- Coupe du monde 2018
- Bilan
- Billet d'humeur
La jeunesse française championne du monde 2018
Les champions du monde français de 2018 ressemblent beaucoup plus à la jeunesse de leur pays que ceux de 1998. Ou quand l'afrotrap enterre Michel Sardou.
« Ramenez la coupe à la maison, allez les Bleus, allez ! Vingt ans après, on est champion, allez les Bleus, allez ! » Le 16 juillet dernier, sur le perron de l’Élysée, c’est un chant mêlant hommage aux anciens et célébration des siens, qu’entonne Benjamin Mendy face à un parterre de happy fews. À première vue, l’ambiance est aussi festive que le 14 juillet 1998 au même endroit. À quelques détails près. Un simple coup d’œil aux images en 4/3 que propose l’INA des festivités orchestrées par Jacques Chirac en 1998 suffit à mesurer le contraste entre les Bleus de Zidane et ceux de Pogba. Quand les premiers saisissent le micro par obligation pour remercier le public, Zizou demandant même à la foule de baisser d’un ton en soufflant un timide « déjà que je ne parle pas fort » , la Pioche a quant à lui du mal à lâcher cet objet qu’il maîtrise aussi bien qu’un ballon. Quand en 1998, l’équipe de Jacquet se contente de reprendre timidement les « et 1, et 2, et 3-0 » du public, en 2018, ce sont les joueurs qui lancent une série de chants tous plus élaborés les uns que les autres. Et enfin, avant de lâcher le micro, c’est par un « Et mercéééé » que Benjamin Mendy salue les fans. Une référence directe au rappeur Jul, qui peut sembler anodine, mais qui en dit beaucoup sur ces Bleus de retour de Russie. Car elle constitue l’énième démonstration que l’équipe de France de 2018 ressemble beaucoup plus à la jeunesse de son pays que celle de 1998.
Naza vs Sardou
Les parallèles entre les deux générations de champions du monde tricolores sont légion, pour étayer la thèse. Quelques heures plus tôt, sous la pluie moscovite, c’est en effectuant un dab en compagnie d’Emmanuel Macron, que Paul Pogba laissait éclater sa joie. Un geste un peu plus en phase avec la jeunesse que le port du béret par Emmanuel Petit sur le bus traversant les Champs-Élysées vingt ans plus tôt. Et il en va de même pour tous les détails de la vie quotidienne de ces gaillards enfermés ensemble durant six semaines à deux décennies d’écart, dont l’intimité fut dévoilée par deux documentaires. En 1998 par Les yeux dans les Bleus, et en 2018 par Les Bleus 2018 : au cœur de l’épopée, et plus encore par les réseaux sociaux, en ce qui concerne la seconde génération. Si Lilian Thuram faisait exception en s’autorisant un petit NTM de temps en temps en 1998, à la manière d’un Ousmane Dembélé se claquant un Michel Fugain deux décennies plus tard, c’est plus sûrement aux rythmes de Francis Cabrel et Céline Dion, que résonnaient les chambres des Bleus emmenés par Didier Deschamps qui n’a jamais caché son amour pour Michel Sardou, déjà ringard à l’époque. Autant d’artistes qui ne parlaient pas franchement à la jeunesse française, contrairement aux sons de Naza, Booba, Ohmondieusalva ou Niska, qu’a crachés l’enceinte de Presnel Kimpembe durant tout le tournoi.
Collectif métissé
Bien entendu, ce fossé générationnel entre les gamins de France en 1998 et leurs champions du monde s’explique par une nette différence d’âge. Pour les ados de l’époque, il était en effet compliqué de s’identifier à cette équipe comportant seulement cinq joueurs de moins de 25 ans, tandis que ceux de 2018 se reconnaissent dans cette équipe composée de dix joueurs de moins d’un quart de siècle (Umtiti, Kimpembe, Pavard, Mendy, Hernandez, Tolisso, Mbappé, Lemar, Dembélé et Fekir), dont la plupart leur ressemblent, tandis que les profils de Deschamps, Lebœuf, Petit, Blanc, Lizarazu ou Guivarc’h étaient, probablement à tort, jugés inconsciemment comme plus éloignés du quotidien des jeunes français. Pour le dire clairement, le cru champion du monde de 2018 est bien plus métissé que celui de 1998, qui s’ambiançait sur le I will survive repris par Hermes House Band, l’hymne des rubgymen du Stade français, à une époque où le ballon ovale ne marquait pas encore d’essais en banlieue.
À la suite du sacre mondial des Bleus de 1998, un phénomène que personne n’avait anticipé s’était emparé des quartiers populaires : celui de la théorie du complot. Illustré par Lunatic en 1999, dans le morceau Civilisé, qui voyait le jeune Booba cracher « On veut te baiser dès que tu montes / Et je me demande si c’est truqué comme la Coupe du monde / Donc j’emmerde tout le monde » , l’idée que le Mondial 1998 aurait été arrangé pour faire triompher l’équipe de Jacquet est aujourd’hui encore vive dans de nombreux esprits. Une péripétie qui devrait beaucoup moins toucher la génération de 2018. Car désormais, ce sont les joueurs qui écoutent Booba.
Mathias Edwards