- 28 avril 1923 – Le jour où…
La folle inauguration de l’ancien Wembley
Rasé en 2003 pour laisser place à l'actuel Wembley, le mythique stade des finales de la Coupe du monde 1966 et de l'Euro 1996 a été inauguré il y a très exactement 92 ans par un match de FA Cup resté dans les annales. Pas tellement pour la rencontre en elle-même, mais pour l'incroyable ferveur qu'elle a suscitée. Une rencontre disputée sous les yeux de 300 000 personnes, du roi George V et de Billie, un fameux cheval blanc.
126 047 billets vendus. C’est l’affluence officielle de ce match entre Bolton et West Ham, disputé le 28 avril 1923. En réalité, entre le monde massé dans les tribunes, sur la cendrée, jusqu’au bord du rectangle d’herbe et à proximité immédiate de l’enceinte, il y aurait eu largement plus de 200 000 spectateurs présents pour cette inauguration. Certains s’aventurent même à citer le chiffre de 300 000 personnes. Une folie collective imprévue et qui aurait pu se transformer en carnage s’il y avait eu un mouvement de foule. Par miracle, tout s’est bien passé, comme le montre un exceptionnel document vidéo des studios British Pathé. Dans cette incroyable archive de l’époque du muet, tout est là : les textes explicatifs entre deux scènes filmées ( « Well played « Hammers », better luck next time ! » ), les gueules et les costumes qu’on croirait issus d’un épisode de Peaky Blinders, la ferveur et l’ambiance si bien retranscrites… Tous ces gens qui se précipitent, arrivant de partout aux abords du stade et essayant par tous les moyens d’y entrer, ce monde qui envahit la pelouse menaçant la tenue du match, la garde montée qui parvient difficilement à éloigner les spectateurs pour permettre à la partie de se dérouler dans des conditions totalement inimaginables aujourd’hui, avec du monde jusque sur les lignes de touche ! Une merveille de vidéo datant d’il y 92 ans tout juste. Un vrai moment d’émotion.
FA Cup avant expo coloniale
Pourquoi cette rencontre s’est-elle disputée devant une telle marée humaine ? Déjà, il y avait l’importance symbolique de cette toute nouvelle enceinte pour le peuple londonien. Un monument immense pour un événement immense : la British Empire Exposition, organisée l’année suivante et qui sera un tel succès qu’elle se poursuivra jusqu’en 1925. L’époque est à la glorification des colonies et cette exposition est l’occasion pour le roi George V d’autoriser la construction de ce stade, initialement appelé « Empire stadium » avant d’être connu sous le nom de Wembley, qui restera aisément identifiable par la suite pour ses singulières « twin towers » blanches à l’entrée. Pour son inauguration, les promoteurs avaient eu la bonne idée d’y organiser la finale de la FA Cup, une compétition déjà très populaire à l’époque. Autre élément contribuant au succès populaire de cette journée : l’une des équipes se hissant jusqu’en finale est londonienne. Il s’agit des Hammers de West Ham, opposés à la formation de Bolton. Et puis il y a la chance, tout simplement : il faisait beau temps en ce 28 avril 1923, alors la population de la capitale s’est massivement décidée à emprunter les transports en commun pour se rendre dans ce stade tout neuf, achevé de justesse quatre jours avant. Match prévu à 15h, ouverture des portes à 11h30, au début le monde qui arrive est discipliné et s’installe dans les gradins, mais le flot de gens ne cesse pas, ça grouille de partout. Bientôt les portes se ferment, mais qu’à cela ne tienne, on enjambe rambardes et palissades de chantier pour se précipiter et gratter les dernières places en tribune. Les organisateurs doivent se rendre à l’évidence : ils ont largement sous-estimé la popularité de cette partie et se retrouvent complètement dépassés.
Un cheval blanc, héros de l’avant-match
Bientôt 15h, et rien n’est prêt pour que le coup d’envoi soit donné. Comme tout le monde, les joueurs de Bolton ont dû fendre difficilement la foule pour rejoindre le stade. Le roi George V est péniblement hissé jusqu’à la tribune réservée, mais il reste encore énormément de monde sur la pelouse. Pour les évacuer, on fait intervenir la police montée. C’est à ce moment que les photographes et le caméraman immortalisent ceux qui resteront comme les vraies stars de cette journée : le policier George Scorey et son cheval blanc nommé Billie. Du moins, les images donnent l’impression qu’il est blanc, alors que sa vraie couleur est grise… Son cavalier et lui, si visibles sur les clichés, si irréels au-dessus de ce flot humain, resteront pour la postérité comme étant ceux qui ont réussi à discipliner le public pour permettre au match d’avoir lieu, avec trois quarts d’heure de retard sur l’horaire prévu. Cet instantané d’avant-match a donné son nom à cette journée particulière : « The white horse final » .
Un deuxième but polémique pour Bolton
Bien que certains spectateurs soient régulièrement poussés par la foule jusque sur le rectangle de jeu, la rencontre va aller jusqu’à son terme, avec une victoire 2-0 de Bolton, qui ouvre pour l’occasion son palmarès. Le deuxième but fera polémique, le ballon n’ayant en fait pas vraiment franchi la ligne de but. Mais dans la confusion, étant donné les conditions de jeu, on pardonnera à l’arbitre cette erreur… Ce 28 avril 1923 reste en tout cas comme un moment assez invraisemblable et lance de la meilleure des manières l’histoire de cette enceinte, qui accueillera bien l’expo coloniale l’année suivante, comme prévu. À l’origine conçue pour être ensuite démolie, elle sera finalement conservée malgré de récurrents problèmes de rentabilité. Elle sera le théâtre des Jeux olympiques de 1948, des finales du Mondial 1966, de l’Euro 1996, entre autres, et bien sûr de toutes les finales de FA Cup jusqu’à 2000 et la fin de son exploitation. Rasée trois ans plus tard, elle est aujourd’hui remplacée par l’actuel Wembley, bien plus moderne, bien plus confortable, bien plus adapté à l’accueil du public que son vieil aïeul, d’un autre âge et dont il ne reste aujourd’hui plus rien.
Par Régis Delanoë