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La fête des travailleurs, selon Infantino et le Qatar
À quel moment Gianni Infantino se prendra-t-il enfin le mur de la honte en pleine figure ? Le président de la FIFA, pourtant empêtré dans quelques affaires judiciaires, n’en finit plus de pérorer et de donner des leçons de morale, alors que l’air se charge de relents pestilentiels autour de son trône. Dernier exploit, et non des moindres, parvenir à exploser les compteurs de la tartufferie en se posant en bienfaiteur de travailleurs immigrés au Qatar qui se montreraient bien ingrats... Ah.
À l’occasion d’une conférence ce lundi au Milken Institute à Los Angeles, Gianni Infantino a décidé de ne plus s’embarrasser de pudibonderie ni de demi-mesure diplomatique. Désormais résidant au Qatar, le président de la FIFA en est devenu l’ambassadeur de luxe, avec autant d’esprit critique qu’un correspondant de L’Humanité en URSS. Le Valaisan a naturellement ressorti la ligne de défense traditionnelle de la FIFA concernant le lourd dossier des ouvriers morts sur les chantiers, sans compter les conditions de travail de la grande majorité d’entre eux. Grâce à la FIFA et à son Mondial (et bien sûr, certainement pas sous la pression des ONG, syndicats et vilains journalistes), les salariés immigrés ont vu leur situation s’améliorer. Un exemple ? Un salaire minimum, tiens. Certes, tout cela survient un peu sur la fin du chantier, une fois les dernières pierres posées et les corps enterrés, mais tout de même… Merci qui ?
Le petit père des pauvres
Lorsqu’on ose demander si les monstrueux profits de la multinationale du foot ne pourraient être utilisés en guise de compensation pour les familles endeuillées pour la gloire du ballon rond, il préfère insister sur « la dignité et la fierté » qu’ils ou elles peuvent ressentir d’avoir permis la tenue d’une Coupe du monde dans un si petit pays. Ils auraient presque pu venir s’y atteler bénévolement, un peu comme les pensionnaires du Goulag creusèrent avec leurs mains et leurs dents le canal de la mer Blanche. Gianni Infantino se trouve presque à deux doigts d’exiger des excuses et des dédommagements pour préjudice moral auprès d’Amnesty International ou de l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB).
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Derrière le dirigeant se cachent un homme et une histoire : « N’oublions pas une chose, quand nous parlons de ce sujet, qui est le labeur, le dur labeur même. Mes parents ont immigré de l’Italie vers la Suisse. Ce n’est pas si loin, mais quand même.[…]Quand vous donnez un travail à quelqu’un, même dans des conditions difficiles, vous lui donnez de la dignité et de la fierté. Ce n’est pas de la charité. Vous ne faites pas de la charité. Vous ne donnez pas quelque chose à quelqu’un et lui dites :« Reste là où tu es. Je te donne quelque chose et je me sens bien. » » En matière de paternalisme et de néocolonialisme, il n’avait pas été aussi inspiré depuis son envolée lyrique face au Conseil de l’Europe pour vendre sa Coupe du monde tous les deux ans, unique espoir – selon lui, hein – que la jeunesse africaine cesse de venir mourir sur les rivages du Vieux Continent.
Les chiffres de la police et ceux des organisateurs seraient cette fois les mêmes
On se souvient que lors du Congrès de Doha, après avoir subi l’affront des quelques vérités balancées par la très digne présidente de la fédération norvégienne, Gianni Infantino avait réduit le nombre de décès à tout au plus quelques dizaine d’accidents regrettables. Il semble avoir renoncé aux mathématiques euclidiennes et ne s’embarrasse guère davantage des statistiques. D’un revers de la main rhétorique, il porte l’estocade aux mauvais esprits (critiques). « Six mille personnes sont mortes sur d’autres chantiers aussi, a poursuivi le Suisse. Et bien sûr, la FIFA n’est pas là pour être la police du monde ou n’est pas responsable de tout ce qu’il se passe dans le monde. Mais grâce à la FIFA, grâce au football, nous avons pu aborder le statut de ces 1,5 million d’ouvriers travaillant au Qatar. » Et ces derniers ne viennent même pas lui baiser la main pour sa générosité…
Par Nicolas Kssis-Martov