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La folle épopée du « dottore » Fulvio Bernardini
Protagonistes du derby des Apennins, la Fiorentina et Bologna ont pour dénominateur commun Fulvio Bernardini, un entraîneur capable de remporter un Scudetto à la tête de ces équipes dans une époque déjà dominée par les rayées noir du Nord.
Aujourd’hui, son nom évoque surtout le centre sportif d’entraînement de Trigoria, là où s’entraîne la Roma, qui lui a rendu hommage en lui dédiant ses infrastructures. Maigre héritage d’un personnage qui a profondément marqué l’histoire du foot italien, au sein duquel il a tout fait. D’abord joueur brillant et polyvalent, puis entraîneur doué et même journaliste de renom. Et encore, c’est parce qu’il a refusé, diplôme de Sciences Po en poche, de se lancer dans la politique. Un genre de Forrest Gump du XXe siècle italien.
Le joueur, le tennisman et l’étudiant
Printemps 1921, un jeune gardien de 16 ans enchaîne les plongeons dans la boue, repoussant les nombreuses tentatives de la Fortitudo dans ce derby romain. Les adversaires mènent au score, mais perdent pourtant patience, et frappent le portier à la tête lors d’une mêlée à ras du sol. Soignée avec une gorgée de cognac, Bernardini rentre amoché à la maison, ses grandes sœurs le convainquant de changer de poste. C’est ainsi qu’il devient l’avant-centre de la Lazio avant de reculer défenseur central puis de remonter d’un cran et trouver sa place définitive au milieu de terrain. « Fuffo » est peut-être le premier playmaker de l’histoire de ce sport. Fini les grandes ouvertures des arrières pour les avants, lui récupère le ballon, le distille, cherche le une-deux avec ses coéquipiers pour finir l’action par un but.
Des prestations qui n’échappent pas au sélectionneur italien Vittorio Pozzo qui le fait débuter en 1925, faisant de lui le premier international transalpin originaire du Centre-Sud. Un rapport qui va malheureusement vite se détériorer. Pour une question d’équilibre, le mythique sélectionneur préfère l’activité de Ferraris, Monti ou Andreolo, et se prive du Laziale presque trop doué pour le reste de ses coéquipiers. Bernardini est donc évincé de cette génération qui remportera deux Coupes du monde et les J.O durant les années 30. Entre-temps, il a quitté la capitale après avoir découvert qu’il était le seul joueur de son équipe à ne pas être payé dans ce contexte d’amateurisme de façade. De fait, il trahit son père, laziale invétéré, à qui il avait promis sur son lit de mort de ne jamais abandonner les Biancocelesti.
C’est l’Inter et Milan, où il poursuit ses études, puis la Roma, qui profitent de ses qualités dont il est parfaitement conscient. Cette haute estime de soi est son point fort, et son attitude un poil hautaine plaît à ses supporters, moins à Benito Mussolini. 1935, Piazza Venezia, une Lancia Astura de couleur bleue roule au pas et bloque la circulation. Énervé, Fulvio décide de la dépasser et les deux véhicules se touchent. Quelques jours plus tard, la police débarque chez lui et lui retire son permis, l’Astura transportait le Duce parti accueillir l’homme politique français Pierre Laval à la gare. Bernardini ne récupéra son document qu’au terme d’une rencontre de tennis, autre sport qu’il affectionnait, laissée gagner à son insolite adversaire.
Le journaliste, l’entraîneur et le sélectionneur
Durant le second conflit mondial, il s’adonne à sa seconde passion, le journalisme, et devient même chef de service au Corriere dello Sport. Sa carrière de technicien, elle, débute en 1949 à la Roma. Celui que l’on surnomme « Il Dottore » , pour ses nombreux diplômes, impose son credo qui est fait de joueurs de qualité et d’un projet triennal. Le temps qu’il ne trouve pas chez les Giallorossi, il va le chercher à la Fiorentina. Adepte du WM, Bernardini s’inspire de l’Inter championne de 1953 en instaurant la figure du libéro, mais à temps partiel, juste en phase défensive grâce à un ingénieux système de décalage. Au bout de sa troisième année, et grâce au talent de l’ailier brésilien Julinho et de l’oriundo Montuori, il remporte le premier Scudetto de l’histoire du club florentin.
S’ensuivent deux secondes places et une courte expérience chez « sa » Lazio où il rencontre des difficultés tout en lui offrant son premier trophée, une Coupe d’Italie en 1958. Renato Dall’Ara fait alors appel à lui afin que son club de Bologne retrouve les fastes des années 30. Là encore, la part belle est donnée au beau de jeu dans une époque pourtant conditionnée par le catenaccio. « Il n’y a qu’au paradis que l’on joue aussi bien » , déclare-t-il au soir d’une victoire 7-1 contre Modena. Là aussi, c’est au terme de la troisième année que le travail de Bernardini porte ses fruits. Lors d’un barrage historique contre l’Inter, il déjoue les plans d’Herrera en titularisant le latéral Capra au poste d’ailier afin de stopper les offensives de son vis-à-vis Mariolino Corso. Victoire 2-0 et 7e Scudetto du club rossoblù, dernier en date.
En marge depuis toujours des centres de pouvoir auxquels il n’a jamais voulu se plier, Bernardini est nommé avec surprise sélectionneur de la Nazionale en 1974. Il a alors 69 ans et a pour mission de mettre à la retraite Rivera et Mazzola et de reconstruire un noyau dur. Seul, il lance Antognoni, Graziani ou encore Gentile, puis prend sous son aile un certain Enzo Bearzot à qui il laissera les clés de la baraque en 1977, non sans avoir posé les bases de la génération championne du monde 1982. « Il Dottore » est alors diminué, et un de ses confrères lui diagnostique la sclérose latérale amyotrophique (SLA). Fidèle à son caractère, il ne baissera jamais la tête et résistera sept ans avant de s’envoler au paradis, auréolé de ses deux Scudetti, sans jamais avoir entraîné la Juve, le Milan et l’Inter. Chapeau.
Par Valentin Pauluzzi