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La France, le but avant l’ivresse
Par trois fois, la France est parvenue à remporter une compétition internationale majeure. Par trois fois, le clap de fin était le même : un but à la toute dernière minute, déclic d’une explosion de joie intense et libératrice.
On se croirait dans un thriller américain où le danger menace un héros en pleine galère, ou quand mademoiselle prend des plombes pour enfiler sa plus belle tenue de soirée. Chaque fois, l’attente est insoutenable. Chaque fois, on voudrait crier son désespoir. Mais chaque fois, le résultat est le même : plus c’est long, plus c’est bon. Depuis trois matchs, le constat est là : la France aime se faire désirer. Dans leurs rôles de détonateurs respectifs, Payet et Griezmann auront trouvé tour à tour le chemin d’une victoire sur le gong. Sans se pavaner, les Bleus gardent pourtant la tête froide. Parce que ces fortes émotions doivent rester les premières. Parce que la Suisse a fait bloc, et qu’un tirage de maillot de Sagna pouvait changer la donne du destin de l’équipe de France. Parce que le plus dur est à venir, et que d’anciennes gloires nationales sont passées par des obstacles bien plus coriaces. Dernier buteur de l’Euro 1984, Bruno Bellone raconte l’ambiance éprouvante du dénouement de la finale au Parc des Princes. « Avant mon but, c’était compliqué parce que l’Espagne jouait en supériorité numérique. On souffrait et on avait peur d’une égalisation. Je pense que si cela était arrivé, on aurait eu de gros problèmes… » La France offre du suspense à ses supporters, et c’est son chemin vers le Graal. En 84, Yvon Le Roux était en réalité le père de Marcel Desailly 98 chez les expulsés de la dernière marche. Trembler d’abord pour plonger dans le bonheur ensuite, voici la marque de la victoire continentale à la française.
« Un film d’Hollywood »
« Tu ressens toute la libération de l’équipe et du pays, décrit Bellone. Tu sais que c’est fini, qu’ils ne peuvent plus revenir. Les soucis, tu les oublies et en même temps, tout te passe par la tête. Tu penses à la famille, à tout ce que tu vas pouvoir faire après ça… En vérité, ça te change la vie. » Pour suivre ces traces dorées, les joueurs de l’équipe de France devront apporter leur pierre à l’édifice. Tous, cela comprend aussi les défenseurs. Adil Rami, centreur décisif pour Toto Griezmann contre l’Albanie, réfute les vannes sur son geste et se considère « joueur professionnel » : « Ça m’arrive de faire des choses comme ça. » S’il n’y a pas donc de place au doute chez Rami au moment d’abattre ses cartes, ce bon geste instinctif vient bousculer les certitudes préétablies, pour rendre l’équipe plus menaçante encore. Auteur de son seul et unique but dans le tournoi il y a maintenant 32 ans, Bruno Bellone affirme que la France devait entrer dans l’histoire pour de bon. « C’est ce qu’on se disait dans le vestiaire avant la rencontre, Michel Hidalgo avait eu des mots simples. Pour être champions, c’était aujourd’hui ou jamais. »
Le piqué de Bellone sur Arconada marquera une génération entière, comme ces neuf buts en cinq matchs inscrits par Platini durant le tournoi, voire davantage. Car si le numéro 10 restera le grand homme de ce premier couronnement des Bleus, Platoche gardera un seul regret concernant son record légendaire. « Michel avait envie de marquer le mien, s’attarde Bellone. Je le comprends, parce que c’est le rêve absolu. Marquer à la dernière minute, tout le monde rêve de cela quand on est gamin… » Et si le Roi Michel avait marqué une dixième fois, sa notoriété de joueur de légende aurait-elle changé ? Pas vraiment, comme le certifie Bellone. « Michel était le meilleur, il n’y avait aucun doute là-dessus, coupe l’actuel gérant de Social Foot. Mais quand l’Euro en France revient, on reparle de cette finale, de son but et du mien. C’est top, car cela me permet de continuer à exister dans le monde du foot. » Ainsi, les visages d’Emmanuel Petit ou de David Trezeguet garderont, par analogie, leur symbolique de liesse. Ce passé doré, la France aimerait le réactualiser en 2016. Qui en sera le héros ? « C’est difficile d’imaginer un Bruno Bellone en 2016… Je pense que c’est une question de chance et de mental. Griezmann aime les piqués et il est gaucher. J’aime bien ce joueur. » Des frappes du gauche, elles sont aussi très belles dans la lucarne.
Le coq du crépuscule
En bonne science inexacte, le football dépend de beaucoup trop de facteurs pour qu’une explication cartésienne puisse y trouver sa place. « Ces buts ne sont pas ancrés dans le football français, avoue Bellone. On ne fait pas exprès de le gagner de cette manière, hein. C’est juste qu’on le souhaite, parce que c’est une belle fin. » Dans ce second tour, la France va vouloir collectionner ce type d’émotions afin de retrouver un large sourire, perdu depuis le 9 juillet 2006 et le coup de massue signé Fabio Grosso contre la dernière grande sélection cocorico de l’histoire. Mais les huitièmes de finale, la France les adore. D’une part, parce qu’elle n’est jamais tombée à ce stade d’une compétition internationale. Et de l’autre, avant de partir dans une nouvelle bataille contre l’Éire ce dimanche, les Bleus pourront se rappeler qu’un adversaire accrocheur en huitièmes peut aussi être vaincu par un but libérateur, comme Laurent Blanc l’avait fait contre le Paraguay à la Coupe du monde 1998. Thierry Henry, touché à la cheville, s’en souvient comme un fan devant sa télévision.
Par Antoine Donnarieix