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- Coupes du monde 2018 et 2022
La FIFA au rapport
Lundi, le quotidien allemand Bild a commencé à dévoiler le rapport Garcia sur les attributions de la Coupe du monde à la Russie et au Qatar. Dans l'urgence, la FIFA a décidé de publier l'intégralité du rapport dès mardi. Pourquoi cette accélération du calendrier et surtout, quelles conséquences sont à prévoir ?
Cette fois, Reality Winner n’y est pour rien. D’ailleurs, Donald Trump n’a probablement pas grand-chose à faire de la dernière fuite touchant le soccer. Entre deux Football Leaks, c’est le journal allemand Bild qui est venu secouer l’instance patronne du football mondial lundi, en lançant la publication, étalée sur plusieurs jours, du rapport Garcia sur l’attribution des coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar. Bousculée, la FIFA a répondu vingt-quatre heures plus tard en publiant le rapport, près de trois ans après sa finalisation. Dans le but de se défausser sur d’anciens dirigeants récemment partis, mais surtout d’allumer les contre-feux. Car en fait, il n’y aurait aucune preuve d’actes illégaux dans les 430 pages du document longtemps gardé secret. Vraiment ? Mais alors, pourquoi avoir tant tardé à tout balancer si tout le monde est clean ?
Enquête indépendante vs culture d’organisation
Pour bien saisir en quoi la révélation du rapport Garcia constitue un événement, il faut d’abord rembobiner le film. 5 septembre 2014 : Michael J. Garcia, ancien procureur américain spécialisé dans la lutte contre le terrorisme international, remet à la FIFA son rapport d’enquête sur les conditions d’attribution des Mondiaux à la Russie et au Qatar. Plus de 400 pages potentiellement explosives que Hans-Joachim Eckert, alors président de la chambre de jugement du comité d’éthique de la FIFA, décide rapidement de ne pas rendre publiques. Invoquant les actions en cours contre divers membres de l’institution, il se contente d’une synthèse de 42 pages, publiée le 13 novembre, dans laquelle il évoque des « conduites douteuses » , mais « de portée très limitée » ne pouvant être qualifiées de « corruption » . Garcia riposte, dénonce « une présentation erronée et incomplète de son travail » et fait appel de la décision. Las, le 16 décembre 2014, son appel est rejeté. L’Américain rend son tablier dès le lendemain, estimant dans sa lettre de démission qu’ « aucun comité de gouvernance indépendant ou d’arbitrage ne peut changer la culture de cette organisation » . Rideau sur l’aventure footballistique de Michael J. Garcia, depuis devenu juge associé de la Cour d’appel de New York.
Pourtant, deux jours plus tard et à l’unanimité des voix, la FIFA annonce que le rapport sera rendu public… « sous une forme appropriée » et surtout « une fois que les procédures en cours concernant plusieurs individus [seraient] terminées » . Puis, pendant plus d’un an, le secret le plus convoité du football mondial dort dans le coffre de Marco Villiger, directeur juridique et secrétaire adjoint de la FIFA. Et si, à l’occasion des élections début 2016, plusieurs candidats annoncent vouloir dévoiler le document dès leur accession au trône, Gianni Infantino se montre lui plus réservé pendant sa campagne, renvoyant au comité d’éthique, seul habilité à allumer la lumière sur le Report on the inquiry into the 2018/2022 FIFA World Cup™ bidding process.
Or, c’est précisément de ce côté-là que sont intervenus plusieurs changements majeurs, début mai. Le Suisse Cornel Borbély, successeur de Michael J. Garcia, a été remplacé par l’avocate colombienne Maria Claudia Rojas à la tête de la chambre d’instruction, tandis qu’Eckert a laissé sa place de président de la chambre de jugement au juge grec Vassilios Skouris. Alors, mardi, la FIFA s’est empressée de renvoyer la responsabilité de la non-publication sur les épaules des ex : « La publication dudit rapport avait été demandée à plusieurs reprises par le président de la FIFA, Gianni Infantino.(…)Malgré ces demandes récurrentes,(…)MM. Borbély et Eckert ont toujours refusé de le publier. » C’est bien connu, les absents ont toujours tort.
Des coulisses aux projecteurs
Dans son communiqué, la FIFA précise également vouloir publier le rapport « afin d’éviter la circulation de toute information mensongère » . Puis conclut, sereine, qu’ « à des fins de transparence, [elle] se réjouit de voir ce rapport être enfin publié » . À en croire la FIFA, le rapport Garcia ne serait en fait qu’un pétard mouillé. Les mots de Peter Rossberg, journaliste de Bild, en préambule de la publication lundi, donne une explication de la tranquillité affichée par la Fédération internationale de Football Association : « Le rapport ne fournit pas la preuve définitive que les Coupes du monde 2018 ou 2022 ont été achetées. » Et s’il ajoute que « le rapport Garcia fait sens sur un autre plan. C’est comme un puzzle qui n’a de sens que lorsque toutes les pièces sont réunies » , il reste que le point crucial – des preuves solides permettant une contestation judiciaire des processus d’attribution – ne semble pas atteint. Même si, selon Rossberg, « l’accumulation d’anomalies ne peut toutefois que conduire à la conclusion que cette Coupe du monde a été achetée(…)vraisemblablement comme d’autres avant elle » . Ce qu’on appelle un secret de polichinelle.
Pratiques amorales, mais pas illégales
Le fait, écrit Bild, « qu’un ancien membre exécutif a félicité des membres de la Fédération qatarie et les a remerciés par mail pour un virement de plusieurs centaines de milliers d’euros » juste après l’attribution de la compétition au Qatar, le 2 décembre 2010, ou que « deux millions de dollars (virés par Sandro Rosell, alors consultant pour le comité de candidature qatari et aujourd’hui en prison, ndlr) ont en outre atterri sur le livret d’épargne de la fille de 10 ans d’un membre de la FIFA (Ricardo Teixeira, ndlr) » serait donc insuffisant pour invalider les attributions litigieuses. Ou encore que des dirigeants possédant le droit de vote soient invités en jet privé par la Fédération qatarie à faire la fête à Rio : pratiques amorales, mais pas illégales.
Finalement, si la publication du rapport ne risque pas de faire bouger les lignes déjà dessinées à grand renfort de valises, elle lève aussi un voile opaque sur les détails du fonctionnement de la FIFA. Un rapport qui, directement ou indirectement, a conduit à ce que treize des vingt-deux membres du comité exécutif ayant participé au scrutin du 2 décembre 2010 soient touchés, parfois coulés, par les enquêtes. Si énormément reste à faire, la compréhension des mécanismes à l’œuvre du côté de Zurich constitue quoi qu’il arrive un pas indispensable vers une réforme en profondeur. Pendant ce temps, à New York, le juge Garcia peut être satisfait : plus sûrement que le crime, son travail va finir payer.
Par Eric Carpentier