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« La Floride est le pire endroit où se trouver aujourd’hui aux États-Unis »
La Major League Soccer a repris sous une forme assez inédite : un tournoi organisé à Walt Disney World Resort, à côté d’Orlando, en Floride, qui est pourtant l'un des clusters majeurs du COVID-19 aux États-Unis. C’est dans cette ville sortie de l’imaginaire Disney en 1971 que la MLS a choisi de se mettre sous cloche, comme la NBA. Un retour à la compétition parfois chaotique et peut-être sans lendemain. Découvrez la bulle de l’intérieur avec quatre Frenchys expatriés outre-Atlantique.
Le casting
Aurélien Collin, défenseur de l’Union de PhiladelphieAdrien Regattin, milieu offensif du FC CincinnatiMaxime Chanot, défenseur du New York City FCPeter Luccin, entraîneur-adjoint du FC Dallas
Les États-Unis sont depuis quelques semaines l’un des épicentres de la pandémie. Comment avez-vous traversé cette crise ?Adrien Regattin : Pendant le confinement, on avait à disposition des vélos d’appartement, c’était top pour s’entretenir. Après, la reprise a été très stricte. Pendant les deux-trois premières semaines, on avait accès au centre d’entraînement, mais on avait chacun un quart de terrain, avec interdiction de se faire des passes, puis on est repassé en séances collectives. Ici, à Orlando, on est testé tous les deux jours, on a tous des masques, il y a du gel tous les dix mètres… C’est très structuré.Aurélien Collin : La Ligue a choisi la stratégie de nous mettre dans ce complexe à Orlando, on est en quarantaine et on ne sort que pour manger et pour jouer. On est testé tous les deux jours. Aux États-Unis, je sais que le nombre de contaminations continue d’augmenter, mais comme on est manipulé de partout, on ne sait plus rien.
Peter Luccin : On a toujours suivi le protocole de la MLS. On a eu énormément de réunions pour protéger l’intégrité des joueurs et on a mis en place un suivi médical avec des tests. Dès la reprise des entraînements individuels, on a eu un ou deux cas, qui ont été directement placés en quarantaine. Comme l’ensemble des autres joueurs étaient négatifs, on a repris les entraînements collectifs, puis la décision de rejouer a été prise. C’est en arrivant à Orlando que la situation a dégénéré pour nous. Maintenant que nous sommes disqualifiés, on va reprendre les entraînements individuels, en étant encore beaucoup plus ferme sur les tests. Maxime Chanot : À New York, la situation a été catastrophique, j’ai vu la ville se vider, même si contrairement aux images qui ont été montrées, il y avait encore beaucoup de gens dehors. Mais le club a été très professionnel et nous a livré de quoi s’entraîner. En avril, entre joueurs, on a voté la reprise à Orlando, à une époque où la Floride était épargnée, mais entre-temps, elle est devenue un cluster, donc beaucoup d’équipes ont hésité. La Ligue a mis une certaine pression en disant que si on ne partait pas, il y aurait des retenues sur salaire, ce qui a poussé la plupart des joueurs à partir. Mais la Floride est quand même le pire endroit où se trouver aujourd’hui aux États-Unis, avec 15 000 nouveau cas par jour. À New York, on en avait 12 000 au pic. Et là, on parlait de rouvrir Disney au public… C’était juste hallucinant.
Le football a donc repris à Orlando et les premiers jours ont été chaotiques, puisque deux équipes, Nashville et Dallas, ont été disqualifiées en raison d’un trop grand nombre de contaminations. Comment vivez-vous la situation ?Aurélien Collin : Pour l’instant, on est 24 et on va voir comment ça évolue. Après, Nashville et Dallas, ce n’est pas la faute de la Ligue, c’est la responsabilité des États concernés, qui n’avaient pas fermé leurs portes, et les équipes sont donc arrivées avec des malades. En plus, on n’a pas les informations exactes sur le virus entre ce qu’on dit en France, aux États-Unis, ce que disent les médecins… Moi, j’ai été contaminé en mars, mais je ne sais pas si je peux retomber malade : des médecins me disent que oui, d’autres que non…Adrien Regattin : Il y a eu beaucoup de cas au sein de ces deux équipes, c’était incroyable, mais il n’y en a pas eu beaucoup dans les autres. Nous, par exemple, à Cincinnati, on a eu zéro cas depuis le départ. Notre État, l’Ohio, n’a pas été trop touché, contrairement aux États d’où viennent Dallas et Nashville. Dans l’hôtel, certains pensent être en danger, mais personnellement, je me sens en sécurité. Pour une reprise inédite, ils ont fait du mieux possible : ce n’est pas parfait, mais ils s’en sortent plutôt pas mal.
Maxime Chanot : Il y a dix jours, tout le monde était inquiet. La Ligue s’est couverte en disant que les deux équipes disqualifiées avaient été infectées chez elles et pas dans la bulle, mais le virus était là quand même. Dallas était à l’étage juste au-dessus de nous, donc on les voyait sur les balcons, à trois mètres de nous. Ils étaient tellement à bout qu’ils passaient leur temps à nourrir les canards dans la mare en contrebas et à faire des paris sur celui qui mangerait le plus. D’autres joueurs avaient des chambres avec des fenêtres qui ne s’ouvraient même pas et sont donc restés en quatorzaine enfermés. C’était l’horreur, des joueurs en étaient arrivés à un point où ils faisaient sonner l’alarme incendie pour pouvoir un peu sortir dans les couloirs. Mais on ne pouvait pas leur en vouloir, c’était interminable pour eux. Ceci étant, depuis qu’on a repris les matchs, ça s’est calmé, il n’y a plus beaucoup de cas et on est rentré dans une situation de compétition. Le fiasco a été évité de peu.
Peter Luccin : Même si on avait tout fait pour protéger les joueurs, nous avons rapidement eu plus de dix cas positifs. De l’extérieur, ça a pu paraître incroyable, mais on a été pris par surprise. Je me dis que le voyage en avion, dans lequel il n’y avait pas de renouvellement d’air, a pu être le déclencheur. Finalement, on a été disqualifiés, mais on peut comprendre cette décision, elle est plutôt logique. Aujourd’hui, tout le monde est en pleine forme et de retour à Dallas, à l’exception de quelques cas positifs qui reviendront plus tard. Pour la compétition, il va falloir faire attention à beaucoup de choses, mais la ligue est focalisée sur le tournoi et gère plutôt bien la situation.
Reprendre le football de cette manière était la bonne décision ?Aurélien Collin : C’est une question difficile. C’était ou ne pas avoir de ligue cette année, ou cette option de nous amener dans cette bulle et essayer de jouer. Le problème, c’est que pour l’instant, on ne sait pas s’il va y avoir une saison après. Mais il y a quand même une place en Ligue des champions à la clé, ce qui serait quelque chose de grand pour Philadelphie qui ne l’a jamais disputée.Adrien Regattin : Oui, sinon on aurait fait quoi ? On s’entraînerait encore ? Ça veut dire qu’on aurait eu trois, quatre mois d’entraînement ? Je préfère faire quelques sacrifices et jouer une compétition. Ce qui me fait peur, c’est ce qui va se passer après : en Europe, chacun sait quand le championnat va reprendre, mais nous on ne sait pas. Certains disent qu’on va jouer dix-huit matchs jusqu’à novembre, d’autres évoquent des mini-championnats par région. Le problème, c’est que notre saison commence en mars et se finit en octobre : si tu ne fais que ce tournoi, ça veut dire que tu ne joueras plus avant mars 2021 !
Peter Luccin : Personne n’avait la bonne solution ! Reprendre le foot, oui, car sinon, on n’aurait pas joué pendant des mois, et la MLS aurait eu beaucoup de mal à survivre. Après, sur la forme, il aurait peut-être fallu avoir plus de réunions pour définir la bonne méthode, on aurait peut-être dû prendre plus exemple sur l’Europe, mais ça, on ne le saura jamais. Il faut surtout ne pas taper sur untel ou untel ou dire que c’est la faute de la Ligue : ce n’est la faute de personne, car c’est une situation inconnue. Mais chacun doit analyser les décisions prises et apprendre de ce qu’il s’est passé. Maxime Chanot : Dans un pays fédéral comme les États-Unis, il est très dur de mettre d’accord l’ensemble des gouverneurs, donc reprendre une ligue à l’échelle du pays était impossible. La seule solution était de réunir les équipes à un seul endroit, avec un seul gouverneur qui prend la décision d’autoriser le tournoi. Honnêtement, je ne pensais pas que ça serait possible, car ça demande une logistique monstre, mais ils l’ont fait. Et même s’il y a des contraintes, même s’il faut jouer à 9 heures ou à 23 heures, malgré la chaleur et l’humidité, c’était la seule solution.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des équipes restantes a été réunie à Orlando, ainsi que les équipes NBA. Ça fait quoi de jouer au foot à Disney ? Vous avez pu croiser Mickey ou LeBron James ?Aurélien Collin : Nous sommes sur un complexe d’ESPN, où l’on vient lors de la préparation de début de saison. C’est un grand complexe avec beaucoup de terrains de très bonne qualité. Après, je ne comprends pas pourquoi le parc d’attraction a rouvert pour le public : c’est ça aussi la Floride, le gouverneur s’en fout de tout… Ceci dit, on n’a aucun contact ni avec le public, ni avec les joueurs NBA. Ça ne serait pas sérieux de se voir.Adrien Regattin : Oui c’est fou, mais c’est à huis clos et tout est très bien. Le seul problème, ce sont les horaires des matchs, à 9h30 ou 23h30. Je n’ai jamais vécu ça, même si c’est vrai que tu ne peux pas jouer ici en plein après-midi avec la chaleur et l’humidité. Après, Disneyland est très grand, on est à l’écart des attractions, du coup, on n’a même pas croisé Mickey ! (Rires.) Il ne se passe rien dans notre hôtel, mais pour les joueurs NBA, ça doit être chouette. L’autre fois, un coéquipier nous a montré tous les avantages qu’ils ont, des coiffeurs par exemple, ils ne sont pas du tout dans les mêmes conditions que nous.
Peter Luccin : Quand on a entendu que cet événement allait se tenir dans le parc d’attraction, c’est vrai qu’on n’a pas forcément trouvé ça attrayant. Quand j’en ai parlé autour de moi, des amis m’ont dit qu’on allait jouer avec Mickey et Donald, donc ça paraissait bizarre. Mais finalement, j’ai été vraiment agréablement surpris par les installations. C’était clairement le meilleur endroit pour le faire !Maxime Chanot : Tout est démesuré aux États-Unis : on est à Disney, mais le complexe est réservé aux sportifs, donc tu n’as pas le côté vacances et je n’ai encore pas vu un Mickey ou une Minnie. Je n’ai pas croisé LeBron non plus, et je ne sais même pas s’il est venu. En ce qui nous concerne, à part Vela, tout le monde est venu. J’ai vu Nani, Chicharito, tout le monde avait envie de jouer, d’autant que je ne suis pas sûr que la saison va reprendre derrière, donc c’était peut-être la dernière occasion de rejouer cette année. Du coup, ce qui est ambigu, c’est se retrouver au milieu de tous tes adversaires.
Entre les consignes de sécurité drastiques et le programme très serré, vous devez avoir pas mal de temps libre. Vous ne vous ennuyez pas trop ?Aurélien Collin : Il y a des équipes qui sont un peu plus laxistes, mais en ce qui concerne notre équipe, on respecte énormément la quarantaine. On ne sort pas de nos chambres, sauf pour manger et aller à l’entraînement. Les amis que j’ai à Orlando, je ne les vois pas, je ne vais prendre des cafés avec personne. On pourrait dire qu’on est paranoïaque, mais la situation est vraiment compliquée.
Adrien Regattin : On a un programme très strict en ce qui concerne l’accès aux salles de musculation ou aux piscines. Chaque équipe a son étage privé à l’hôtel, avec à disposition, pour ne pas s’ennuyer, une salle pour manger, une avec des jeux de société, une table de ping-pong, des jeux vidéo. Les réveils se font autour de 6h30 et on s’entraîne toute la matinée. L’après-midi, on se fait tester, puis on a du temps libre. Aujourd’hui, je vais jouer un peu avec Mathieu Deplagne à un jeu de société américain, on passe des heures dessus, c’est super fun !
Maxime Chanot : C’est très long. On n’a pas le droit de sortir du complexe, il y a des gardes autour et si tu sors, je crois que tu es mis en quatorzaine avec une amende. On a eu une sortie golf, mais sinon, on reste dans l’hôtel. On est clairement dans une bulle, tu ne vois pas ce qu’il se passe dehors. Je suis souvent sur Netflix et j’en profite aussi pour travailler sur mon ordi. C’est long, c’est chiant, mais c’est comme ça. Ça fait trois semaines qu’on est partis, ceux qui iront en finale seront restés sept semaines loin de chez eux, mais on a voté, il faut assumer notre choix et essayer de rendre ce tournoi le plus beau possible.
Propos recueillis par Guillaume Laclotre et Valentin Lutz