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La Duchère en National, Lyon en veut-elle vraiment ?
Promue sportivement en National en cette fin de saison, l'AS Lyon-Duchère se prépare déjà à l'avenir sans connaître le montant exact de son futur budget. La majorité PS de la municipalité ne peut pour le moment alourdir le chèque de subvention, l'opposition et les dirigeants du club dénonçant ces incohérences politiques à leurs yeux. Et le quartier n'a pas oublié la montée refusée en D2 pour d'obscures raisons en 1993.
Si la hype du printemps dans le foot amateur, Marseille-Consolat, lancé dans sa quête de L2 malgré ses moyens dérisoires, a finalement échoué dans son entreprise, une autre histoire singulière s’est écrite à l’étage en dessous cette saison. Dans le groupe B de CFA, celui-là même qui a vu le GF38 de Nassim Akrour, avec un semi-professionnalisme et des moyens conséquents, échouer une quatrième saison d’affilée à retrouver le National. Après Strasbourg, Consolat et Béziers, c’est l’AS Lyon-Duchère qui est devenue la bête noire des Isérois. Planté comme les Minguettes sur son plateau, au nord de Lyon, le club fondé en 1964 par des Pieds-Noirs, ceux-là même revenus par milliers d’Algérie lors de la construction des barres, peut de nouveau bomber le torse. Sur la troisième colline la plus haute entourant la capitale des Gaules, on se sent au plus haut sportivement.
La fierté est retrouvée au stade Balmont : le vrai patron du foot dans le Rhône derrière l’OL, c’est La Duch’, une des 80 aires urbaines de France que le ministère de l’Intérieur classe en « Zone de sécurité prioritaire » . Une ZSP réputée aux yeux des Lyonnais comme une terre de logements sociaux (60%), de chômage (plus de 20%), d’émeutes (en 1997 après la mort de Fabrice Fernandez, 24 ans, plombé à bout portant dans un commissariat), et ses deals de shit et de GAV. Le plan de rénovation urbaine a changé quelque peu cette fresque sociale pas encore poussiéreuse, les dominos de gravats ayant laissé place à des immeubles décents pour les habitants. Les bookmakers immobiliers promettent même un avenir de Croix-Rousse à ce grand ensemble. Dans cette éclaircie toute contemporaine et à confirmer, l’ASLD tient aussi sa part de responsabilités, comme d’autres cités d’Europe se sont élevées cette saison derrière des guerriers en short. « On est un peu le Leicester de CFA, on est tellement miraculé… » , sourit le président du club, Mohamed Tria, enfant du quartier devenu un homme d’affaires à la réussite personnelle et professionnelle estimée.
Impératif sportif vs impératif économique
Toute proportion gardée, comme les Foxes, La Duchère a gagné son titre en CFA un an après avoir obtenu son maintien au tout dernier moment. « Ce qui s’est produit cette année est issu de la dynamique enclenchée à partir de ce moment-là. On n’avait pas forcément ambitionné de monter cette année, ni trop modifié l’effectif, toujours sous la conduite de Karim Mokeddem et finalement, ce sont les belles valeurs du sport qui ont produit ce résultat » , poursuit Mohamed Tria, pour qui le tournant de la saison reste ce 6 mars au Stade des Alpes : « On était à trois points derrière eux, et c’était une sorte de défi : soit on finissait en roue libre, soit on se donnait le droit d’aller encore plus loin dans cette aventure. Et comme souvent cette année, les gars ont assuré… » Dans le sillage de leurs leaders techniques Talhaoui, Ezikian et surtout Bouderbal, auteur d’un but après une course depuis son camp, les Duchèrois plantent deux fois les Grenoblois, inefficaces malgré une pluie d’occases, et prennent dans la foulée, deux journées plus tard à Sochaux, à la 94e minute, l’avantage final. Meilleure défense, seconde attaque et prix de la régularité, les Sang et Or de la Duch’ sont allés chercher leur sacre avec les dents.
Mais à peine la saison digérée après une dernière claque à la classe biberon de l’OL (4-1) samedi, que les cris du vestiaire lyonnais ont laissé place à des sourcils froncés. La raison du problème ? Comme entendu dans la presse depuis la fin du mois de mai, le club veut faire passer son budget d’1 à 1,5 million d’euros pour rivaliser avec Sedan ou Dunkerque, mais bute sur un poli refus municipal quant à une rallonge de 100 000 euros de la subvention, estimée à 200 000 euros – part exceptionnelle comprise – depuis plusieurs années. C’est trop dans un contexte de réduction de la dotation globale de fonctionnement de l’État aux collectivités, facturée « 45 millions d’euros de moins pour la ville » selon Yann Cucherat, gymnaste d’élite devenu adjoint aux sports entre Saône et Rhône : « Notre position n’est pas encore arrêtée et on discute toujours avec les dirigeants pour trouver un accord. Au début, on nous demandait 400 000 euros supplémentaires… Mais le contexte économique actuel ne nous permet pas de répondre du tac au tac à toutes les demandes. »
Job dating et actions sociales à l’ASLD
D’autant que l’impact pour la ville, déjà richement dotée de l’OL, de l’ASVEL en basket ou du LOU bientôt de nouveau en top 14, d’une arrivée en National de La Duchère est limité selon lui. Surtout au vu des faibles affluences de 200 ou 300 âmes enregistrées à Balmont : « Il n’y aura pas plus de visibilité, de recettes, de contreparties parce que c’est le National. Il n’y a pas de différence notable avec le CFA quand l’OL est juste à côté malheureusement… » Des arguments que l’élu d’opposition et ancien député de la circonscription de la Duchère, Emmanuel Hamelin (Les Républicains), saisi de l’affaire, rejette : « Il semble légitime qu’un club qui soit vertueux dans son fonctionnement sportif et de par les actions sociales qu’il mène puisse être accompagné. Ces actions, je les vois sur le terrain. Vendredi dernier, je suis allé voir unjob datingorganisé sur le terrain, l’opération « Ton métier, c’est ton but », avec des partenaires et 300 offres d’emploi proposées. C’est un quartier où il y a des problèmes sociaux et qui a besoin de positif pour avancer. Et je pense qu’on pourrait hiérarchiser autrement les priorités municipales. Est-ce qu’une loge au Parc OL pour la ville ou la métropole à 200 000 euros annuels est plus importante que ce qui est mené là-bas, franchement ? »
Au club, Mohamed Tria emploie les mêmes éléments de langage. Parce qu’il tient à l’œuvre actuellement menée et craint de se sentir délaissé dans l’effort à supporter. « On a 619 licenciés aujourd’hui, contre 80 en 2008. Les quelques jeunes étaient presque tous en excellence, et aujourd’hui, nos U19 sont par exemple champions d’honneur Rhône-Alpes, nos seniors en ligue et notre équipe fanion peut-être en National. Avant, La Duch’, c’était une équipe sans arrière-boutique, avec juste une vitrine senior, alors qu’à présent, c’est plus qu’un club » , souligne-t-il en référence aux actions menées par les éducateurs et bénévoles pour le soutien scolaire des gosses, la passerelle avec la classe-foot du collège tout proche ou encore les diverses opérations regroupées sous les axes « santé » et « citoyenneté européenne » pour redonner un peu de sens et d’allant à tout le quartier et sa relève. Surprise, La Duch’ est même devenue un habitué des prix du fair-play. Alors forcément, il ne comprend pas que Gérard Collomb lui dise non : « Cette décision, selon moi, c’est politique. Il faut arrêter de se cacher derrière des prétextes et de me dire qu’on ne peut pas trouver 100 000 euros dans une ville comme Lyon… On trouve bien des enveloppes pour des associations comme le musée du tissu ou je ne sais quoi d’autre. »
1993, un Lyonnais de trop dans le monde pro ?
On l’a d’autant plus mauvaise du côté de l’ancien cocon d’Éric Abidal que la dernière fois qu’on a dit non à un président de l’ASLD qui venait d’accrocher la montée, l’histoire a mal tourné. En 1993, La Duchère avait acquis le droit de rêver en grimpant jusqu’en D2 sous la coupe de son business angel passé tout jeune sous les tuniques du club, Jean Rouch. Avant de déchanter devant le peu d’entrain des instances du foot français selon l’intéressé et de se voir refuser la montée : « On a été convoqué à la FFF, puis par les diverses instances du foot, et on sentait qu’on refusait sans l’avouer à un club de quartier ou dans l’ombre d’un club comme l’OL, malgré le gain sportif, d’accéder à ce niveau. On nous a d’abord parlé de problèmes d’infrastructures, soldés en quelques jours par la pose de grillages, puis on nous a trouvé des pseudo-problèmes extrasportifs malgré toutes les garanties bancaires apportées. On a même été squatter avec les joueurs au siège de la Fédération, mais rien n’a bougé. »
Un semblable au cas Luzenac en somme, que Jean Rouch – à qui Jean-Michel Aulas aurait proposé un deal à 2 milliards de francs pour s’asseoir comme président de son club au début des années 1990 – peine toujours à expliquer 23 ans après : « Pour moi, et je peux le comprendre, ce n’était pas commercialement et sportivement intéressant pour les instances d’avoir un second club à Lyon dans le monde pro. Mieux vaut Gueugnon (ndlr repêché cette année-là) par exemple, ça draine un autre bassin de population, une autre émulation, une meilleure couverture géographique. C’est du business en quelque sorte. Quelle rôle de la ville dans tout ça après, je n’en sais rien… »
Le stade Balmont homologué, la DNCG OK
Car la théorie voudrait que Jean-Michel Aulas, alors aux prémices de son grand projet lyonnais, ait joué de ses relations – dont Gérard Collomb, fidèle de sa tribune présidentielle, alors maire du 9e arrondissement – pour bloquer un possible concurrent, à une époque où les Gones, dans le dur, étaient proches de retomber au purgatoire. « Dans une ville comme Montpellier, sans concurrence comme dans le cas de La Paillade à la naissance du club de M. Nicollin, on aurait pu être la référence professionnelle sur le bassin. Mais avec le poids historique de l’Olympique lyonnais, juste à côté… D’où ma persistance à penser que c’étaient plus les instances du foot français qui ne nous voulaient pas » , tempère Jean Rouch, qui lâchera le club quelque temps après, lui-même poussé vers la liquidation judiciaire et le retour en DH en 1996. Un tel scénario est-il encore imaginable aujourd’hui ? Au vu du mastodonte que représente désormais l’OL, empire de centaines de millions d’euros pour qui une subvention de 200 000 euros passerait pour un pourboire, aucune des parties n’est tenté d’y croire. D’ailleurs, Jean-Michel Aulas semble plus préoccupé par l’arrivée de GL Events et du LOU au stade Gerland que par ce dossier.
« Franchement, quelle concurrence il peut y avoir entre nous et l’OL ? En 1993, c’était peut-être vrai, mais aujourd’hui, ce club pèse 200 millions de budget. D’ailleurs, ses dirigeants sont plutôt contents qu’on monte. Ils ont sans doute plus d’intérêts à nous prêter des jeunes joueurs ou des pros fraichement signés pour les faire grandir, tout près de leur centre de formation d’origine, où ils peuvent continuer à évoluer dans un cadre qu’ils connaissent, plutôt qu’à les envoyer à l’autre bout de la France » , soutient Mohamed Tria, pour qui la question de ne pas voir le National ne se pose même pas : le vieux stade Balmont et sa tribune faisant face à des gradins décrépis est homologué, le budget validé par la DNCG. Mais lui voit plus loin. Pour que l’élan traversant actuellement le plateau se transforme en réelle marche en avant : « Avec la rénovation urbaine à La Duchère, le club peut être un vecteur pour fédérer et faire vivre ce quartier. Mais pour le moment, ça n’a pas tout changé de reconstruire des immeubles ici. »
Par Arnaud Clément et Gabriel Cnudde
Tous propos recueillis par AC et GC