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La Genèse
Il y a six mois, Bruno Génésio enfilait pour la première fois le costume de numéro un, noyé sous une vague de critiques. En une demi-saison, plusieurs partitions parfaites et notamment un succès contre le PSG, l'ancien gamin de la formation à la lyonnaise a retourné les sceptiques et les a mis dans sa poche. Ou comment le puceau est devenu un homme. Récit sur les racines.
Et si rien ne s’était passé comme ça ? Février 1996, derrière son pupitre, Jacques Chirac, tout frais président de la République, affirme vouloir s’adapter « aux exigences de son temps » . Dans son viseur : le service militaire obligatoire et sa suppression. Chirac est alors à la tête du pays depuis quelques mois. Une dizaine d’années auparavant, Bruno Génésio, lui, n’a qu’une vingtaine d’années et est un gosse biberonné à l’amour de l’OL. Face à lui, dans un bureau à Sathonay, un colonel. Au départ, Génésio devait rejoindre les rangs de l’armée le 1er juin 1987, mais les dirigeants lyonnais ont fait le forcing pour pouvoir aligner le jeune milieu de terrain contre Montpellier. Lyon est alors en deuxième division et joue sa montée à la Mosson. Génésio sera titulaire ce soir-là, la suite ne sera plus une fête. « Quand je suis arrivé à Sathonay, le colonel m’a demandé où je me croyais. Au lieu de passer dix mois dans les bureaux à côté de Gerland, j’ai passé un an là-bas, sans jamais m’entraîner, ou alors rarement avec la DH, et sans jouer, racontait il y a quelques mois Bruno Génésio dans un entretien donné à L’Équipe. J’étais en fin de contrat stagiaire. Rémi (Garde, ndlr) venait de se faire les croisés pour la deuxième fois. À l’été 1988, Raymond Domenech et Bernard Lacombe sont arrivés, et c’est José Broissart qui nous a sauvés, tous les deux, en les persuadant de nous faire signer un contrat pro. » Dix mois plus tard, Lyon remontera alors en première division avec au cœur de son jeu un triangle et deux gamins : Rémi Garde et Bruno Génésio. L’histoire vient de tourner.
Au commencement…
Jamais l’histoire de Bruno Génésio n’aurait pu s’écrire à Lyon sans le courage exemplaire de ses grands-parents. La Seconde Guerre mondiale terminée, ils décident de quitter la Calabre à pied pour rejoindre la capitale des Gaules. Quelques décennies plus tard, Bruno voit le jour dans le septième arrondissement de Lyon, à quelques pas seulement du stade de Gerland. D’abord judoka, il intègre l’Olympique lyonnais pour la première fois en 1971, à cinq ans seulement. Dix ans plus tard, Bruno rejoint la section sport-études du lycée Fays. Son voisin de table est un certain Rémi Garde. Ensemble, ils gravissent les échelons du club lyonnais. Leur intégration dans le groupe professionnel, les deux Gones la doivent à un précurseur en matière de formation, M. José Broissart. « Ce n’est pas Aulas qui a inventé ça. L’intelligence d’utiliser les joueurs de la région est née bien avant. La préformation s’est développée rapidement. Le club était précurseur dans ce domaine avec José Broissart et surtout Alain Thiry, raconte Robert Nouzaret, le premier entraîneur à avoir accueilli Bruno et Rémi dans le groupe professionnel. J’avais José Broissart comme adjoint et il m’en avait parlé. J’allais toujours voir jouer la réserve, c’était donc normal que je le fasse rentrer dans le groupe la deuxième année, en tant que joueur d’appoint. Mais, déjà, on sentait qu’il pouvait être un bon équipier. » Nous sommes en 1986 et Bruno Génésio rejoint le groupe pro.
Les années fastes de l’Olympique lyonnais sont alors à ranger dans la catégorie « récits de science-fiction » . Jean-Michel Aulas débarque en 1987 avec l’espoir de libérer les Gones d’une malédiction qui les accable et les empêche d’accéder à la première division. Pour la saison 1986-1987, Nouzaret renforce l’effectif et compte parmi ses recrues sur Claude Robin. Le défenseur se souvient très bien d’un des premiers matchs de Bruno Génésio. « Je me souviens très bien de l’arrivée de Bruno parce qu’il avait disputé le dernier match en remplacement de Laurent Fournier, qui était blessé ou suspendu. Il avait joué le dernier match de championnat, à Montpellier. C’était une rencontre capitale, on devait gagner » , raconte celui qui a quitté Troyes récemment et qui cherche un nouveau challenge. Lyon ne gagnera pas à la Mosson. Pire, Lyon échouera une nouvelle fois en barrage face à Cannes, après avoir battu Mulhouse. Dans cette morosité ambiante, quelques jeunes tirent leur épingle du jeu. Parmi eux, Bruno et Rémi deviennent les favoris du prochain entraîneur : Raymond Domenech. Patrice Ferri, qui a porté le maillot lyonnais en 1992-1993, se souvient de l’infatigable Bruno : « Il revendiquait son appartenance au club. Il était capable d’aller très loin pour ce maillot. C’est ce qui ressortait de son jeu. On sentait un attachement au club qui lui permettait d’aller au-delà de ce qu’on attendait d’eux. »
L’histoire de Bruno
Avec ses jeunes (Génésio, Garde), l’Olympique lyonnais accède à la première division à la fin de la saison 1988-1989. Si Rémi Garde éclabousse le collectif de son talent, c’est par sa dévotion que Bruno Génésio impressionne. « Bruno, ce n’était pas forcément un grand joueur, mais c’était quelqu’un de volontaire, un gros bosseur. Il était sérieux et intelligent dans le jeu. Quand il fallait aboyer un petit peu, il le faisait. Quand il était sur le terrain, tu savais que le boulot allait être fait et bien fait. C’était un guerrier, un combattant, il se battait pendant 90 minutes et plus » , se souvient François Lemasson, gardien de l’OL de 1987 à 1990. Même son de cloche du côté de Claude Robin, qui ne se souvient plutôt d’un Gone besogneux : « Ce n’était pas un génie du football, il ne faisait pas de différence, mais il avait un bon fond physiquement, un gros volume de jeu, et un sens de la compensation énorme sur le terrain. » Si Patrice Ferri le compare à Jean Tigana, Claude Robin a lui une autre idée en tête : « Pour comparer, puisqu’il faut toujours comparer, il me faisait penser à Didier Deschamps. En étant moins aboyeur. Il était discret et réfléchi. On sentait bien qu’il avait Lyon dans les entrailles. » Sur le terrain, Génésio ne laissait rien passer, ni à ses adversaires, ni à ses coéquipiers. De quoi marquer Patrice Ferri à vie : « Je me souviens de deux ou trois matchs où les mecs étaient un petit peu à côté, pas concernés à 100%. Et Bruno était très réactif à ça. Tout de suite, il parlait du club, du maillot. C’était un réflexe. Il ne voulait pas forcément gagner, mais il voulait au minimum perdre avec de l’attitude. Ce n’était pas dans l’idée du résultat, mais il ne supportait pas que certains ne se sentent pas concernés. »
S’il est hyperactif sur le terrain, Bruno Génésio souffre d’une personnalité un peu trop effacée. Discret, voire timide, le milieu défensif passe peut-être à côté d’une carrière plus prestigieuse. « C’était un gars parfait, mais trop timide. Parfois, on aurait aimé qu’il se rebelle » , assure Robert Nouzaret. Influençable, Génésio passe entre de mauvaises mains, comme il le confesse lui-même dans les colonnes de L’Équipe : « Je sentais que je pouvais aller plus haut. Mais ensuite, je me suis un peu perdu, pour des raisons qui tiennent à ma vie personnelle, et je n’ai pas pris conscience assez tôt de l’importance de ce métier. Je peux avoir des regrets. Si je le pouvais, je ferais différemment. Mais j’étais moins bien dans ma tête, je me suis laissé influencer par les mauvaises personnes. » Prêté à Nice puis à Martigues, Bruno Génésio termine sa carrière dans la discrétion qui l’a toujours caractérisé. Avant de devenir éducateur, puis entraîneur, à l’Arbresle, Villefranche et Besançon. Des expériences pas forcément concluantes, mais qui ont forgé en lui une certaine vision du jeu. Ses racines l’ont ensuite ramené à Lyon, auquel il appartient et où il est destiné à accomplir de belles choses. « C’est un gars qui s’est dépucelé en étant numéro deux. Y en a qui sont numéro deux toute leur vie et qui rétrécissent au lavage quand ils passent numéro un. Lui, c’est le contraire » , se réjouit Robert Nouzaret.
Et il y eut un soir
Voilà où en est Bruno Génésio cinq mois après sa prise en main de l’équipe première : le puceau est devenu un homme, et un homme respecté, là où une frange des supporters lyonnais avait lancé une pétition pour dénoncer sa nomination. Ou comment un gars qui a « Lyon dans les entrailles » a retourné les critiques pour asseoir son pouvoir. Génésio a su se défaire de l’ombre de Rémi Garde – « on se comprend en se regardant » – et a imposé ses méthodes, à son tour. Hier, Génésio s’occupait de « l’observation des adversaires et du montage vidéo. J’ai beaucoup appris avec un staff de très haut niveau, et au milieu de joueurs de très haut niveau. Avec Joël Bats et Robert Duverne, je sais qu’on nous a accusés de faire et défaire les entraîneurs. C’est un mythe absolu. » Plus que tout, la naissance du coach Génésio offre des similitudes à ses propres débuts. Car depuis sa prise de fonction, l’ancien milieu de terrain a décidé de faire de nouveau confiance à la formation à la lyonnaise, de lancer des jeunes, de s’appuyer sur les gamins du coin. C’est sa politique, vers laquelle il veut avancer et il ne changera pas, tout en restant proche de ses joueurs. « Je m’en fiche qu’ils m’appellent « Bruno » ou « coach », qu’ils disent « tu » ou « vous ». Ce n’est pas là-dessus que se joue l’autorité. Carlo Ancelotti m’a dit un jour qu’il ne fallait jamais jouer un rôle, et qu’il préférait rester proche des joueurs. Moi aussi » , précise Génésio. Restent l’avenir et la volonté affirmée de désormais rester numéro un. Sauf si. Lemasson : « Il avait une relation particulière avec Rémi. Ils étaient très amis et ils le sont encore. Bruno l’a dit, il veut bien repasser second, mais à une seule condition : que Rémi soit le numéro un. »
Par Maxime Brigand et Gabriel Cnudde