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Robin Cartier : « La crise climatique n'existe pas pour la FIFA »
Seul face à la FIFA et au monde du football-business, Robin Cartier, étudiant français à Malmö, s’est rendu à Zurich pour protester contre l’attribution de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite. Surnommé par les médias suédois le « Greta Thunberg du foot », il n’a pas hésité à braver les interdictions pour porter seul son message sur l’écologie, la démocratie et les valeurs du ballon rond. Entre désillusion et colère, il raconte son combat face à une organisation qu’il juge sourde à la crise climatique et aveuglée par l’argent.
Mercredi 11 décembre, direction Zurich pour Robin Cartier, le « Greta Thunberg du foot», comme aiment l’appeler Ouest-France et les médias suédois. Étudiant en Master Sport et Société à l’université de Malmö, ce Mayennais de 24 ans a quitté son campus scandinave pour monter au front contre l’attribution de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite. « Un non sens », selon lui. Ancien coach de foot féminin et fan du Stade lavallois, Robin ne compte pas rester sur la touche. Il nous explique son initiative.
Tu t’es donc retrouvé tout seul à Zurich à protester devant le siège de la FIFA ?
Ouais, j’étais tout seul. C’était un peu fou. J’en ai très peu parlé autour de moi parce que j’avais assez peur. J’ai pris quatre trains, ça m’a pris 19 heures depuis Malmö. J’ai rejoins une amie d’Extinction Rébellion Suisse la veille pour faire quelques photos, mais le jour même j’étais tout seul. Le jour de l’attribution des Mondiaux 2030 (Argentine, Espagne, Maroc, Paraguay, Portugal et Uruguay) et 2034 (Arabie saoudite), il y avait toutes sortes de personnes : des officiels, des journalistes, même des fans marocains ou saoudiens. Tous étaient contents. Moi j’étais là un peu pour gâcher la fête avec mes pancartes « Stop Coupe du Monde Arabie Saoudite 2034 », « Le pétrole tue » et « La FIFA tue le football, les gens, et la planète ».
Tu as pu échanger avec ces gens ?
Je n’étais pas le bienvenue, très clairement. Des fans marocains sont venus me voir et on a eu des échanges houleux, ils voulaient que je parte avec mes pancartes. Des officiels et journalistes saoudiens m’ont pris en photo. J’ai demandé pourquoi ? Mais il n’y avait aucune discussion. Je les ai interpellés : «Combien de personnes vont mourir pour cette Coupe du monde ? Vous êtes en train de tuer la planète » devant l’entrée de la FIFA, alors qu’ils célébraient avec le drapeau saoudien. J’ai essayé de m’incruster sur leurs photos avec ma pancarte. Ils refusaient de parler mais à un moment, il y en ait un qui m’a menacé en disant qu’ils me retrouveraient et qu’ils savaient où j’habitais. Quelques minutes plus tard la police est arrivée. J’étais tout seul parce que le trajet avait un certain coût mais surtout il y avait une forme d’inconnu. Si la manifestation réunissait plus d’une personne, il fallait une permission du pouvoir suisse. Quand la police est venue, justement, ils m’ont dit que je n’avais pas le droit de partager des messages politiques sur le sol suisse sans permission, mais pour avoir cette permission, il faut être citoyen suisse. Ils m’ont dit que j’avais 5 minutes pour partir et sinon c’était une amende et je pouvais être banni de Zurich. Ça reste une expérience marquante, mais surtout frustrante, j’aurais voulu me rapprocher de la FIFA mais c’était trop risqué. Je voulais vraiment être pacifiste et non violent. J’ai pris un peu goût à cette expérience. La prochaine fois, je veux ramener plus de monde mais auprès des fédérations nationales.
Cette attribution de la Coupe du monde à l’Arabie Saoudite était jouée d’avant : ton action était donc bien réfléchie ?
J’avais pris mes billets déjà il y a un mois, il n’y avait aucune surprise, ça fait déjà plus d’un an que la FIFA a promis cette Coupe du monde à l’Arabie Saoudite, le fait de mettre les deux candidatures ensemble (2030 et 2034) tout est parfaitement bien mené par Gianni Infantino pour que ça revienne à ses copains saoudiens. Je pense que ce qui caractérise le plus cela, c’est le partenariat entre la FIFA et Aramco, qui est au final une façon pour l’Arabie saoudite d’acheter la Coupe du monde 2034 à la FIFA. Ils sont tout simplement en train de vendre le football à l’Arabie saoudite.
Philippe Lahm a critiqué le processus de désignation. Qu’en as-tu pensé ?
Il n’y a même pas un semblant de démocratie dans ce vote, tout est déjà décidé, tout est déjà falsifié par la FIFA. On n’a plus qu’à applaudir. Infantino est un dictateur total, comme rarement vu.
Selon le Guardian la raison pour laquelle tout était fait en distanciel était pour un objectif de diminuer les émissions de CO2 liées aux vols.
Ça c’est une belle blague quand on vote pour une Coupe du monde en Arabe saoudite. Le problème, c’est la manière dont ça a été amené : il n’y a pas eu de vote réel, si ce n’est un vote par applaudissement. C’est là où la FIFA est intouchable, ils font ce qu’ils veulent, mais là où je suis en colère, c’est par rapport aux fédérations membres.
En effet, il n’y a que la Norvège qui s’est opposée, publiquement.
Toutes les autres fédérations applaudissent, ou elles ne disent rien. Le processus de vote ne permet pas de s’opposer sur le moment de la visio, mais rien n’empêche n’importe quelle fédération de communiquer avant ou après ou de s’opposer à la FIFA. Du côté de la Fédération Française de Football, c’est un silence total. Ils ont peur des retombées financières d’une prise de position ou alors ils sont juste naïfs par rapport à l’Arabie saoudite… Le président de la fédération suédoise dit avoir rencontré les dirigeants saoudiens, qui ont promis de faire attention au droit humain, etc. Ça paraît impensable d’avoir une telle naïveté surtout après avoir vécu le Qatar en 2022.
Quelle est la menace écologique de l’attribution de la Coupe du Monde 2034 à l’Arabie saoudite ?
L’Arabie Saoudite subit déjà la crise climatique avec plus de 1000 morts en juin dernier à La Mecque avec 55°C enregistré. Mais elle y participe aussi. Les nouveaux stades, les hôtels, les transports, la ville Neom… tout doit être construit. J’ai vu les images des stades : je trouve ça répugnant et complètement irréaliste. Ce n’est pas le football que je souhaite. Ce n’est plus que du business. En fait, la crise climatique n’existe pas pour la FIFA. Elle a même eu l’audace de qualifier la Coupe du monde au Qatar neutre en carbone, parce qu’il y a eu des compensations qui sont ultra douteuses.
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Sur le plan écologique, la Coupe du monde en Amérique du nord ne sera pas plus reluisante…
On passe de 32 à 48 équipes. De 64 matchs à 104 matchs. Donc on a plus de fans, plus de voyages, plus d’émissions. Là, on sera sur trois 3 pays ; en 2030 sur trois continents ; en 2034 en Arabie Saoudite. Chaque année, on va battre le record d’émissions CO2. Il faut savoir qu’en 2022, au Qatar, c’était 10 millions de tonnes de CO2. Ce qui équivaut aux émissions de l’Uruguay sur une année. Alors que si on fait une métaphore : on est dans le temps additionnel, on est mené au score, on est en train de perdre le match contre le changement climatique, et la FIFA se permet de faire des choix lunaires. Être sponsorisée par une des compagnies qui pollue le plus au monde tout en s’engagent à réduire ses émissions de CO2 pour 2030, c’est un vrai paradoxe.
Qu’est-ce que tu aurais comme idée pour inverser la tendance ?
L’idée ce serait de créer un contre-pouvoir à la FIFA avec des joueurs, fans, équipes, fédérations, sponsors qui peut faire pencher la balance. Ce qui a le plus impact sur le public, ça reste les joueurs, mais ceux qui sont plus à remettre en question pour moi, ce sont les fédérations. Ce sont à elles que j’ai envie de m’attaquer dans cette dimension activiste.
Mathias Jobert
Tout propos recueillis par MJ