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La folle célébration des Argentins
Entre l’arrivée des champions du monde à l’aéroport d’Ezeiza dans la nuit de mardi à mercredi et la célébration du titre dans ses rues, Buenos Aires a vécu une journée absolument démentielle. Malheureusement, la grande fête du football avait été organisée avec les pieds. Récit.
La nouvelle est tombée lundi vers 18h : demain on ne travaille pas. L’Argentine, qui détient déjà le record du monde de jours fériés, peut compter sur ses dirigeants pour offrir un peu de rab. Il faut dire qu’il s’agit de marquer le coup, et de fêter dignement les hommes qui ont offert une troisième étoile à l’Albiceleste, 36 ans après la deuxième. Et pour ça, les Argentins savent faire. Sur la plateforme FlightRadar, 28 000 personnes suivent d’ailleurs en direct la croisière du vol AR 1915, qui ramène les champions du monde de Rome à Buenos Aires. 2h20 du matin, l’avion atterrit après avoir survolé l’Obélisque. Des dizaines de milliers de personnes sont là, en pleine nuit, pour accueillir les héros. Sur le tarmac, le groupe la Mosca accueille Lionel Messi, qui sort de l’avion en premier, Coupe du monde en main. Les joueurs montent dans le bus à impériale qui les emmène au siège de l’AFA, sous l’air de Muchachos, leur hymne officieux. Sur le chemin, alors qu’une foule immense accompagne la « Scaloneta », le drame est évité de peu quand Leo Messi, Rodrigo de Paul, Ángel Di María et Nicolás Otamendi font du limbo avec un câble à haute tension qu’ils aperçoivent au dernier moment. Leandro Paredes y perd sa casquette, mais ça aurait pu être pire. Au dodo et avec la coupe pour Leo, quelques heures plus tard c’est une journée dantesque qui doit commencer.
Tour bus
Au matin du 20 décembre, une foule immense a déjà envahi l’avenue 9 de Julio, l’artère principale de la capitale argentine. Dans les heures qui suivent, les joueurs doivent y défiler. L’itinéraire est confus, mais tant pis, ils sont venus des quatre coins de la ville, de la banlieue, et même des provinces avoisinantes pour s’amasser en chantant au pied de l’Obelisco. Des cinglés pètent la porte d’entrée du monument iconique de la capitale argentine et montent au sommet, annonçant la couleur d’une journée bouillante. Le bus, lui, quitte le siège de l’AFA pour entamer sa parade. Dans tous les films, il y a un méchant. Cette fois, celui-ci a un drôle de surnom : « Dibu ».
Et l’insupportable gardien de but est partout. Sur les smartphones des copains argentins, qui dégainent sans cesse la vidéo où il réclame une minute de silence pour Kylian Mbappé, sur les panneaux publicitaires de la ville, où il croque à pleines dents le « Mega Dibu » – le burger qu’une chaîne de fast food locale lui a dédié – et surtout, sur le toit du bus, où il s’en prend une nouvelle fois au « génie français » , dont il fait sa marionnette. Lionel Messi, lui, prouve que le temps où on lui reprochait de ne pas être assez albiceleste est révolu. Il s’abreuve de Fernet Coca dans un viajero (une bouteille de plastique coupée en deux), en compagnie de son garde du corps Rodrigo de Paul. Difficile de faire plus argentin.
Marée humaine
Vers 14 heures, la parade devient complètement folle. Le bus peine à avancer au milieu de la foule immense, mais la « Scaloneta » s’amuse. Papu Gómez décide de balancer une liasse de billets, et de faire pleuvoir l’oseille sur l’autopista Richieri. L’organisation, elle, a du mal à suivre la ferveur incroyable du peuple. Elle est tout simplement débordée par le nombre de gens, et l’itinéraire prévu est sans cesse modifié. Alors que l’autobus passe sous un pont, deux têtes brûlées tentent d’aborder le véhicule en sautant dedans. Le premier y parvient, l’autre chute aussi lourdement qu’Eduardo Camavinga après l’attentat de Leandro Paredes. Conséquence, le bus ne rejoindra jamais l’Obélisque. Trop dangereux.
Le président de l’AFA, Claudio Fabián « Chiqui » Tapia, l’annonce à regret, fustigeant les responsables de la sécurité. Difficile en effet d’imaginer qu’un tel événement ait été organisé avec une improvisation digne d’un mauvais stand-up. La parade se termine dans des hélicoptères qui survolent le centre-ville, pour que les champions du monde puissent réaliser la dinguerie absolue qu’a suscitée leur exploit. Sous leurs yeux hallucinés défilent au doigt mouillé près de cinq millions de personnes, soit un habitant du grand Buenos Aires sur trois. C’est plus que lors du retour du général Perón après des années d’exil, plus que pour la mort de sa femme Eva, plus que pour fêter le retour à la démocratie en 1983, et même plus que pour l’enterrement de Diego Maradona. Plus que la mort de Dieu, le retour des champions du monde est tout simplement la plus grande manifestation de l’histoire de l’Argentine.
Par Arthur Jeanne, à Buenos Aires