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La fin d’une Italie

Par Éric Maggiori
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La fin d’une Italie

Comme elle n'a pas réussi à battre la Suède, l'Italie ne disputera pas la Coupe du monde 2018. La suite finalement logique de deux Coupes du monde ratées (2010 et 2014) et surtout, la fin d'une certaine idée de l'Italie. Il va falloir se réinventer.

De notre vivant, on ne pensait jamais vivre ça. Une Coupe du monde sans l’Italie. Cela reviendrait à imaginer un restaurant sans menu, une voiture sans roue, une table sans pied. Impossible. Impensable. Inimaginable. Pourtant, la Coupe du monde 2018 en Russie se tiendra sans la deuxième nation la plus titrée de la compétition. Les Italiens ne pourront pas encourager leurs Azzurri, les Français ne pourront pas passer leurs nerfs sur leurs cousins les maccaroni, leurs « meilleurs ennemis » , et les autres ne pourront pas, au choix, se plonger dans le bleu du plus beau maillot du monde, traiter les Italiens de simulateurs et d’acteurs, s’enthousiasmer sur un système tactique parfaitement huilé ou tomber amoureux des beaux yeux de Marchisio ou de Gigi Buffon. Non, il n’y aura pas d’Italie. Parce que la Nazionale n’a pas été capable, en l’espace de 180 minutes, d’inscrire le moindre but face à la Suède. Elle a buté sur la défense suédoise comme de nombreuses nations, pendant des décennies et des décennies, ont buté sur Facchetti, Burgnich, Gentile, Cabrini, Scirea, Ferrara, Costacurta, Maldini, Nesta, Cannavaro, Bonucci et Chiellini. Prise à son propre jeu ? Peut-être. Le fait est que ce lundi 13 novembre 2017 marque la fin. La fin d’une certaine Italie.

La victoire avant tout

Cela faisait donc quatorze fois d’affilée que l’Italie se qualifiait pour la Coupe du monde. Avec un bilan somme toute honorable : quatre finales, deux gagnées (1982, 2006) et deux perdues (1970, 1994). Toutes ces Italie étaient différentes, mais elles répondaient à une même logique, à un même credo : la victoire avant tout. L’Italie n’a jamais été le pays du joga bonito ou du football total. D’ailleurs, alors que l’on se souvient d’équipes magiques comme la Hongrie 1954, le Brésil 1970 ou la Hollande 1974, on peine à se remémorer une seule équipe d’Italie iconique et brillante, qui aurait marqué une époque.

Celle des années 1930 ? Un football d’un autre temps. Celle de 1970 ? Oui, mais éclipsée par le Brésil de Pelé. Celle de 1982 ? À partir des quarts de finale, peut-être, mais n’oublions pas que ses trois premiers matchs de poule se sont soldés par des matchs nuls contre la Pologne, le Pérou et le Cameroun. Celle de 2002 ? D’aucuns disent qu’elle serait allée au bout sans l’arbitre Byron Moreno, mais avec des si… Celle de 2006 ? Peut-être la plus cohérente, finalement, alors qu’elle avait vivement été critiquée avant le début de la compétition. Pourtant, malgré cela, l’Italie a gagné. Toujours. Avec régularité. De temps à autre, elle se loupait, cela arrivait. Une élimination en quarts de finale, voire en huitièmes. Mais tous, à commencer par ses adversaires, savaient que, dès la compétition suivante, elle n’en serait que plus redoutable et candidate à la victoire finale.

De l’Inter sans Italien au fiasco de 2014

Les choses changent toutefois après 2006. Un été où l’Italie navigue entre enfer et paradis. Paradis d’avoir remporté son quatrième sacre mondial. Enfer provoqué par le scandale Calciopoli, un temblement de terre qui envoie la Juventus en D2 et fout une sacrée beigne à tout le foot italien. Un certain déclin va alors commencer. Avec la Juventusout, c’est l’Inter qui prend le pouvoir en Italie. Problème : cette Inter qui rafle tout pendant cinq ans en Italie ne fournit aucun joueur à l’équipe nationale, qui baisse alors inéluctablement en qualité. Cette Inter remporte la Ligue des champions en 2010 avec toutefois aucun joueur italien dans son onze le soir de la finale. Quelques semaines plus tard, l’Italie est éliminée au premier tour du Mondial, dans un groupe pourtant relativement faible. Première sonnette d’alarme. Mais personne ne s’en inquiète vraiment. « Cela passera, nous sommes l’Italie, nous reviendrons. »

Et comme souvent avec l’Italie, les périodes troubles sont masquées par les génies. Celui de 2012 se nomme Andrea Pirlo, son niveau stratosphérique offre à la Nazionale une illusoire finale d’Euro. Mais les maux demeurent les mêmes : le manque de nouveaux talents, de renouvellement, de nouveau souffle, à une époque où l’Espagne et l’Allemagne font de la formation leur cheval de bataille. Stratégie payante : les premiers remportent l’Euro 2008, le Mondial 2010 et l’Euro 2012, quand les seconds soulèvent la Coupe du monde en 2014 au Brésil. Un Brésil que les Italiens quittent après huit jours de compétition. Élimination au premier tour, la deuxième de suite. Cela n’était plus arrivé depuis les deux fiascos de 1962 et 1966. Deuxième sonnette d’alarme, mais encore une fois, l’Italie se met des œillères et avance.

Une équipe normale

Au fur et à mesure que les derniers génies italiens disparaissent, les Italiens se découvrent un nouveau fuoriclasse qui va faire illusion. Il s’appelle Antonio Conte, et réussit à emmener une équipe franchement limitée en quarts de finale de l’Euro 2016, non sans avoir fessé au passage la Belgique et l’Espagne. Mais le départ de Conte pour Chelsea ramène les Italiens à leur réalité. À savoir une équipe désormais peu cohérente, sans fonds de jeu, avec des anciens qui n’ont pas réussi à passer le flambeau, des jeunes qui n’ont pas su prendre le pouvoir, et le reste coincé entre ces deux générations, le cul entre deux chaises. Incapable de saisir le problème à bras-le-corps, Giampiero Ventura va agir de la pire des façons : en ne faisant rien. Une apathie qui connaît son point culminant le jour de la défaite 3-0 en Espagne, un an seulement après la victoire face à ces mêmes Espagnols à l’Euro. Mais le barrage ne faisait pas peur aux Italiens, parce que « l’Italie n’a pas manqué une Coupe du monde depuis 1958, et que c’est dans son ADN » .

Oui, mais voilà, le barrage contre la Suède a finalement levé le voile sur une vérité que personne n’avait voulu voir ni entendre auparavant : l’Italie n’est plus cette Italie-là. Elle n’est plus celle qui se qualifie en faisant 0-0 après avoir gagné 1-0. Elle n’est plus celle qui est sauvé par un éclair de Baggio, un coup de casque de Vieri, un penalty de Totti ou une magie de Pirlo. Elle n’est plus celle qui provoque la peur chez l’adversaire avant même le début du match. Elle est devenue une équipe normale, avec un grand gardien, quelques bons joueurs et d’autres qui ne sont même pas titulaires en club. Chiffre symptomatique de ces maux : sur les onze joueurs qui ont débuté le barrage retour face à la Suède, six ont disputé moins de dix matchs de Ligue des champions dans leur carrière, Buffon et Chiellini étant les seuls à compter plus de 50 apparitions en C1.

Un point de bascule

Il va donc falloir écrire une nouvelle histoire. Elle commence demain, avec un nouveau sélectionneur. Des nouveaux joueurs. Des nouvelles idées. De nouveaux projets. Des réformes. Des nouvelles têtes aux postes importants. La France est passée par là après les échecs de 1990 et 1994, l’Espagne aussi après avoir manqué l’Euro 1992, et même l’Allemagne, dans une moindre mesure, s’est remise en question après son catastrophique Euro 2004. Des grandes défaites naissent les victoires futures. 2017 n’est pas un point de non-retour pour l’Italie, c’est un point de bascule. Elle y a vécu la retraite de Francesco Totti et d’Andrea Pirlo, ses deux derniers diamants d’une génération sublime. Elle y vit ce lundi 13 novembre les adieux azzurri de Buffon, De Rossi et Barzagli, les derniers champions du monde 2006. La dernière page d’un sacré bouquin. On referme le livre avec une boule dans la gorge. Un nouveau tome nous attend. C’est l’inconnu. Ça fait peur putain, mais il va bien falloir s’y confronter. Affronter la page blanche, pour qu’un jour elle redevienne bleue.

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