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La France, enfant chéri de l'UEFA

Par Nicolas Kssis-Martov

Vingt-six pays européens (pas l’Espagne) ont signé une déclaration commune en soutien au modèle sportif européen et solidaire du sport. Le texte, très ampoulé, est clairement ressenti comme une opposition de principe à la Superligue. Surtout qu’il est porté par Amélie Oudéa-Castéra, qui l’a présenté au congrès de l’UEFA, à Paris.

La France, enfant chéri de l'UEFA

Lorsque les promoteurs de la Superligue, le lider maximo Florentino Pérez en tête, avaient tenté leur putsch en avril 2021, le refus assez général des États européens, y compris de la Grande-Bretagne qui venait de brexiter, avait pesé lourd dans l’échec provisoire du projet. Ce front du refus (avec les supporters et un grand nombre de clubs prestigieux) avait joué un rôle aussi déterminant que les menaces d’exclusion de l’UEFA. Depuis, cette dernière cherche à consolider ses positions. En particulier depuis la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a ouvert le champ des possibles pour le plus grand bonheur de l’agence A22, qui s’occupe de mettre en œuvre concrètement ce petit délire capitaliste.

La ministre française des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, lui a donc apporté un beau cadeau, sous la forme d’un texte signé par 26 pays du Vieux Continent, à l’occasion de son discours d’accueil du congrès de la confédération européenne à Paris, ce jeudi. L’idée derrière tout ça ? «  Protéger » et « renforcer un sport solidaire et fondé sur des valeurs ». Bien sûr, l’Espagne ne l’a pas paraphé, et c’est tout un symbole.

La France et l’Europe contre la Superligue

AOC sera certainement très heureuse de pouvoir intervenir sur un autre terrain que les affaires et polémiques qui ont jalonné son court passage au ministère de l’Éducation nationale. Fidèle du président de la République, qu’elle a connu sur les bancs de l’ENA, elle pourra prendre plaisir à installer la France en protectrice des « principales caractéristiques d’un modèle sportif européen ». Emmanuel Macron n’avait certes pas caché son opposition dès le départ. « Le président de la République salue la position des clubs français de refuser de participer à un projet de Superligue européenne de football menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif, a indiqué L’Élysée à L’Équipe. L’État français appuiera toutes les démarches de la LFP, de la FFF, de l’UEFA et de la FIFA pour protéger l’intégrité des compétitions fédérales, qu’elles soient nationales ou européennes. » La France héberge en outre le PSG de Nasser al-Khelaïfi, également à la tête de l’ECA, une des places fortes face aux assauts de la Superligue de son rival madrilène.

Le président de la République salue la position des clubs français de refuser de participer à un projet de Superligue européenne de football menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif.

L’Élysée à L’Équipe

Le texte en question ne surprendra guère, tant sur le fond que la forme. Il est très caractéristique de ces grandes déclarations qui évitent de trop entrer dans le détail ou de cibler qui que ce soit, le tout saupoudré de grandes déclarations d’intention consensuelles. Voilà un exemple : « Les valeurs dans le sport et les organisations sportives, régies conformément aux principes de démocratie, de transparence, d’intégrité, de solidarité, d’égalité de genre, d’ouverture, de responsabilité, d’accessibilité, de responsabilité sociale et de respect des droits fondamentaux et des droits de l’homme. » Nous avons pu mesurer avec la Coupe du monde au Qatar, et avant en Russie, la véritable portée de ces convictions. Les gouvernements européens, à commencer par la France, n’avaient aucunement envie de fâcher un interlocuteur économique aussi fortuné, un si généreux client des Rafales ou partenaire de Total.

Le pouvoir de l’argent et des puissants

De fait, le texte des 26 n’aura pas de conséquences immédiates. Il s’inscrit dans la filiation de la résolution « sur les principales caractéristiques d’un modèle européen du sport », adoptée à l’unanimité par les ministres des Sports de l’Union européenne le 30 novembre 2021, juste après la crise. Il lève à sa façon un joli tifo de soutien à l’UEFA quand il déclare son attachement à « la structure pyramidale, le système ouvert de promotion et de relégation, l’approche par la base et la solidarité, le rôle du sport dans l’identité nationale, la construction de la communauté et les structures fondées sur le bénévolat, ainsi que ses fonctions sociales, éducatives, culturelles et sanitaires ». Ce point de vue et cette logorrhée s’entendent en boucle en ce moment pour faire l’apologie des JOP de Paris. De la sorte, face à la menace juridique de l’instance européenne, les 26 pays européens, dont la France, apportent à la boutique d’Aleksander Čeferin une bénédiction morale, dont l’hypocrisie doit faire sourire du côté d’A22.

Les participants à la Ligue des champions verront leur manne passer de 2,032 à 2,467 milliards d’euros sur la période 2024-2027.

Il aurait en effet fallu soumettre à la ministre une info capitale. Cette semaine, l’UEFA a révélé les montants que se répartiront les clubs engagés dans ses compétitions continentales lors la période 2024-2027. La réalité se révèle pourtant très éloignée de la « solidarité » installée au centre des valeurs du sport européen. Les participants à la Ligue des champions – ils seront désormais 36 – verront leur manne passer de 2,032 à 2,467 milliards d’euros, alors que les petites sœurs, la Ligue Europa (565 millions d’euros) et la Ligue Europa Conférence (285 millions d’euros) se partageront les restes. Le danger de la Superligue a donc surtout permis aux plus gros d’accaparer encore davantage de parts du gâteau, tout en laissant les clubs de seconde zone, notamment à l’Est, les regarder avec envie se goinfrer. Face au pouvoir de l’argent, il faut un peu plus de courage politique qu’une déclaration à la Coubertin.

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