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- Croatie-Angleterre (2-1 ap)
La Croatie à la folie
Vainqueur de l’Angleterre, ce mercredi soir à Moscou (2-1 après prolongation), la Croatie reviendra au stade Loujniki dimanche pour y défier la France en finale de la Coupe du monde. England is coming home.
Croatie 2-1 (ap) Angleterre
Buts : Perišić (68e), Mandžukić (109e) pour la Croatie // Trippier (5e) pour l’Angleterre
Ce n’est pas parce que la solitude du gardien de but a été l’objet de nombreux bouquins qu’il ne faut plus en parler. Celle de Jordan Pickford, à 21h05, heure de Moscou, a rappelé que la solitude n’était pas tout le temps synonyme d’isolement. Alors quand tous ses copains ont sauté sur Kieran Trippier qui venait d’ouvrir le score (0-1, 5e), le gardien de l’équipe d’Angleterre, accroupi à soixante mètres de Trippier au moment où ce dernier s’apprêtait à envoyer son coup franc sous la barre et hors de portée de Danijel Subašić, s’est retourné et a gesticulé ses poings dans tous les sens pour exciter un peu plus les supporters britanniques réunis derrière son but. Pickford était alors plus dans le plaisir solitaire qu’autre chose. À 23h22, il était en revanche uniquement dans la solitude triste, celle qui donne envie de mélanger de l’alcool et des médicaments. Le portier d’Everton, trahi par sa défense, venait d’aller chercher dans ses filets un ballon que Mario Mandžukić s’était chargé d’envoyer (2-1, 109e). Il restait onze minutes, mais les joueurs de Gareth Southgate savaient. Ils savaient que c’était foutu, que le discret Harry Kane n’allait pas les aider ce soir et que leur rêve de ramener à la maison une Coupe du monde qui échappe à l’Angleterre depuis 1966 s’était évanoui.
Champions du monde du suspense
Le Mondial qu’est en train de faire vivre cette équipe de Croatie à ses supporters est à la fois magnifique et pas super sympa pour les compatriotes qui souffrent de problèmes cardiaques. Ce mercredi à Moscou, une fois de plus, les hommes de Zlatko Dalić ont fait joujou avec les émotions de tout le monde. Après avoir eu besoin des tirs au but pour éliminer le Danemark en 8es de finale (1-1, 3-2 tab) et la Russie en quarts (2-2, 4-3 tab), ils ont disputé une troisième prolongation de suite, du jamais-vu dans une phase finale de Coupe du monde. Le plan croate a fonctionné à merveille : comme face au Danemark et à la Russie, la Croatie a été menée au score. Comme face à ses deux dernières victimes, elle a relevé la tête avec les ingrédients qui constituent son ADN et qu’on est en droit d’attendre à ce stade de la compétition : du courage, du mental et du talent.
La lumière est donc venue de Mario Mandžukić. L’attaquant de 32 ans avait marqué un seul but jusqu’ici, face au Danemark. Son deuxième est encore plus important et on ne l’attendait plus. Jusqu’ici, le joueur de la Juventus avait été recalé deux fois par les poings (83e) et les pieds (105e+3) de Pickford. Et puis la 109e minute est arrivée, et le vieux renard a senti que la défense anglaise, solide en première mi-temps et liquide par la suite, avait la tête ailleurs. Mandžukić est parti dans le dos de ses gardes du corps et a marqué du gauche (2-1).
Perišić, so chaud !
Son passeur décisif s’appelle Ivan Perišić, un homme qui aurait largement autant mérité d’hériter du trophée d’homme du match que Luka Modrić. Car avant que Mandžukić ne s’empare du costume de super héros de la rencontre, Perišić avait matérialisé la révolte des siens en égalisant d’une superbe reprise de karatéka (1-1, 68e). L’attaquant de l’Inter avait alors bondi devant Kyle Walker, jusqu’ici impérial et qui souffrait encore d’un sauvetage héroïque qui lui avait permis de sauver un ballon des attributs sur une frappe de… Perišić (65e). Oui, à ce moment-là du match, Perišić était le DJ de la soirée. Il faisait danser qui il voulait sur la musique qu’il voulait. Quand il a trouvé le poteau de Pickford sur une frappe croisée du gauche (72e), on n’a pas pu s’empêcher de penser à un effet papillon : si ce visionnaire de Francis Gillot ne l’avait pas jugé trop léger pour s’imposer à Sochaux en 2009, ce type aurait-il réussi à se fabriquer un mental suffisamment solide pour briller neuf ans plus tard en demi-finales de Coupe du monde ?
La Croatie a joué 90 minutes de plus que la France
Ivan Perišić le sait depuis l’époque où il rêvait en vain de devenir coéquipier de Romain Pitau et Michaël Isabey : il n’est qu’un homme. Depuis ce soir, il a le droit de croire qu’il est un surhomme. On est obligés de saluer le courage de ces types, mais aussi de faire un calcul très simple : la Croatie a joué 90 minutes de plus que la France dans ce Mondial. Ses joueurs dégagent toutefois une telle force mentale qu’on peut d’ores et déjà deviner que la finale de dimanche sera belle, même s’ils la jouent sur les rotules.
Il fallait écouter ces gars qui hurlent sur tous les toits depuis le début du Mondial qu’ils sont plus forts que la génération de 1998 qui s’était inclinée en demi-finales face aux Bleus. Mission accomplie : la Croatie disputera dimanche la première finale de Coupe du monde de son histoire avec l’envie d’enterrer un peu plus ses aînés en malmenant les fils de Thuram et Zidane.
Ce soir, Jordan Pickford dormira seul. L’Angleterre aussi.
Croatie (4-5-1) : Subašić – Vrsaljko, Lovren, Vida, Strinić (95e Pivarić) – Rakitić, Brozović, Rebić (101e Kramarić), Modrić, Perišić – Mandžukić (115e Ćorluka). Sélectionneur : Zlatko Dalić
Angleterre (3-5-2) : Pickford – Walker, Stones, Maguire – Trippier, Alli, Henderson (97e Dier), Lingard, Young (91e Rose) – Sterling (74e Rashford), Kane. Sélectionneur : Gareth Southgate
Par Matthieu Pécot, au stade Loujniki