ACTU MERCATO
La jeunesse trop dorée
Amine Harit, Steve Mounié, Jean-Kévin Augustin... Cette année encore, les départs à l’étranger des jeunes talents de Ligue 1 se multiplient. Sans que les clubs français aux nouvelles ambitions sportives et au budget intéressant ne bougent le petit chéquier. Mais pourquoi donc ?
Loïs Diony est une exception. Alors que la mi-juillet est arrivée et que les gros noms commencent à bouger (Romelu Lukaku, Daniel Alves, James Rodríguez, Douglas Costa…), l’attaquant est pour le moment le seul joueur transféré d’un club français à un autre club français pour une somme à deux chiffres. Ce qui signifie que les autres arrivées d’au moins dix millions d’euros concernant la Ligue 1 viennent de l’étranger. Idem pour les départs. Et cela concerne évidemment les jeunes talents de l’élite pas encore confirmés, qui auraient pu (dû ?) continuer à faire leur preuve dans leur pays formateur. Les meilleurs exemples se nomment Amine Harit (vingt ans), lâché dix millions (bonus compris) à Schalke 04, et Steve Mounié (22 ans), laissé pour treize (plus deux et demi de bonus) à Huddersfield Town. À cette liste non exhaustive s’ajoute Adam Ounas (vingt ans), acheté dix patates par Naples, et Jean-Kévin Augustin (vingt ans également), parti au RB Leipzig pour treize (plus deux de bonus). Et que l’on aime ou pas les noms cités, aucun amateur de football français ne peut se réjouir de ces pertes. Alors oui, le phénomène n’est pas nouveau. Oui, la fuite des pépites s’observe saison après saison, mercato après mercato. Mais à l’heure où les clubs de l’Hexagone revendiquent la tenue de projets novateurs et ambitieux avec les moyens qui vont avec, comment se fait-il que rien ne change ?
Le prix d’un joueur français grimpe très vite
Les faits sont les suivants : le Paris Saint-Germain comme Monaco ont du fric à en crever, les nouveaux investisseurs de Lille ou Marseille cherchent à investir le leur, l’Olympique lyonnais a déjà dépensé pour plus de trente millions, mais aucun d’entre eux n’est attiré par des jeunes pousses de dix millions qui fleurissent chez le voisin. Seul Saint-Étienne participe un tant soit peu à cette économie locale (arrivée de Diony donc, mais aussi vente de Kévin Malcuit à Lille pour neuf millions). Pourquoi cette frilosité ? « À âge égal et niveau équivalent, le joueur français coûte plus cher par rapport au joueur portugais, hollandais ou belge, répond d’entrée Bruno Irles, ancien formateur de l’ASM qui a passé sept ans en L1. Le prix d’un joueur français grimpe très vite. Il suffit de regarder les montants évoqués pour Kylian Mbappé, la vente d’Augustin… Donc si je m’appelle Marseille ou Monaco et que je veux investir dix millions, je vais aller chercher, et trouver un étranger qui joue par exemple à l’Ajax Amsterdam. » La stratégie précise de Lyon, qui a peu recruté français (seulement Ferland Mendy, du Havre, pour cinq millions) alors que son mercato est quasiment terminé.
Trop de désir
« Regardez Bertrand Traoré. Dix millions, c’est relativement peu par rapport aux prix de L1, reprend d’ailleurs Irles. Aujourd’hui, si je suis entraîneur de Lille et que j’ai le choix entre Mounié et Kasper Dolberg de l’Ajax, je prends Dolberg. Qui a un potentiel au moins aussi important, mais qui coûte certainement moins cher (quatorze millions selon Transfertmarkt). » Surtout, les clubs français préfèrent vendre à des pays comme l’Angleterre, qui n’ont bien souvent pas de problème financier et qui sont friands d’éléments de L1, plutôt qu’aux clubs de la même nation considérés comme des concurrents (qui s’aligneraient pourtant sur l’offre venue de l’étranger). Se répète donc inlassablement le schéma présenté par l’ancien formateur : « En France, on a une très bonne formation, on est vendeur, le championnat français est valorisant et prépare à l’Angleterre, à l’Allemagne, à l’Espagne… Donc la Premier League, la Serie A, la Liga et la Bundesliga n’hésitent pas à venir piocher chez nous. Comme on n’hésite pas à aller piocher en Belgique, en Hollande ou au Portugal. »
Restent les considérations personnelles du joueur. Et en premier lieu le salaire. Séduits par les alléchants contrats tendus par les clubs étrangers, les jeunes Français n’hésitent plus à tenter l’aventure Erasmus, au risque de louper leur année. « C’est un problème de réflexion dans le projet de carrière. À Monaco, certains de mes joueurs voulaient partir tout de suite pour toucher 15 000 euros au Torino. Ils s’en vont à 17 ans, et on les revoit en National trois ans plus tard, témoigne l’ex-éducateur de l’ASM. D’autres savent qu’il faut passer des étapes et se contentent du salaire français. Donc je pose la question : est-ce qu’il n’aurait pas été préférable pour Mounié de gagner deux ou trois fois moins et de rester en France un an ou deux ? Que Modeste aille en Chine à 28 ans, ça ne me choque pas. Que Mounié aille s’enterrer dans un club qu’il ne connaît pas à 22 ans, ça me gêne davantage. Après, Montpellier n’aurait sûrement pas accepté un prix réduit d’un autre club de L1. » Cercle vicieux, quand tu nous tiens…
Par Florian Cadu
Propos de BI recueillis par FC