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La France 2018 est-elle un pays de foot ?

Par Chérif Ghemmour
6 minutes
La France 2018 est-elle un pays de foot ?

Question délicate. Mais oui : avec deux étoiles mondiales, la France est assurément une grande nation de foot. La quatrième ex-aequo. Deux autres questions surgissent cependant. L’est-elle devenue depuis 1998 ou 2018 ? Et la France est-elle une grande nation de foot sur tous les plans ?

Le mois de juillet 2018 est cruel pour le foot français. Le mardi 17, l’Ukraine a tapé la France 2-1 en match de poules du championnat des U19 en Finlande. Dans ce groupe B très relevé, ce revers compromet déjà les chances tricolores pour la suite. Preuve que le foot français va très mal, qu’il n’a plus d’avenir, que l’Azerbaïdjan va nous passer devant au classement FIFA et que le Qatar va finir par nous racheter… Vraiment ? Soyons sérieux et directs : le foot français, c’est désormais deux Coupes du monde (1998 et 2018) et une finale perdue (2006) + deux Euros (1984 et 2000) et une finale perdue (2016). Pas mal… À cela s’ajoutent aussi deux Coupes des confédérations (2001 et 2003).

Si, si, ça compte, bande d’oublieux ! Surtout maintenant, avec une épreuve plus large en participants, mieux organisée et assez compétitive. À ce propos, certains ont sûrement oublié que les Bleus champions du monde 2018 joueront donc la Coupe des confédérations 2021. Faut tout vous dire ! Et où se tiendra-t-elle, cette CDC 2021 ? On ne sait pas encore, la FIFA ayant retiré son organisation au Qatar. Peu importe le lieu, les Bleus seraient bien inspirés de la gagner et de rattraper le Brésil, leader de la compétition avec quatre trophées.

Un palmarès devenu XXL

Revenons au foot français. On oublie toujours d’associer les perfs individuelles pour déterminer la valeur football d’une nation. Erreur ! Surtout dans le cas français. Ainsi, la France détient toujours deux records extraordinaires : meilleur buteur d’une Coupe du monde (Just Fontaine avec treize buts en 1958) et meilleur buteur d’un Euro (Michel Platini avec neuf buts en 1984). Voilà pour rappel à tous ceux qui croient que le football français est né un 12 juillet 1998. Parce que ces deux records extraterrestres vont tenir encore un bon bout de temps.

Il faut ajouter également les lauréats français du Ballon d’or. C’est un indice secondaire, mais qui demeure pertinent pour notre évaluation globale. Le compte s’élève à six : Kopa (1958), Platini (1983, 1984, 1985), JPP (1991) et Zidane (1998). Pas mal, là aussi. Dernier critère important, mais plus « invisible » , l’excellence de la formation à la française qui replace forcément en 2018 la France au sommet devant l’Espagne et l’Allemagne. Notamment grâce à son immense réservoir francilien, mais pas que.

Sur le podium mondial

Voilà. Le bilan global enrichi de la couronne mondiale 2018 place aujourd’hui la France très haut dans la hiérarchie planétaire. En s’en tenant juste aux Coupes du monde, la France est quatrième ex-aequo avec l’Argentine et l’Uruguay (deux titres), derrière le Brésil (premier et cinq titres) et le binôme Italie-Allemagne (quatre titres). En vingt ans, la France est tout simplement entrée dans le top 3 mondial. Un truc encore impensable en mai 1998 alors qu’on doutait grandement des chances des Bleus de Jacquet… Mais avant cette première étoile qui a tout changé, le débat évaluatif du foot français était déjà vif et complexe.

Certes, avec zéro Coupe du monde, le débat était tranché : on était nuls, point barre. Les optimistes insistaient à juste titre sur l’Euro 1984, les records de buts de Fontaine et Platini et les cinq Ballon d’or. À cela s’ajoutaient des perfs non retenues plus haut, mais acceptables : les places de troisième aux Coupes du monde 1958 et 1986, une place de quatrième à celle de 1982 ainsi que la quatrième place oubliée à l’Euro 1960. Mais en 2018, donc, le débat a été tranché : la France est troisième mondiale.

L’effroyable lose des clubs

Sauf que… Là, on parlait de foot de sélection. Or, quand on aborde le foot de club, c’est le désert. On parle bien sûr des coupes d’Europe et des deux pauvres trophées tricolores seulement acquis depuis 1956 (C1 1993 pour l’OM et C2 1996 pour le PSG) ! Épargnons-nous les places de finalistes pour se fixer sur une comparaison accablante : la « petite Hollande » , c’est onze titres continentaux (six C1, une C2 et quatre C3). Autant dire qu’on ne rattrapera pas les Pays-Bas avant très longtemps… Ce bilan désastreux relativise donc la valeur d’un football français plombé par ses horribles performances en coupes d’Europe des clubs.

Le fiasco absolu en C3 résume à lui tout seul tous les maux du foot hexagonal. Inutile d’énumérer aujourd’hui les causes de cette lose quasi ancestrale. Rappelons juste que chez nous, historiquement, c’est toujours l’équipe de France qui a été la locomotive du foot national, à la différence d’autres pays où ce sont les clubs qui tirent leur pays vers le haut (Angleterre, Portugal avant 2016). Ceci dit, on aimerait que la France suive le modèle de pays qui « marchent sur leurs deux jambes » en réussissant aussi bien en clubs qu’en sélection (Italie et Espagne).

Culture supporter et foot intello

Deux critères moins importants, mais nécessaires s’ajoutent à l’évaluation globale : la culture supporter et l’intellectualisme footballistique. Deux domaines encore trop larges pour développer ici. Sur le premier point, la France est dans la moyenne basse quand on compare aux grands pays de foot européens et sud-américains. Pour aller vite, on dira que c’est la FFF qui a créé le grotesque « Club des supporters » pour encourager les Bleus quand la marée Oranje déplace spontanément 20 000 fans partout pour suivre la sélection néerlandaise.

Côté clubs, il manque toujours en France ce lien quasi fusionnel, ancien et permanent, entre clubs et supporters qui pousse les équipes des grands pays de football à remporter des titres. Demandez aux adversaires de Liverpool en C1 2017-2018 qui sont venus jouer à Anfield dès le mois d’août (barrages contre Hoffenheim). En C3, le Vélodrome marseillais ne s’est enflammé qu’en quarts retour contre Leipzig…

Les médias pas en reste

À propos de l’intellectualisme footballistique, la France a toujours été un grand pays de débats et réflexion dans tous les domaines. Y compris sur le plan tactique, où la qualité de sa production n’est pas si inférieure aux grands médias et auteurs anglais, italiens ou argentins. Ce n’est pas pour rien que la presse écrite française est à l’origine de la création des Coupes d’Europe, de l’Euro et du Ballon d’or. Plus profondément, la culture intellectuelle foot en France n’a jamais été aussi dense, aussi riche sur la forme (livres, documentaires, colloques, festivals) que sur le fond (biographies, sociologie du foot…).

La tendance est récente. Depuis les années 1990 et les Guignols de l’Info, en gros. Elle se maintient malgré un marché du livre de sport qui peine à se rentabiliser… France 1998 a boosté une culture foot qui s’est décomplexée et élargie avec des nouvelles chaînes TV, des magazines comme So Foot et avec Internet et sa myriade de sites et blogs de qualité. Car la puissance footballistique d’un pays s’acquiert par ses débats doctrinaux sur le jeu et la tactique, oui, mais aussi par l’humour et l’autodérision. La victoire de France 2018, c’est aussi, en marge du terrain et des joueurs, le fruit d’un bouillonnement d’idées fait de critiques et de remises en cause. Didier Deschamps sait TOUT ce qui s’écrit et se dit sur l’équipe de France. Quand il ne peut pas s’en informer, on le lui rapporte. 67 millions de sélectionneurs ont ainsi aidé DD, même de façon infinitésimale, à gagner la Coupe du monde…

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