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La Hongrie veut enfin voir la France
Victorieuse contre la Norvège au barrage aller de l’Euro 2016, la Hongrie a pris une sérieuse option pour la qualification. Dix-sept ans auparavant, les Magyars ont failli claquer la bise à Footix. Ils devaient battre la Yougoslavie de Stojković, Savićević et Mijatović les 29 octobre et 15 novembre 1997 pour redécouvrir les joies du Mondial, oubliées depuis 1986. Le défi a tourné à l’humiliation.
La Norvège. Déjà. Dans le groupe 3 des éliminatoires du Mondial 1998, la bande à Flo et à Rekdal survole les débats avec 20 points et relègue le deuxième à huit longueurs. La Hongrie, donc. Direction les barrages, au nez et à la barbe de la Finlande, plombée par un CSC poissard dans le money time de la dernière journée… face à la Hongrie. L’adversaire en barrages sera la Yougoslavie du capitaine Dragan Stojković, avec match retour à Belgrade. Panique à Budapest car la dernière épopée internationale remarquée des Magyars remonte à l’Angleterre 1966 et une courte défaite en quarts de finale du Mondial contre l’URSS (2-1), sous l’impulsion de Florian Albert. En 1997, les hommes de János Csank, recruté en avril 1996, veulent conjurer le sort qui pèse sur les plus vraiment « magiques » Magyars, privés de Coupe du monde depuis la piteuse aventure mexicaine de 1986 (deux défaites dont un 3-0 contre les Bleus, et sortie dès le 1er tour). La fédé hongroise est aux aguets. Cette double confrontation couperet détermine l’avenir du coach, ex-portier à Ózd, Debrecen et Eger. Et elle a en main une pièce maîtresse : Béla Illés, joueur-star du MTK Budapest et meilleur buteur de la saison écoulée.
Gueule de bois nationale
Quatorze mille spectateurs se déplacent au Üllöi Uti Stadion par une froide soirée d’octobre. Malheureusement pour les Hongrois, la logique est respectée en cent vingt secondes, montre en main. Sebek sert Brnović au point de penalty via une transversale venue de la gauche : contrôle de la poitrine, lob en tombant, 1-0. Dukić et Savićević aggravent la marque à 3-0. Mijatović ajoute son triplé (26e, 41e, 51e). Savo Milošević s’offre le septième. Illés plante pour du beurre. Score final : 7-1. Gábor Halmai a débranché face au désastre. « Je me sentais comme un boxeur venant d’être mis K.O. Black-out total. J’étais comme quelqu’un qui se regarde de l’extérieur. J’ai vu toutes les erreurs commises et je ne pouvais absolument rien faire contre. Après le match, j’ai été complètement sonné pendant une semaine. J’errais comme un somnambule. Visiblement, je me situais quelque part, mais ma tête était ailleurs » , se remémore le milieu de terrain hongrois, sur la pelouse ce soir-là.
« Bien joué, les gars ! » s’époumonent ironiquement les supporters légitimement dépités. Les unes du lendemain enfoncent le clou. Népsport, équivalent magyar de L’Équipe, balance une couv’ entièrement noire avec le résultat en grosses lettres blanches, plus l’inscription suivante : « Marseille, Irapuato, Budapest, impossible de faire pire ! » , en référence aux humiliantes branlées encaissées contre la Tchécoslovaquie (4-1 en match de barrage pour la Coupe du monde 1970, que la Hongrie loupe) et l’URSS (6-0 en poule du Mondial 86). Sans omettre celle de la veille, devenue déculottée historique. Ce sévère revers se mue en gueule de bois nationale, au même titre que la finale de Berne perdue par l’Équipe d’or de Puskás, Kocsis et consorts contre la RFA dopée à la méth’ (1954). OK, les Yougoslaves étaient supérieurs sur le papier, mais les observateurs s’attendaient au moins à ce qu’un vrai match ait lieu. Comme quand le onze surpuissant de Gusztav Sebes terrassa l’Angleterre 6-3 à Wembley lors dudit « match du siècle » (23 novembre 1953), ruinant les 70 ans d’invincibilité des Three Lions. Mais le barrage aller tue l’excitation de la rencontre-revanche. Les Hongrois filent à Belgrade la boule au ventre.
Écrasés par Mijatović
En même temps, dur d’y aller pépère vue la déconfiture à l’aller. Le Crvena Zvezda Stadion est bondé. Cinquante mille fans dont une écrasante majorité de locaux se serrent dans l’antre de l’Étoile rouge. Illés est là, Halmai aussi. Gábor Babos remplace Szabolcs Sáfár aux cages. Il faut empêcher une nouvelle cata, coûte que coûte. Peu importe que le rempart du MTK n’en soit qu’à sa cinquième cape. Côté yougoslave, Milošević pallie l’absence de Jugović sur le front de l’attaque, le seul changement. Ultradominée, la Hongrie résiste tant bien que mal. Babos se distingue dès la neuvième minute sur une tête de Djorović, magnifiquement servi au deuxième poteau via un corner de Stojković. Parade extraordinaire, barre et sortie. Deuxième alerte au quart d’heure : Mihajlović trouve Savićević à droite dans la surface magyare depuis ses 20 mètres. Savićević repique au centre façon Robben, sert Jokanović au point de penalty, mais le défenseur Vilmos Sebők sauve les siens sur un tacle impeccable. Simple sursis.
Deux minutes plus tard, Mracko bloque illicitement un grand pont de Mijatović. « Stojko » se charge du coup franc et délivre une offrande de la gauche vers le deuxième poteau. Encore. Milošević sprinte, se jette les pattes en avant et concrétise le caviar du droit. Belgrade exulte. Re-coup franc dangereux dans la foulée. Mihajlović arme une mine du gauche qui martyrise la barre. La Yougoslavie entrevoit le 2-0 sur une demi-volée de Savićević (31e). Mais Babos boxe la patate. Les Magyars tiennent et auraient presque pu être dangereux à l’approche de la mi-temps si la frappe de Zoltan Kovács n’avait pas été totalement écrasée et plein axe. Au lieu de ça, ils vont en prendre un deuxième. Mihajlović arme une transversale depuis le rond central. Keresztúri frôle la balle du casque sans parvenir à dégager. Stojković temporise à droite dans la surface, centre et Mijatović finit le job. Bim. Puis re-bim grâce à un péno fort et au milieu, la spéciale de Predrag. 3-0 à la mi-temps. Terrible.
« On a affronté les meilleurs »
La fessée continue au retour du repos : claquette de Babos face à Savićević, poteau de Mijatović, blocage héroïque de Babos face à Drulović et finalement hat-trick de Mijatović sur une contre-attaque dévastatrice consécutive à un corner pourri. Puis un quadruplé du Merengue dans un enchaînement strictement identique. La Yougoslavie fonce voir Footix. La Hongrie du foot pleure, déprime et se demande ce qui a merdé. Challenger trop bon ? Préparation insuffisante ? Collectif aux fraises ? Pression ? Un peu de tout ça. « C’était une sensation incroyablement négative. Quand il y a eu le 7-1, on ne savait plus où on était et à quel point la différence de dynamique, de rapidité et de niveau était colossale entre eux et nous. Au moins, on a affronté les meilleurs du monde. Et pourquoi les supporters ne m’ont-ils pas attaqué ? Parce que j’ai toujours taclé, lutté dans les airs, combattu et c’est ce que les fans ont toléré. On peut avoir des mauvaises passes, mais jamais jouer sans son âme » , résume Emil Lörincz, écarté au retour. Viré, le sélectionneur János Csank cèdera son fauteuil à l’ex-gardien Bertalan Bicskei, mort en 2011. Malgré ses efforts, l’Euro 2000 et la Coupe du monde 2002 passeront sous le nez de la Hongrie. Justice lui soit cependant rendue : le 25 mars 1998, il paria sur un certain Gábor Király qui fit des étincelles avec son jogging lors d’un amical remporté 3-2 à Vienne contre l’Autriche de Toni Polster. Le portier préretraité et ses camarades, vainqueurs contre la Norvège à Oslo, sont à 90 minutes de l’Euro 2016. Se qualifier chasserait la guigne des Magyars. Et zapperait ces douloureux instants de 1997.
Par Joël Le Pavous