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La grande histoire du FC Lidl

Par Rico Rizzitelli, à Liège // Photos : Virginie Nguyen
La grande histoire du FC Lidl

Pendant quinze ans, le playground d'une cité de Liège a vu passer quelques-uns des meilleurs joueurs du pays. Son nom ? Le FC Lidl. Ses joueurs ? Christian Benteke, Mehdi Carcela, Axel Witsel. Retour sur un spot mythique où seuls les meilleurs survivaient.

« Quand je regarde mes jambes ou celles de Christian, on croirait que l’on a grandi en Afrique, tellement elles sont recouvertes de cicatrices. À cause des bouts de verre qui pouvaient traîner au sol. » Joseph Olongo, 30 ans, n’a pas à fouiller trop loin dans sa mémoire pour retrouver les traces des matchs disputés sur ce terrain bariolé à ciel ouvert : il en porte les stigmates sur son corps. Comme des centaines d’enfants, le cousin de Christian Benteke a passé des après-midi ici, à taper le ballon à l’ombre des grandes tours de Droixhe, un quartier excentré de Liège. À cause des teintes jaunes et bleues qui ornent la palissade et de la proximité d’un supermarché de la célèbre enseigne discount, à quelques encablures de là, les gamins du coin ont vite baptisé l’aire de jeu en « FC Lidl » , au début des années 2000. Le nom est passé à la postérité, eu égard à ceux qui l’ont fréquenté. Christian Bentenke, donc (32 sélections chez les Diables), mais aussi Mehdi Carcela (29 ans, international marocain) et Zakaria Bakkali (23 ans, formé au PSV Eindhoven, international belge à 17 ans) ont grandi là, dans ce quartier réputé « sans droits » .

Le FC Lidl, c’est le plus grand terrain de Liège. C’est là-bas que ça a commencé. On a eu une enfance dure, mais bien.

Kevin Mirallas, Nacer Chadli, Jonathan Legear ou Axel Witsel, tous originaires de la Cité ardente, ont pris les transports pour venir y défier la crème de Droixhe. « Il y a toujours eu du niveau ici » , clame Mehdi Carcela. Même Marouane Fellaini s’est déplacé pour martyriser la gonfle pendant ses années de formation au Standard. « Le FC Lidl, c’est le plus grand terrain de Liège. C’est là-bas que ça a commencé. On a eu une enfance dure, mais bien, assure Benteke, dans le documentaire Hazard, Benteke : Réunion de famille. On jouait du matin jusqu’au soir. Si t’avais deux ou trois euros, t’achetais des petites canettes, des frangipanes, des gaufres au sucre. Plein de talents ont foulé le FC Lidl. Axel est venu avec le maillot de Marseille. C’était le Witsel timide, le métis aux yeux bleus chétif. » Alors qu’il habite un peu plus loin, à Vottem, Witsel dort chez les Carcela quand il vient s’encanailler à Droixhe. « On a demandé à Mehdi : « Qu’est-ce qu’il fait là ? » Mehdi a répondu : « T’inquiète. » Et il a mis tout le monde d’accord » , retrace « Big Ben » . L’actuel milieu de Dortmund détonne dans cet univers. Joseph Olongo : « Tout le monde voulait l’avoir dans son équipe. Il jouait comme maintenant : il récupérait, remontait la balle, distribuait, tandis que nous, on préférait le dribble, le beau jeu à l’efficacité. »

Confort moderne, crochets courts et croquette

Au commencement, Droixhe pouvait s’apparenter au rêve d’un architecte candide et habité. « C’est une synthèse vivante de ce que doit être la cité de l’avenir » , promettait Edmond Leburton, le Premier ministre, en 1958. Pendant deux décennies, les classes moyennes vont se ruer vers ces 1800 logements inspirés par Le Corbusier qui proposent le confort moderne de l’époque (chauffage central, salle de bains, cuisine équipée, terrasse) et des infrastructures idoines (commerces, crèches, écoles, plaines de jeux). Au cœur de la cité, des espaces verts scindent le territoire en deux parties. Côté Meuse, six immeubles sont alignés en rangs d’oignon avec, en tête de gondole, la bien nommée tour du Match (qui doit son nom à une alimentation générale éponyme du rez-de-chaussée) surplombe toute la ville du haut de ses 28 étages. Du côté de l’avenue de la Croix-Rouge, la ville de Liège a fait détruire entre 2009 et 2015 toutes les tours à cause de l’amiante et pour « requalifier le quartier » , qui n’avait plus rien d’idyllique. Comme ailleurs, la fin des Trente Glorieuses, la crise, le chômage ont transformé le lieu. Droixhe s’est paupérisé.

En 1994, quand le Standard de Liège repère Mehdi Carcela à l’âge de 5 ans, ses parents doivent se délester de 8000 francs belges (200 euros) pour s’acquitter du prix de la licence. Francesco, son père, rêve au mieux pour lui d’une carrière en troisième division, qu’il en fasse un métier. Il multiplie les brocantes afin de pouvoir suivre.

8000 francs belges, ça représentait deux mois de frigo pour une famille. Beaucoup d’enfants du quartier ont joué dans de petits clubs aux alentours. À l’époque, le Standard était réservé aux fils à papa.

« Certaines années, j’arrivais à la payer ; d’autres, je devais trouver un arrangement, dit-il. Quand Mehdi avait deux entraînements sur la journée, je restais sur place et je l’attendais. Quand on devait se rendre en déplacement, je montais souvent dans la voiture d’un autre parent. » Son deuxième fils n’aura pas la chance de jouer en club, faute de moyens. « 8000 francs belges, ça représentait deux mois de frigo pour une famille. Beaucoup d’enfants du quartier ont joué dans de petits clubs aux alentours. À l’époque, le Standard était réservé aux fils à papa » , soutient Mustapha, 33 ans, un ami de la famille Carcela. Celui que ses potes appellent « Carcelinho » va façonner sa technique subtile et ses crochets courts sur l’asphalte du FC Lidl, loin de l’Académie Robert Louis-Dreyfus, la pépinière du Standard. « Mehdi avait 8 ou 9 ans et il était le seul petit à pouvoir rester jouer avec nous dans ce qu’on appelait « l’arène », poursuit Mustapha. Tous les coups étaient permis et on n’avait pas de pitié pour lui. On le cassait en deux, mais il savait encaisser. C’était une croquette, mais il était dur, élastique. » Avant l’apparition du FC Lidl, le foot de rue prospérait de façon anarchique aux quatre coins de la cité. « Il n’y avait rien de structuré, avance Kismet Eris, ancien éducateur du quartier, devenu un agent de joueurs majeurs en Belgique. Le FC Lidl a permis de poser un cadre. Les gamins ont appris à apprivoiser la liberté sur un terrain. C’était l’outil impeccable. »

Conduite de balle avec la semelle

Au changement de siècle, le FC Lidl devient un inframonde, connu et pratiqué des seuls gamins, à la sortie de l’école, après 15h.

C’était mythique. Le meilleur endroit du pays pour le foot de rue. Il y avait des talents pas croyables, des gars sortis de nulle part. Pas de règles, que du foot. Ça en inventait tout le temps, c’était LE rendez-vous.

Les plus petits doivent céder la place aux plus âgés, le droit du plus fort – comme partout. « C’était une révolution, à l’origine. On l’a usé, squatté. Un seul ballon, un seul terrain et il y avait souvent une trentaine de joueurs qui attendaient leur tour, perchés sur les balustrades. La première équipe à deux buts restait en place, les perdants sortaient, c’était féroce » , rappelle Nabil Taibi, président du comité de quartier, qui fait le lien entre les habitants et les autorités locales. L’international haïtien Réginal Goreux, formé au Standard, venait y voir jouer ses potes. « C’était mythique. Le meilleur endroit du pays pour le foot de rue. Il y avait des talents pas croyables, des gars sortis de nulle part. Pas de règles, que du foot. Ça en inventait tout le temps, c’était LE rendez-vous » , s’emballe-t-il.

Parfois, des éducateurs ou des entraîneurs du Standard se glissent furtivement parmi les spectateurs pour assister à une débauche d’entrechats et d’exploits individuels.

Je ne manque jamais une occasion de rappeler à Axel Witsel que sa conduite de balle avec la semelle, c’est à Droixhe qu’il l’a apprise.

« Petits ponts, passements de jambes, jeu par ricochets avec les murs… Le but, c’était de se faire mousser, d’humilier l’adversaire, mais dans un bon esprit, relate Tony Rosset, l’entraîneur des U14 des Rouches. Il fallait sans cesse démontrer sa supériorité. » Comme ailleurs, on joue évidemment beaucoup avec la semelle. « Je ne manque jamais une occasion de rappeler à Axel Witsel que sa conduite de balle avec la semelle, c’est à Droixhe qu’il l’a apprise » , prolonge Mustapha. On invente des dribbles même pas inscrits au répertoire, qu’on oublie dans la foulée ou qu’on travaille à l’infini, comme ce jour où Zakaria Bakkali, aujourd’hui à Anderlecht après s’être un peu perdu en Espagne (Valence, La Corogne) a rendu fou un adversaire. « Il devait avoir 15 ans, et le gars en face une trentaine d’années. Il a commencé avec des passements de jambes et puis, il s’est mis à tourner et à pivoter sur lui-même, plusieurs fois. L’autre a fini par perdre l’équilibre et par s’éclater la tête la première sur le béton » , témoigne l’éducateur devenu agent Kismet Eris.

Dôme grillagé et Smartphone

Aujourd’hui, le terrain du FC Lidl est presque à l’abandon. Les couleurs ont pâli, le bleu a entièrement disparu.

Carcela et Benteke, c’est bien, mais c’est loin. Moi, mon gars, c’est Messi. Je le vois jouer toutes les semaines.

Comme un symbole, même l’hypermarché éponyme a été détruit pour faire place au tramway qui doit relier Droixhe au centre-ville liégeois. À une bonne centaine de mètres de ces vestiges, se tient le nouvel « Agora space » , un terrain multi-sports en gazon artificiel avec un toit et de l’éclairage. « On l’aura attendu quinze ans » , soupire Nabil Taibi. De loin, ce dôme grillagé ressemble à une cage de MMA. De près, il faut appuyer sa tête pour voir le match entre les grilles. Comme si le message subliminal des architectes consistait à dire qu’il vaut mieux pratiquer qu’observer. Ici, désormais, point de maillots des anciennes gloires locales, mais des vareuses du Real, du Barça ou de Chelsea. « Carcela et Benteke, c’est bien, mais c’est loin. Moi, mon gars, c’est Messi. Je le vois jouer toutes les semaines » , conte Hagirman, 15 ans, maillot du club catalan sur les épaules. À l’intérieur de la cage, ça hurle, ça braille, ça crie. Dans ce 4×4 foutraque, chacun veut dribbler toute l’équipe adverse à lui tout seul et on effectue des passes à contrecœur. « C’est fair-play, on ne se traite pas » , glisse Aymar (12 ans) qui joue au futsal et au « mini-foot » , mais pas en club.

Les plus anciens regrettent le football plus « roots » , plus sauvage du FC Lidl et l’irruption de la technologie dans la vie quotidienne.

Il y a de plus en plus de jeunes d’ici qui cherchent du sponsoring afin de louer des salles, payer des maillots et le flocage, des arbitres et s’inscrire dans un championnat à la Ligue. Il est peut-être là, l’avenir du foot de rue.

« Le contexte du FC Lidl poussait les gamins à se dépasser, à vouloir être les plus forts. La révolution numérique a changé la donne, c’est un fléau. Les gamins sont tout le temps en train de jouer avec leur Smartphone » , réprouve Kismet Eris. Un des effets retard de cette hyper connexion pousse néanmoins les ados de Droixhe à quitter la cité pour aller louer des salles un peu partout à Liège ou dans les villes adjacentes pour jouer au street. « Il y a de plus en plus de jeunes d’ici qui cherchent du sponsoring afin de louer des salles, payer des maillots et le flocage, des arbitres et s’inscrire dans un championnat à la Ligue. Il est peut-être là l’avenir du foot de rue » , développe Nabil Taibi. En attendant, Droixhe se délaisse peu à peu de son image de quartier difficile, même si de temps à autre, un fait divers vient rappeler que rien n’est acquis. Mehdi Carcela racontait il y a quelques années dans Sport-Foot-Magazine que « Droixhe, c’est compliqué. On se sent mis à l’écart, on a une forme de haine qui grandit en nous. » Pourtant, Benteke, Bakkali et lui ont montré à tous que le rêve est parfois à portée de main. « Le foot était une religion pour nous. Avec Christian(Benteke), on ne ratait jamais Match of the day.C’était l’émission culte pour nous. Quand il a marqué son premier but pour son premier match avec Villa, je n’ai pas osé regarder. Je sais que lui non plus. Ce qui « nous » arrivait avait quelque chose d’irréel, de très fort, de trop fort » , s’électrise Joseph Olongo. À Droixhe aussi, la réalité peut dépasser les songes les plus dingues.

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