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La famille Pinault à Hollywood : quel impact sur le Stade rennais ?
Si le SRFC va essayer de briller en Europe dès ce jeudi soir avec la réception du Maccabi Haïfa, la famille Pinault a frappé un grand coup au début du mois en annonçant la prise de contrôle de CAA, une des plus grosses agences de stars d'Hollywood, où l'on retrouve aussi des footballeurs. Mais quel peut être l'impact sur le Stade rennais ?
La nouvelle est tombée une semaine après la fermeture de l’interminable mercato estival, et si elle n’a pas fait la une des gazettes sportives, elle a fait causer dans le monde des affaires. Le 7 septembre, Artémis, la holding de la famille Pinault, a annoncé un accord pour prendre le contrôle de Creative Artists Agency (CAA), célèbre agence de talents américaine basée à Hollywood, après plusieurs mois de négociations exclusives. Comme cela peut parfois être le cas avec les transferts dans le milieu du foot, le montant de la transaction signée avec le fonds d’investissement TPG est resté plus ou moins secret. Durant l’été, l’agence d’informations financières Bloomberg écrivait que l’opération devrait valoriser CAA à environ 7 milliards de dollars, dettes comprises. Il s’agit en tout cas de la plus grosse acquisition de l’histoire d’Artémis, principal actionnaire du géant du luxe Kering (Balenciaga, Yves Saint-Laurent, Gucci, etc.) et qui possède aussi, entre autres, l’hebdomadaire Le Point, plusieurs domaines viticoles (dont le premier grand cru classé Château Latour), la maison de vente aux enchères Christie’s et bien sûr… le Stade rennais.
Un risque de conflits d’intérêts ?
Oui, mais quel rapport avec le club breton et le ballon rond peut bien avoir le rachat d’une agence hollywoodienne ? Fondée en 1975, CAA est surtout connue pour gérer les carrières des plus grandes stars de musique ou de cinéma. Parmi elles figurent par exemple Salma Hayek, l’épouse de François-Henri Pinault, mais également Britney Spears, Beyonce, Tom Hanks, Brad Pitt, George Clooney, Kate Winslet, Leonardo DiCaprio, Natalie Portman, Justin Bieber, Zendaya, Bob Dylan… La liste est interminable. Mais CAA représente aussi des athlètes, notamment des footballeurs via les agences CAA Base et CAA Stellar (plus de 1300 joueurs selon Transfermarkt). On y trouve par exemple Richarlison, Kingsley Coman, Heung-min Son, Raphaël Varane ou Eduardo Camavinga, pour ne citer que les têtes d’affiche. « Cela pourrait être susceptible de créer des conflits d’intérêts, c’est la première chose qui peut venir à l’esprit, confirme Thibault Dupont-Nougein, avocat spécialisé dans les fonds d’investissement. En tant que fonds d’investissement, ils ont une obligation d’identifier les conflits d’intérêts potentiels et sont obligés de mettre les garde-fous nécessaires pour faire en sorte qu’ils ne se matérialisent pas. »
Concrètement, le fait que la famille Pinault soit propriétaire d’un club de foot et d’une agence de joueurs pourrait avoir un impact sur le recrutement ou sur certains joueurs. Thibault Dupont-Nougein propose une comparaison : « C’est comme si demain ils achetaient une société de cinéma, il pourrait y avoir des conflits d’intérêts avec CAA dont ils viennent de prendre le contrôle vu le portefeuille important de stars de cinéma. » Un cas précis peut soulever des interrogations, celui d’Adrien Truffert, sous contrat avec le SRFC et représenté par CAA Stellar. « Sur l’aspect du droit des affaires pur, ce n’est pas illégal, précise Me Dupont-Nougein. Mais il y aura un volet intéressant à suivre, c’est celui de la réglementation de la LFP, qui pourrait très bien se saisir du sujet si nécessaire, avec des éventuelles commissions qui pourraient enquêter sur le fonctionnement d’un club. La Ligue pourrait vouloir vérifier que l’investissement de la famille Pinault dans cette société n’ait pas un impact sur la situation d’un joueur ou d’un groupe de joueurs. » Du côté du Stade rennais, où les dirigeants avaient été informés par les actionnaires de cette acquisition, on assure une volonté d’appliquer les règles déontologiques et de rester dans le cadre légal, en rappelant qu’un joueur a toujours son mot à dire pour rejoindre ou quitter un club. Comprendre : le SRFC ne devrait pas pouvoir plus facilement attirer Coman, Varane ou Richarlison, notamment pour des raisons financières, seulement parce que la famille Pinault possède CAA.
Le Stade rennais, une toute petite partie de l’empire Pinault
Il existe un précédent dans le football français, mais celui-ci est encore différent. En 1997, le Racing Club de Strasbourg avait carrément été racheté par l’agence IMG, détenue par l’Américain Mark McCormack. À cette époque, Olivier Cloarec, actuel président exécutif du Stade rennais, travaillait d’ailleurs pour le club alsacien, qui garde un très mauvais souvenir de la présidence de McCormack (plusieurs transferts avaient été jugés frauduleux). « La société qui va directement racheter le club, cela ne se fait plus vraiment, on ne verra plus trop ce schéma aujourd’hui, explique Me Dupont-Nougein, qui précise qu’un groupe comme Artémis est armé pour tout étudier. Ils ont une équipe de juristes et de professionnels pour triple-vérifier que cette acquisition ne va pas créer des conflits d’intérêts. » En outre, il y a peu de chances que le SRFC se soit trouvé au centre des préoccupations des actionnaires bretons au cours de leur décision de s’implanter à Hollywood, sachant que le football représente moins de 5% du chiffre d’affaires de CAA (estimé à 1,7 milliard de dollars).
Les grands enjeux de cette acquisition record sont ailleurs, loin de la Piverdière et du Roazhon Park, alors qu’Hollywood est marqué par une grève majeure depuis plusieurs mois et que les industries de la mode et du cinéma connaissent un rapprochement ces derniers temps. « Leader incontesté dans son secteur et fort d’une équipe dirigeante d’exception, CAA apporte un service mondialement reconnu à des clients de notoriété internationale, posait François-Henri Pinault dans un communiqué daté de septembre relayé par Le Monde. CAA remplit toutes les caractéristiques pour faire partie de la famille Artémis, apportant à nos autres actifs une diversité accrue en matière de présence géographique et d’activités. » Le Stade rennais ne pèse pas grand-chose à côté de toutes ces considérations. « Même si le club représente un petit caillou dans l’énorme cour des sociétés appartenant à la famille Pinault, ils ont une obligation fiduciaire de la part de leurs investisseurs, prévient encore Me Thibault Dupont-Nougein. Cet investissement ne doit pas avoir d’impact direct sur la gestion du Stade rennais. » Après la multipropriété au niveau des clubs, devenue courante dans le foot européen, celle comprenant des clubs et des agences pourrait devenir une nouvelle mode. Il faudra surveiller les prochains mercatos du SRFC de près, mais il devrait y avoir autant de chances de voir Kingsley Coman débarquer à Rennes que d’apercevoir Brad Pitt en train de déguster une galette-saucisse dans la petite corbeille du Roazhon Park.
Par Clément Gavard
Propos recueillis par CG, sauf mentions