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La France, son six perdu et Cabaye
Orpheline du chef d’orchestre virtuose qu’elle aurait dû mettre au monde et qu’elle n’a jamais eu la force d’engendrer, la France de 2016 se retrouve à jongler avec différentes solutions d’urgence devant sa défense, au cœur du jeu. À la suite de la suspension de N’Golo Kante, Didier Deschamps doit encore redessiner son milieu avant d’affronter la limpidité du jeu de l’Islande : repasser à un double pivot ou conserver son 4-3-3 et replacer Cabaye ?
Didier Deschamps. Marcel Desailly. Alain Boghossian. Emmanuel Petit. Christian Karembeu. Patrick Vieira. Claude Makelele. Olivier Dacourt. Benoît Pedretti. Alou Diarra. Jérémy Toulalan. Mathieu Flamini. Abou Diaby. Rio Mavuba. Lassana Diarra. Yann M’Vila. Blaise Matuidi. Maxime Gonalons. Étienne Capoue. Francis Coquelin. Josuha Guilavogui. Paul Pogba. Geoffrey Kondogbia. Morgan Schneiderlin. Et enfin N’Golo Kante. L’héritage de France 98 ne se résume pas qu’à celui de Zizou : grande adepte du double pivot et donc de la formation de milieux défensifs, la France n’a cessé de produire des joueurs capables d’évoluer devant la défense, que ce soient des stoppeurs replacés (Desailly au Milan), des milieux tout-terrain (Pogba) ou de véritables sentinelles de formation (Gonalons). Souvent placé devant la défense tel un bouclier humain ou une assurance-vie pour son entraîneur, le milieu défensif à la française rime avec un champ lexical bien particulier, presque islandais : générosité, combat, sacrifice, devoir. Le placement plutôt que la vitesse, la course plutôt que le dribble, le travail du physique plutôt que l’art de la technique. Mais si la France a choisi le grand gourou Deschamps pour la guider en 2016, les années 2010 ont eu le temps de retracer la géographie des milieux européens.
Ainsi, à l’heure où le Vieux Continent s’est mis à peupler ses milieux de chefs d’orchestre modernes, la France s’est retrouvée désemparée. Elle qui est si cérébrale, philosophe, musicale… La France a perdu son six et ressemble à une mère abattue. Pourtant, un Pirlo lui serait bien allé. Modrić aurait été un bon représentant du football à la française. Et ce n’est pas un hasard si Paris se fête au rythme des crochets de Verratti. La France, pour des raisons géographiques et culturelles plus ou moins évidentes, aurait même dû réconcilier la récupération nécessaire nordique et la technique esthétique méditerranéenne. Ce projet est finalement né à deux heures de route de Perpignan, mais de l’autre côté de la frontière, à Sabadell. Il s’appelle Sergio Busquets. Il aurait pu s’appeler Serge Bouquet et parfumer l’Europe tel un cadeau empoisonné. Enivrant de beauté, rageant de perfection. Très français, finalement, n’est-ce pas ? Mais non. Durant toutes ces années, les milieux français sont majoritairement partis se former en Premier League, de plus en plus tôt et de plus en plus bas dans la hiérarchie des clubs anglais. Là-bas, ils ont plus appris à courir alors que le reste des championnats s’efforçait de penser. Et depuis quatre ans, le seul espoir de voir un regista français est endormi sur les épaules de Yohan Cabaye.
Cabaye le déplacé
Victime de la gestion à la Blanc – peu de temps de jeu pour les seconds couteaux, zéro rythme et plongée dans le grand bain contre le Barça au pire moment – Cabaye ne s’est jamais imposé au PSG. Il ne pouvait pas, de toute façon, concurrencer Verratti et Motta. Mais il aurait pu être mieux utilisé et offrir sa mobilité, ses bons pieds et son énergie à un milieu souvent essoufflé. De retour en Premier League, quel joueur est donc Cabaye aujourd’hui ? Du haut de ses 30 ans, le Tourquennois nous a offert différentes versions de celui qui avait été qualifié de « Xavi français » par Vicente del Bosque en 2012. Le plus marquant est de se rendre compte que son rôle en club et son rôle en sélection se sont toujours tourné le dos.
Au LOSC, il était la pointe offensive du fameux triangle Balmont-Mavuba-Cabaye. Un joueur de relais, rapide dans les petits espaces, parfait pour faire vivre la possession lilloise, marquer des buts (33 sur ses quatre saisons de titulaire) et mettre Hazard, Gervinho, Frau ou encore Sow dans les meilleures conditions. À Newcastle, Cabaye a abandonné le contrôle lillois pour épouser le grand large britannique, et le rôle du skipper box-to-box lui est allé commun gant. Milieu joueur du double pivot du 4-2-3-1, Cabaye est devenu le meneur de jeu d’équipes qui vivent pour la transition. Les frappes lointaines, longues transversales et récupérations in extremis lui ont construit une belle réputation, de Newcastle à Crystal Palace. Mais sous Blanc et Deschamps, Cabaye n’a jamais retrouvé ce contexte. Placé en sentinelle seul devant la défense, il a toujours semblé maladroit en phase défensive et incapable d’organiser le jeu de manière conquérante, privilégiant souvent la solution de facilité, à savoir les passes en retrait et le jeu long. Et si Deschamps l’a utilisé en relayeur un quart d’heure contre le Cameroun et une vingtaine de minutes contre l’Écosse – avec à la clé un sens du jeu intéressant, des occasions et du mouvement –, c’est bien un numéro 6 qu’il l’a replacé face à la Suisse.
Concours tactique de circonstances
Tant pis pour Cabaye et pour le six perdu, pensait très fort le football français au printemps 2016. Réveillé par la Ligue 1, Lass le prodige semblait avoir envie de nous gifler avec une dernière danse. Les problèmes structurels étaient résolus par un petit joueur capable de grandes choses, prêt à dévorer le continent. Mais non, crac et retour à zéro. Sans la colonne vertébrale prévue – Varane, Lass, Benzema –, la disposition tactique des Bleus lors de cet Euro 2016 est devenue un concours de circonstances : une série d’absences aura provoqué une série d’assemblages urgents qui aura elle-même abouti à une série d’agencements tactiques, pour compenser.
Aujourd’hui, la formation des Bleus n’est donc pas le produit d’un projet réfléchi a priori, influencé par tel ou tel courant : elle est le fruit d’une réaction. D’ailleurs, elle ne se montre jamais meilleure que lorsqu’elle doit réagir, après chaque mi-temps, grosso modo. Dimanche au Stade de France, Deschamps se retrouve à devoir remettre en question le peu d’acquis qu’il avait emmagasinés. En l’absence de Kante, les rôles d’organisation, première relance et couverture sont remis en jeu. Jusque-là, Deschamps a essayé quatre solutions aux résultats et contextes différents. La roumaine : 4-3-3 autour de Kante, avec le ballon. L’albanaise : 4-2-3-1 devant Matuidi-Kante, avec le ballon. La suisse : 4-3-3- autour de Cabaye, sans le ballon. L’irlandaise 2.0 : 4-2-3-1 devant Matuidi-Pogba, avec le ballon.
Contrôler le volcan islandais
Au moment d’affronter les longues touches et les transitions malignes de l’Islande de Lagerbäck, le milieu anglais a cruellement souffert : Dier est sorti à la mi-temps, Rooney a coulé progressivement, tandis que Wilshere n’a jamais sonné la révolte. C’est bien ce secteur du jeu qui devra hausser son niveau de jeu dimanche : accélérer la circulation de balle, ralentir les transitions islandaises, répondre présent au duel. Dans ce contexte, Deschamps devra choisir entre l’option 4-3-3 avec Matuidi-Cabaye-Pogba et l’option 4-2-3-1 avec Matuidi-Pogba. Sur le premier tableau, les Bleus seront vulnérables à la perte de balle, mais la mobilité de Cabaye pourrait bien offrir le contrôle nécessaire à de longues possessions. Sur le second, ce serait à Paul Pogba d’organiser, élaborer, couvrir et puis lancer la manœuvre. Un choix qui a du sens : Deschamps placerait alors son meilleur joueur à la position la plus importante de la carte. D’autant plus que les Bleus auront besoin de largeur devant pour déborder le bloc islandais, et le 4-2-3-1 remettrait à jour la candidature de Coman ou Martial. Et si la Pioche était le six perdu du football français ?
Les chiffres de Cabaye
– Rôle offensif à Crystal Palace : 2 tirs et 1,5 occasion créée par match.- Sans surprise, Crystal Palace ne l’imagine pas regista : seulement 38 passes et 2,9 longs ballons par match. – En 90 minutes contre la Suisse, Cabaye a réalisé 42 passes avec 85% de réussite, dans un contexte de possession à 40%. Depuis le début de la compétition, Kante en réalise 70 par match à 93% de réussite. – Entré en jeu en tant que relayeur contre le Cameroun et l’Écosse, Cabaye a tiré 2 fois lors de chaque rencontre (seulement 18 minutes de temps de jeu en moyenne).
Par Markus Kaufmann
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