocat du Diable
Ce soir, la Juventus reçoit le Milan AC. Dix-sept points les séparent. Il semble loin, très loin, le temps où chaque confrontation entre les deux équipes rayées valaient un bout de Scudetto.
44. C’est le nombre de Scudetti remportés par la Juventus et le Milan AC depuis la création du championnat national italien. Les Turinois diront 46, pour les fameux 28ème et 29ème titres révoqués à la Vieille Dame en 2005 et 2006. Juventus-Milan. Forcément un match particulier. Car si les deux équipes ont souffert des suites de l’affaire Calciopoli (la Juve bien plus que le Milan), elles n’en demeurent pas moins les deux équipes les plus populaires en Italie. Les plus honnies aussi. Or, que l’on se place dans le sillage de ceux qui les aiment ou de ceux qui les détestent, les faits sont les mêmes : avant ce sinistre été 2006, où tout a explosé, la Juve et le Milan avaient remporté treize des quinze derniers titres nationaux. Seules les deux Romaines, la Lazio en 2000 et l’AS Roma en 2001, avaient osé se dresser face à la domination de ces deux monstres. Pourtant, ce soir, il ne sera question de titre que dans un seul camp. Celui du Milan AC. Les Milanais, étincelants par intermittence, marchent sur la Serie A et c’est peut-être ça qui les rend si impressionnants. 4-0 face à Parme, 3-0 face à Naples. Distribution de claques gratuites. Tout l’inverse de leur adversaire du soir, qui, lors des deux dernières journées, n’a pas été capable d’inscrire le moindre but face au 17ème et au 12ème de Serie A. Ah, Trezeguet…
Le constat des tifosi est d’ailleurs accablant : la Juventus, « leur » Juventus, ne fait plus peur. A personne. Celle qui battait le Real Madrid se fait désormais avoir par n’importe qui. Les Turinois se sont fait gifler six fois lors des neuf dernières rencontres de championnat : Parme (1-4), Naples (0-3), Lecce (0-2), pour ne citer que les plus marquantes. Pourtant, au beau milieu de cet océan de doutes, les Bianconeri ont réussi un coup. Battre l’Inter. Cette Inter qui leur a « tout volé » : leur titre, leur domination, leur rayonnement national et international. Et c’est bien là l’espoir de Del Neri : ses joueurs savent encore se sublimer dans les grands rendez-vous. Les Milanais peuvent confirmer. Au match aller, ils avaient été battus à San Siro (1-2) par une équipe de la Juve emmenée par Quagliarella, alors en pleine bourre. Aujourd’hui, les cartes ont été mélangées. Quagliarella, blessé, a été remplacé par Matri, et c’est désormais Milan qui a fait le plein de confiance. De plus, ce match n’est pas simplement une revanche. Car une équation s’est souvent vérifiée : lorsque le Diavolo s’impose à Turin, il remporte le titre. C’est arrivé en 2004, année du dernier sacre, mais aussi en 1999, 1994 et 1993. Cette saison plus que jamais, donc, ce match pourrait peser gros dans la balance.
Outre la symbolique citée, un nouveau succès contre la Juventus, après le triomphe contre Naples, signifierait que Milan a les épaules du futur Champion. Mais gare au zèbre blessé. « J’aurais préféré que la Juve remporte ses deux derniers matches. Cette ambiance de nervosité, avec des problèmes et des tensions, nous rendra le match beaucoup plus difficile » avertit Adriano Galliani, vice-président milanais. L’entraîneur turinois, lui, joue vraisemblablement sa dernière chance de survie à la tête de l’équipe piémontaise. Les supporters ont lancé une pétition pour qu’il dégage, Andrea Agnelli lui a renouvelé sa confiance. Au moins jusqu’au match de ce soir. Or, si la qualification pour la Ligue des Champions semble désormais un mirage, celle pour l’Europa League n’est pas négociable. Mais pour cette Juve en plein doute, difficile de s’appuyer sur des certitudes. Après ses débuts tonitruants (trois buts en deux matches), Matri a du mal à confirmer. Toni, lui, rate plus qu’il ne réussit. Et Del Piero ne peut pas toujours jouer les sauveurs de la patrie. Quant à Buffon, de retour après un match de suspension, il peine à retrouver son niveau d’antan. Pour lancer l’opération « victoire à Turin », Allegri n’a quant à lui que l’embarras du choix. Ibra, Robinho, Pato et Cassano, quarante buts à eux quatre cette saison (soit autant que tous les joueurs de la Juve réunis) peuvent animer la phase offensive. Avantage à Fantantonio qui, ne pouvant pas jouer la Ligue des Champions, pourrait permettre à l’un des trois autres de souffler. Les Turinois auront également la dure charge de se frotter à la charnière Nesta-Thiago Silva. Avec les deux défenseurs titulaires ensemble sur la pelouse, Milan n’a encaissé que cinq buts cette saison. Paye ta muraille. Mais les joueurs de la Juve ne veulent pas avoir peur des statistiques. Ils préfèrent miser sur le cœur et les sentiments, et se souvenir de ce que valait un Juventus-Milan il y a quelques saisons. Histoire de jeter la même fougue et la même intensité dans la rencontre de ce soir. Non. Le titre ne sera pas en jeu pour la Juve. Mais l’honneur, oui.
[page] Au cours des dernières décennies, le choc entre la Juventus et la Milan AC à Turin a souvent donné lieu à des matches combattus et décisifs pour l’attribution du titre. Retour en images colorées.
1985-86 – Juventus-Milan-1-0
Platini, Scirea, Laudrup, Cabrini. La grande Juve. Celle qui, si on l’évoque aujourd’hui, fait venir une petite larme aux tifosi. Ce 20 avril 1986 marque le premier Juventus-Milan pour un certain Silvio Berlsuconi. A deux journées de la fin, la Juve est en tête, à égalité de points avec une AS Roma bouillantissime. Les Turinois s’imposent grâce à un but de Laudrup, tandis que la Roma, à la surprise générale, se fait surprendre à domicile par Lecce. La semaine suivante, la Juve est sacrée championne d’Italie.
1989-90 – Juventus-Milan-3-0
Milan remporte le titre en 1987-88. Comme une implacable logique, il remporte aussi le choc de Turin grâce à un but de Gullit. Mais les Turinois préparent déjà la vendetta, qui arrive le 11 mars 1990. Avec Dino Zoff sur le banc, la Juve, qui réalise une saison moyenne, mise tout sur ce match. Bien vu. Schillaci et un doublé de Rui Barros enfoncent les Rossoneri. A la fin de la saison, Naples remporte le titre avec deux points d’avance sur le Milan AC. Ces deux points abandonnés à Turin.
1998-99 – Juventus-Milan-0-2
Dans les années 90, hormis un blitz de la Sampdoria en 1991, Milan et la Juventus se partagent les Scudetti. Un pour toi, un pour moi. C’est mignon. Mais en 1998, la Lazio crée la sensation et mène la danse toute la saison. Lorsque Milan rend visite à la Juve, à trois journées de la fin, les Romains sont toujours en tête, lancés vers le Scudetto. Grâce à un doublé de mister George, les Rossoneri conquièrent Turin. Comme une prémonition, sept jours plus tard, la Lazio cale à Florence et Milan prend les commandes. Le titre est à eux.
2003-04 – Juventus-Milan-1-3
Deux sacres pour la Juve en 2002 et 2003, il est temps pour Milan de reprendre la main. Sur la vague de la Ligue des Champions remportée justement face à la Juve, les Lombards se construisent une équipe monstrueuse (Kakà, Inzaghi, Schevchenko, Nesta), et survolent le championnat. Le 14 mars, la Juve tente bien d’arrêter l’envol des Milanais, mais rien n’y fait. Trop fort, ce Milan-là, avec Scheva et Seedorf en bourreaux d’un soir. Et devinez quoi ? Après avoir gagné à Turin, Milan sera champion. Leur dernier couronnement en date.
2007-08 – Juventus-Milan-3-2
Après une année de galère passée en Serie B, la Juventus retrouve l’élite. L’occasion de retrouver ses ennemis favoris. A cinq tours du terme, les deux équipes sont à la lutte pour une place en Ligue des Champions. Revancharde, hargneuse et pleine de vie, la Juventus s’impose grâce à un but de Del Piero (qui finira meilleur buteur du tournoi) et un doublé de Salihamidzic. La Juve obtient ainsi son ticket pour la Ligue des Champions. Milan échouera à deux points. Ces deux points abandonnés à Turin. Déjà vu?
Eric Maggiori
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