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La France doit-elle jouer en 4-2-4 ?
L'équipe de France peut-elle s'inspirer du PSG de Luis Enrique et aligner un quatuor offensif particulièrement effrayant, du moins sur le papier ? Didier Deschamps ne semble en tout cas pas totalement fermé à l'idée.
C’est le système tactique dont tout le monde parle depuis la claque infligée par le PSG à l’OM lors du Classique (4-0). Et si ce 4-2-4 mouvant sorti du cerveau de Luis Enrique pouvait faire des émules ? Est-il même un schéma viable pour le club de la capitale, balayé dix jours plus tard à Newcastle (4-1) ? La question concerne également l’équipe de France, surtout quand trois membres de cette fameuse ligne de quatre offensifs répètent leur gamme au quotidien au pied de la tour Eiffel et commencent donc à avoir quelques repères.
Interrogé au moment de l’annonce de sa liste – soit 24h après la déroute face aux Magpies – pour savoir s’il pourrait s’en inspirer, Didier Deschamps a surtout fait dans l’humour : « J’espère, mais pas pour le même résultat. » Mais sans fermer totalement la porte. Simple intox ou véritable réflexion pour le sélectionneur tricolore ? « Je regarde les matchs, et tout cela m’interroge, m’amène à réfléchir et en discuter avec mon staff, avait-il poursuivi. Ça peut marcher, mais quand ça ne marche pas… (…) Est-ce possible de jouer avec quatre joueurs offensifs de très haut niveau ? La réponse est oui, c’est ce qu’on fait depuis la Coupe du monde. »
Griezmann au cœur de l’équation
La position d’Antoine Griezmann, incorporé au milieu de terrain depuis l’épopée qatarie de l’an dernier, se place forcément au cœur des débats. Dans un tel schéma, le maître à jouer de l’Atlético serait-il dans la ligne de quatre attaquants ou parmi les deux milieux, obligé de travailler d’arrache-pied pour compenser les infériorités numériques dans l’entrejeu inhérentes à une telle tactique ? « Avec Griezmann, ce sera toujours un 4-2-3-1, il va toujours se mettre naturellement entre les lignes et mettre de l’équilibre dans le jeu de l’équipe de France », tranche Didier Domi, ancien international Espoirs à la toute fin des années 1990. Et pas question de se passer de celui qui n’a plus raté un match des Bleus depuis plus de six ans.
Voilà la raison pour laquelle l’ancien latéral du PSG ne croit pas à l’éventualité d’un 4-2-4 en équipe de France. « Pour moi, Deschamps n’a pas l’intention de le faire. Il pourrait le faire contre une équipe assez faible, mais au haut niveau, tu ne pourrais pas te retrouver avec les quatre attaquants qu’on a sans qu’il y en ait un qui fasse le liant. S’il y en avait un capable de décrocher et jouer entre les lignes peut-être, mais on ne l’a pas. Le seul, c’est Griezmann, qui est un profil exceptionnel. Quand il va s’arrêter, on va vraiment voir la différence. On a beau avoir quatre attaquants exceptionnels, ils ont besoin de qualité technique au milieu de terrain pour qu’on les approvisionne en ballons. » Kylian Mbappé a montré ses limites à la distribution – et excelle tellement dans d’autres domaines qu’il serait dommage de s’en passer –, alors qui pourrait redescendre filer un coup de main de temps en temps ? « Olivier Giroud décroche parfois naturellement, mais il est surtout là pour fixer les deux défenseurs centraux plus haut pour que quelqu’un puisse jouer entre les lignes. Et ce joueur, c’est Griezmann. »
On en revient donc toujours au natif de Mâcon. Et Didier Domi enfonce le clou : « Le milieu de terrain est une grande zone d’influence, beaucoup de choses se jouent là, même si ce n’est pas la zone de vérité. Il te faut maîtriser cette partie du terrain. Le 4-2-4 du PSG a très bien marché contre des équipes en difficulté, mais dès que tu commences à avoir la pression au milieu de terrain, il faut qu’un des gars de devant vienne se mettre dans les bons espaces, ce qu’on n’a pas vu à Newcastle. Et on ne l’aurait pas non plus en équipe de France avec un 4-2-4 sans Griezmann. »
Une question de profils ?
Comme le Paris Saint-Germain en a fait l’amère expérience à St James’ Park, son système de jeu nécessite de trouver un certain équilibre pour ne pas se faire marcher dessus dès la première relance et se retrouver avec quatre joueurs offensifs inutiles. Soit une grande coordination entre chaque bonhomme pour éviter d’être submergé. « On variait notre position en fonction de là où se trouve le ballon pour espérer créer le plus de problèmes pour notre adversaire. (…) Ce soir, c’est un match parfait, on se rapproche d’une idée de domination complète », se délectait Luis Enrique après la démonstration du Classique. Avant de balayer les questions d’équilibre : « L’objectif n’est pas d’avoir quatre attaquants dans l’équipe, mais onze. L’objectif n’est pas non plus d’avoir quatre défenseurs dans l’équipe, mais onze. Quand tu réussis cela, les bons joueurs peuvent jouer dans différentes positions. »
Difficile pour autant de ne pas imaginer les deux malheureux milieux de terrain devoir rapidement enchaîner les compensations aux quatre coins du pré pour maintenir le bateau à flot. « Si on joue contre une petite nation, Rabiot et Tchouaméni, même s’ils sont deux contre trois, pourraient s’en sortir. Mais déjà contre l’Écosse, qui est très bonne ces deux dernières années, on serait noyés au milieu de terrain. On aurait du mal à jouer parce qu’on aurait trop de joueurs verticaux, estime Didier Domi. C’est important d’avoir toujours une certaine supériorité au milieu de terrain. Si on joue en 4-2-4, il nous faut quelqu’un qui décroche et je ne pense pas qu’on l’ait, parce qu’on n’a que des flèches devant. Avec le ballon et sans ballon, on aurait des problèmes avec les caractéristiques des joueurs qu’on a. »
Et si l’un des latéraux venait prêter main forte un cran plus haut, comme l’a si bien fait Achraf Hakimi face à Marseille (avant d’être largement plus en difficulté à Newcastle) ? « À part Theo Hernandez, on a beaucoup de profils de défenseurs centraux qui jouent sur le côté. Il faut une certaine qualité technique pour tenir ce rôle, quelqu’un capable de se retourner sous pression, or ce sont des joueurs qui aiment avoir le ballon devant eux, tempère notre consultant. Ils n’ont pas la même prise d’info qu’Hakimi, il n’y a personne qui peut jouer comme lui ou Cancelo dans cette équipe de France, même Theo est beaucoup plus vertical, donc ce serait difficile. » Sans un super-héros capable de rayonner derrière, au milieu et devant comme le Marocain ces dernières semaines, ça devient forcément beaucoup plus difficile.
Par Tom Binet
Propos de Didier Domi recueillis par TB.