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La dernière danse d’Anatoliy
C'est le roi dans son pays. Le plus expérimenté, le plus chevelu, certainement aussi le plus fou, mais comme toutes les histoires, il fallait une fin à la vie sur un terrain d'Anatoliy Tymoshchuk. En sélection, après plus de 140 apparitions, ce sera ce soir contre la Pologne avec une Ukraine déjà éliminée de l'Euro. Alors profitons des derniers pas du rideau de fer des années 2000.
Le football n’a pas de cœur. Il vit pour retourner les sentiments, défaire les histoires et construire les destins. Plus que tout, il est éphémère. C’est un flirt, une relation de quelques années et il faut se préparer à ce qu’elle s’arrête. D’un côté, c’est le jeu de l’amour. On connaît les règles, et ce, même si on s’amuse à les combattre. Et un jour, sans prévenir, tout s’éteint. On ne peut rien y faire. On aimerait seulement, parfois, que la fin soit heureuse, mais elle ne l’est que rarement. On aimerait voir des sourires, éviter les larmes et se battre contre la mélancolie. Et pourtant. Pourtant, cet Euro 2016 sera bien le dernier d’Anatoliy Aleksandrovitch Tymoshchuk. Il n’est donc pas éternel’ et à 37 ans, c’est dans le silence qu’il quittera mardi soir la scène internationale à Marseille. Le tout au cœur d’une sélection ukrainienne déjà éliminée depuis une semaine et une deuxième défaite en deux matchs du championnat d’Europe. Plus que jamais, on aurait aimé une autre fin pour le roi Tymoshchuk. Mais l’histoire retiendra qu’il y a eu un avant et qu’il y aura un après Anatoliy.
Le 4×4
C’était comme ça. Anatoliy était l’inconnue d’une équation qui, une fois résolue, menait forcément à la victoire. Avant de le voir arriver en 1998, le Shakhtar Donetsk n’avait jamais remporté le moindre titre de champion d’Ukraine. Avec lui, il en remportera trois (2002, 2005, 2006). Avant Tymoshchuk, le Zénith Saint-Pétersbourg n’avait jamais marché sur la Russie du foot. Avec, il le fera une fois en 2007, puis en 2015, tout en soulevant également une Ligue Europa à Manchester en 2008 contre les Rangers (2-0). Dans le même temps, il fera grimper son pays, l’Ukraine, en Allemagne pour la première Coupe du monde de son histoire en 2006. La compétition s’achèvera sur un quart de finale contre l’Italie (0-3), mais Anatoliy Tymoshchuk est définitivement devenu un roi dans le cercle privé de son pays aux côtés d’Andriy Shevchenko, Sergiy Rebrov ou encore Andriy Voronin. Pourtant, on ne parle alors que très rarement de lui. Sous son numéro 4 – son chiffre fétiche – ou 44, Anatoliy Tymoshchuk est pourtant la clé de son équipe, le boulon qu’on ne bouge pas et, aujourd’hui, le mec que l’on emmène sur la fin de sa carrière pour accompagner une nouvelle génération en manque de repères.
En France, on le savait, l’ancien joueur du Bayern Munich ne serait pas un titulaire indiscutable. Il n’a même pas foulé la pelouse une seule minute. Mais il est essentiel pour assurer l’équilibre général. Mikhaïl Fomenko, le sélectionneur ukrainien – qui partira à la retraite ce soir -, l’a souvent répété lors de la préparation. Car Anatoliy Tymoshchuk, c’est avant tout un cerveau, un mec qui pèse 142 sélections (record national) et qui peut claquer du Shakespeare en interview. Quand il avait les jambes, c’était le prince de la faute tactique, un besogneux qui suinte la classe, mais aussi un sniper capable d’allumer à n’importe quelle distance. Tymoshchuk a tout gagné en Ukraine, en Russie, en Allemagne. Il parle six langues, cite Lothar Matthäus comme référence, l’Allemagne de 90 comme modèle et affirmait en 2007 vouloir « se battre volontiers contre Mike Tyson si on(l)’autorisait à le tacler » . Au fond, il n’a jamais changé : la crinière blonde, le bandeau fin, sa femme Nadiya qui gère ses intérêts depuis qu’il l’a rencontrée dans un bus de Loutsk (et qu’il l’a convaincue lors d’un jogging).
La vie dans l’espace
Oui, car Anatoliy Tymoshchuk est l’histoire, mais aussi des histoires. Il a baptisé ses propres jumeaux prématurés, a sa propre collection d’icônes et une gigantesque bibliothèque. Mais il est surtout simple, heureux sur un terrain et patriote. Son ancien sélectionneur, Oleg Blokhine, disait de lui ceci : « Tymoshchuk est un gars honnête, je partirais sans souci en mission d’espionnage avec lui. » Anatoliy, lui, préfère voir son avenir « dans l’espace, pour voir à quoi ressemblent les planètes vues de là-haut » . Au fond, il est déjà plus haut que Shevchenko dont il a pris la suite lors de la retraite de l’icône en juillet 2012. « Aussi longtemps que je serai Tymoshchuk, j’essayerai d’être sur un terrain de football pour prendre du plaisir et progresser. » Sauf que ce temps semble révolu, et ce, malgré un dernier trophée glané au Kazakhstan où il joue depuis juillet 2015 sous le maillot du FC Kairat. Contre la Pologne ce mardi, Anatoliy Tymoshchuk devrait donc fouler pour la dernière fois une pelouse avec le maillot des Jovto-Bakytni. Comme la dernière danse d’un éternel.
Par Maxime Brigand