- Tactique de légende – Real Madrid-FC Barcelone – Saison 2004/2005
La danse du Clásico
Zidane, Ronaldo, Eto'o, Raúl, Owen, Ronaldinho. Le soir du 10 avril 2005, le tableau d'affichage du Santiago Bernabéu ressemble à la liste finale des plus grands joueurs des années 2000. Ce soir-là, il y a aussi Raúl, Beckham, Roberto Carlos, Casillas, Iniesta, Puyol. Les Clásicos de cette époque, c'est avant tout une liste d'invités prestigieux, des chevaliers disputant les jeux romains. C'est aussi une confrontation de style entre deux façons de danser. Le jeu instinctif, brut, improvisé des Galactiques contre les consignes élaborées, répétées et hollandaises de Rijkaard. Enfin, c'est un contexte : le dernier Clásico de Figo, et le Real Madrid qui doit remonter face à une équipe qui a plus de football. Le cœur contre la tête. Et cette intensité démente qui n'a peut-être aucun égal dans le football européen.
L’espoir, l’adieu et l’offrande. À huit journées de la fin du championnat, le Real est à neuf points du Barça. Pour Madrid, ce match est le fol et seul espoir de sauver la saison. Aussi un adieu, car il s’agit là du dernier Clásico d’une époque : celle de Figo. Parti à l’Inter quelques semaines plus tard, le Portugais restera à jamais le symbole de ces années de rivalité classique. Et enfin, ce Clásico pourrait être perçu comme une offrande unique à l’humanité : un duel de 90 minutes entre deux espèces humaines, mais opposées en tout point. Ronaldinho et Gravesen. Un combat mettant le public dans un état permanent de surprise, devant l’équivalent de ce que provoquerait le spectacle d’une danse entre un lion, un ballon et un rhinocéros.
Quelle influence pour l’entraîneur des Galactiques ?
Cette première génération de Galactiques a été formée par des joueurs à la fois hors-normes sur le terrain et dans le vestiaire, par des capitaines, de futurs grands entraîneurs et peut-être bien des prochains présidents de Fédération. Quand les joueurs s’appellent Zidane, Ronaldo et Roberto Carlos, que peut-on leur enseigner ? Sous l’ère galactique, l’entraîneur est d’abord l’homme qui dirige les entraînements. Évidemment, le coach choisit les joueurs : c’est non négligeable, et l’on peut imaginer qu’avec du travail et du temps, des principes de jeu précis peuvent leur être inculqués. Seulement, en 2004-2005, Vanderlei Luxemburgo est déjà le troisième coach de la saison. Madrid n’a pas le temps. D’où un jeu basé sur les inspirations de ses génies. Un football de cour de récré, joué par l’élite du ballon.
Par ailleurs, le contexte des remontées du Bernabéu est enivrant et la tactique semble toujours secondaire. Le miracle n’arrive pas toujours, mais on y croit à chaque fois. C’est mécanique. La verticalité des deux Fondos, les chants des Ultras Sur, la voix de Placido Domingo chantant Hala Madrid… Sur le terrain, il y a toujours urgence, toujours une occasion dès les premiers instants. En 2009 sous Juande Ramos, le Real y avait cru après le but d’Higuaín (défaite 2-6). En 2012 contre le Bayern, CR7 avait marqué un doublé en quinze minutes (élimination aux tirs au but). Le coach, voire les joueurs, ne semblent rien pouvoir faire contre l’âme du maillot. Là, c’est l’histoire qui joue. C’est le style du Real révélé dans toute sa splendeur, le souvenir des glorieuses remontées européennes de l’ange Juanito. Cette passion impatiente pour la victoire, cet appétit sans limite, mêlant ambition présente et traditions passées.
Un jeu libre, instinctif, improvisé
Ainsi, les Blancs jouent vers l’avant, toujours, très vite, tout le temps. Le schéma annoncé est simpliste : Casillas, quatre défenseurs (Salgado, Pavon, Helguera, Roberto Carlos), Gravesen devant la défense en bouclier, et puis le cinq majeur Beckham, Zidane, Raúl, Ronaldo, Owen. Au départ, on croit à un 4-2-3-1 avec Beckham aux côtés de Gravesen. Mais le onze madrilène s’aligne rapidement sous la forme la plus offensive et risquée possible, avec Gravesen seul au milieu. Guti, ce joueur si irrégulier qui donnait pourtant tant de constance au jeu blanc, est suspendu. Zidane au large à gauche, Beckham au large à droite, et un trio qui permute devant. Un système, ou plutôt un placement, mais peu d’élaboration dans le jeu, pas de « prévision » . Un football imprévu, improvisé et pourtant limpide.
Beckham demande le ballon là où il l’aime, à droite, et envoie ses jolies courbes dans la surface. Raúl et Owen viennent naturellement au point de pénalty. Zidane prolonge ses actions jusqu’à la surface. Dès la 7e minute, celle de Juanito, Ronaldo provoque à droite, centre pour Zizou qui était au départ de l’action. Tête plongeante. Owen et Ronaldo viennent chercher le couloir droit de Giovanni parce que le Hollandais joue très haut. Ronaldo demande le ballon loin de la surface, joue, provoque, efface. Le Real met le feu, et joue étonnamment juste. Chacun a sa place, chacun avec son propre savoir-faire. Les contres sont menés à la vitesse de Roberto Carlos. Sur un nouveau un-contre-un, Ronaldo obtient un coup franc généreux. Le Brésilien reprend Beckham de la tête. Deux buts profitant de grossières erreurs de marquage barcelonais. L’enjeu n’est pas le même pour les deux équipes.
Le Barça de Rijkaard, à la frontière du tiki-taka
Le débat est éternel. Qui, de la Roja d’Aragones ou du Barça de Guardiola, a eu le plus d’influence sur l’épopée du football espagnol des années 2008-2012 ? Peut-on voir les premiers signes du « tiki-taka total » dès le Barça de Rijkaard ? Deco suspendu, le milieu est formé par Xavi à gauche, Iniesta à droite et Marquez derrière. Puyol revient comme d’habitude de blessure et joue aux côtés d’Oleguer. La défense est complétée par Belletti, Van Bronckhorst et Víctor Valdés. Devant, le trio Ronaldinho-Eto’o-Giuly complète le traditionnel 4-3-3. On voit déjà Xavi jouer dans le rôle du métronome, mais la formation blaugrana ne marque pas de pause. Un appel vers l’avant, une brèche, une passe. Trois années plus tard, le premier appel serait utilisé pour faire reculer la défense adverse et conquérir un peu plus le ballon.
Eto’o et Giuly réalisent déjà un pressing déchaîné. Tout comme Thiago Motta avait été élevé aux vidéos de Cocu à la Masia, on peut faire le pari que Pedro connaît par cœur les meilleurs moments de Giuly en blaugrana. Derrière, le rôle de Marquez diffère fortement de celui de Busquets ou même Yaya Touré. Si Xavi redescend toujours pour lancer la manœuvre, il ne s’appuie qu’occasionnellement sur le Mexicain, qui vient plus souvent s’intercaler entre les lignes et apporter le surnombre devant. D’où moins de jeu en retrait, moins de pauses et plus de pertes de balle. Ainsi, lorsque le Barça domine, on voit déjà l’élaboration d’un tiki-taka, notamment autour des mouvements et du jeu court d’Iniesta, Ronaldinho et Xavi. Mais la gestion des temps faibles est encore loin de celle des hommes de Guardiola. Il y a plus de tentatives vers l’avant, plus de ballons vers Eto’o, et moins de contrôle. Les latéraux n’ont pas le temps de s’installer en attaque.
L’absence de Guti, le bal de Gravesen et le pied droit de Ronaldinho
À 2-0, le Real fait rideau et place des contres intelligents. Eto’o s’invente un but à base de pressing et de pointu. 2-1. Ronaldinho fait danser Gravesen, qui refuse ses avances tandis qu’Iniesta pleure ses violences. Alors que l’odeur du match nul envahit le Bernabéu, le Real brille à nouveau par la limpidité de son jeu. Ronaldo, Beckham en une touche de balle, Zidane en un coup d’œil pour Roberto Carlos qui ne perd pas de temps avec Xavi. Raúl est forcément bien placé, comme il l’a toujours été et le sera toujours. 3-1. Après la pause, le Barça se retrouve pris au piège. Zidane et Beckham se resserrent et viennent épauler Gravesen, tandis qu’Owen et Ronaldo écartent le plus possible. Sur une percée axiale d’Iniesta, Madrid intercepte, Beckham lève la tête. But d’Owen. 4-1.
Si Gravesen fait du Makélélé en cette soirée folle, le Real orphelin de Guti se voit incapable de produire du jeu de façon préméditée, sans trop risquer, sans trop souffrir. Chaque touche de balle de Zizou est création, chaque passe de Beckham est intelligente, mais le football semble produit sur place. Alors que le Bernabéu est en train d’imaginer les scénarios ramenant la Liga au Real et que Gravesen tente des roulettes, Ronaldinho vient refroidir la capitale d’un coup franc à la trajectoire animale. 4-2. À la 82e, Figo entre pour Owen et obtient l’ovation qu’il mérite. Valdés réalise son premier arrêt à la 83e minute. Avec neuf arrêts à trois, Casillas l’emporte par KO. Raúl lâche son brassard à Roberto Carlos. Classe. Gravesen donne un ultime coup de corne dans la crinière de Ronnie. Et le Bernabéu est le témoin d’une dernière courbe de Beckham, comme un grand coup de pinceau pour finaliser ce superbe tableau classique.
Par Markus Kaufmann
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