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La dernière quête d’Adebayor
Sans club depuis son départ de Crystal Palace en mai dernier, Sheyi Emmanuel Adebayor sera pourtant à Oyem lundi, en fin d’après-midi, où le Togo lancera sa CAN face à la Côte d’Ivoire, tenante du titre. Entre évidence et dernière danse d’un monument d’1m91.
Le visage n’a pas changé, le sourire non plus. L’homme porte un large bonnet, placé au-dessus d’un second, et laisse apparaître d’épaisses tresses. Derrière lui, la foule écoute le symbole. C’est le mois de novembre, quelque part à Lomé. Depuis qu’il a quitté Crystal Palace en sortant du couloir menant à la scène de Wembley le 21 mai dernier, où il disputait une finale de FA Cup face à Manchester United, personne n’a vu Emmanuel Adebayor sur un terrain de foot digne de ce nom. Emmanuel est redevenu Sheyi, chez lui. Face caméra, il parle de « la prière de tous les Togolais » et de sa volonté d’être heureux. Mieux, il balance être « très heureux » . Pourquoi prient-ils alors ? Pour que « Sheyi retrouve un club » , tout simplement. Oui, Adebayor est comme ça. Quand il parle de lui, c’est à la troisième personne ou sous les initiales SEA. Et quand on parle de lui ? C’est pour le défendre face au traitement qui lui est réservé ou pour balayer son nom sans sentiment comme Loulou Nicollin a pu le faire en affirmant n’avoir « rien à cirer » d’un joueur qui balance son mètre quatre-vingt-dix en Europe depuis plus de quinze ans. La vie de l’idole nationale est donc désormais celle-ci : des journées à Lomé entre les écoles de foot et les amis, quelques parties avec les jeunes, mais surtout une préparation physique personnelle pour être en forme, au cas où. Au Togo, Adebayor est le repère, le grand frère, mais aussi celui qui cristallise les passions. En Europe, il est progressivement devenu un homme rongé par sa réputation. Fausse ? Certainement, par certains côtés. Reste que depuis six mois, le guide des Éperviers n’a plus de contrat. Et pourtant, le voilà prêt à disputer la dernière CAN de sa carrière avec son pays, onze ans après sa première en Égypte. Le tout à une heure où les références de sa génération ont plutôt la tête ailleurs.
La dimension et le solitaire
Les mots, d’abord. Ceux de Claude Le Roy, sélectionneur du Togo depuis avril dernier. Si Adebayor est présent au Gabon et s’apprête à porter un groupe peu expérimenté qui visera au mieux un statut d’équipe surprise – quatre ans après son record dans la compétition avec un quart de finale perdu contre le Burkina Faso (0-1, a.p.) en Afrique du Sud -, c’est avant tout grâce au sorcier qui a avoué « ne pas pouvoir se priver d’un joueur de cette dimension » . Cette fois encore et peut-être plus que jamais, Sheyi sera là pour encadrer, tout en espérant laisser la trace qu’il espère dans l’histoire du football africain en matière de palmarès. À plusieurs reprises, Adebayor est parti, puis revenu pour souvent repartir, mais la demande est également venue ces dernières semaines de la voix du président Faure Gnassingbé. Alors l’ancien attaquant d’Arsenal, du Real ou encore de Tottenham, a taffé dans son coin, a avalé des kilomètres et s’est affûté pour être prêt à répondre présent pour cogner avec le Maroc, la Côte d’Ivoire ou encore la RD Congo avec l’objectif affirmé de passer le premier tour de cette CAN malgré les récents épisodes bordéliques dont son transfert capoté à Lyon a été un pic.
Les souvenirs d’un homme
Cette CAN est aussi l’occasion pour Adebayor de boucler une histoire folle avec une sélection et un pays dont il a souvent critiqué le manque de professionnalisme lors des mandats de Stephen Keshi ou encore de Didier Six notamment. Sa première sélection, le bonhomme l’a connu lorsqu’il avait seize ans, en juillet 2000. Depuis, il y a eu la Coupe du monde 2006, le bordel de la CAN 2006 où il avait failli se friter avec Keshi en personne, ce titre de meilleur joueur africain de l’année 2008, puis le destin terrible du 8 janvier 2010 où le bus de la sélection avait été mitraillé à Cabinda entre politique et violence. Sur le coup, Adebayor avait décidé de se retirer de la sélection, hanté par la tragédie et écœuré par les errements de la CAF et de la FTF. Mais cette fois encore, il était revenu. Pour rendre ce qu’on lui a donné, ce que lui appelle tantôt « une main tendue » , tantôt « un cadeau de Dieu » . Mais aussi parce qu’il sait que sans le foot, il serait « probablement devenu un gangster.(…)La plupart de mes amis de jeunesse sont aujourd’hui de vraisbad boys. Ils zonent toute la journée à Lomé. Ils picolent trop, ils fument de l’herbe et commettent des crimes. » Malgré ses facéties, Adebayor a toujours eu conscience de la chance qu’il avait eu de devenir footballeur pro, et cette CAN doit lui permettre de boucler son destin personnel avant de probablement rentrer à Lomé, même s’il refuse l’idée de la retraite. Le prix du dernier challenge passe certainement aussi par le Gabon.
Par Maxime Brigand
Propos d'Adebayor tirés de France 24 et du Sun.