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La coquille de Michel
Bien avant d’aller éclabousser de son talent les pelouses des championnats professionnels de France et d’Italie, Michel Platini a répété ses gammes dans son village natal, en Lorraine. À Jœuf, tout le monde se remémore avec joie les coups d’éclat du fils d’Aldo, qui ne manque jamais de prendre des nouvelles de ses anciens copains.
« Vous savez, ici à Jœuf, on ne pense que du bien de Michel. » Hervé Thiéry, l’actuel président du club de Jœuf, semble ravi. Il aime parler de l’impact de Michel Platini sur la petite commune de Meurthe-et-Moselle. Il aime surtout parler football, et seulement football. C’est donc tout logiquement qu’il oriente curieux et médias vers les amis de Michel Platini, ses anciens coéquipiers à l’entente sportive, ses oncles, ses copains. Tous savent se rendre disponible pour partager quelques précieux souvenirs. Tout simplement parce qu’à quelques kilomètres du nord de Jœuf, Platini n’est pas qu’un gamin devenu star. C’est un enfant du cru, le « petit » , le fils d’Aldo et d’Anna, le gamin du café. Il a certes un peu grandi, a quelques soucis aujourd’hui, mais il est à leurs yeux toujours le même. Et n’hésite jamais à passer un coup de fil à ceux qui l’ont aidé et soutenu pendant son ascension. Jœuf, c’est Michel. Michel, c’est Jœuf. C’est aussi simple que ça.
Monsieur et madame Jœuf ont un fils
L’histoire des Platini à Jœuf débute peu après la Première Guerre mondiale. Le grand-père de Michel quitte le Piémont pour venir s’installer en Lorraine, à Jœuf. Là-bas, le papa de Michel, Aldo, rencontre Anna. Elle est la fille du café des sports tenu par la famille Piccinelli. De cette union naît Michel, en 1955. Il ne le sait pas encore, mais ses gênes sont ceux de grands sportifs. « Sa maman venait d’une famille de sportifs, des basketteurs » , explique Michel Keff, ancien coéquipier et très bon ami de la famille Platini. « Aldo était un très grand joueur. Il aurait pu être professionnel. À l’époque, il avait eu des propositions du grand Reims ! » , renchérit Gérard Keff, frère de et membre de l’équipe de Jœuf de Michel Platini. C’est donc tout naturellement que le futur génie se rapproche des terrains de football, sans doute aiguillé par Aldo. Ses premiers pas sur les pelouse lorraines, son oncle Mario s’en souvient comme si c’était hier : « j’ai été son délégué d’équipe pendant trois ans quand il était minime et première année cadet. Je le voyais jouer tous les dimanches puisque je faisais la touche. Je l’ai suivi pendant ces trois années-là chaque semaine. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que ses débuts sont alors convaincants. « C’était le leader, il marquait but sur but. 5-0, 7-0 même jusqu’à 11-0 parfois. Lui, il en avait toujours cinq ou six à son compte » , explique le frère d’Anna Platini, Mario.
Bien évidemment, personne ne s’attend à ce moment à ce que le « petit » devienne une légende du football français. Mais les années passant, les frères Keff commence à déceler en lui un talent certain. En 1970, Aldo met un terme à sa carrière, à plus de 40 ans. Un an plus tard seulement, Michel, 16 ans, est surclassé et intègre l’équipe senior, sans même passer par la case junior. De quoi impressionner les anciens, forcément. « J’ai joué avec le père et le fils, moi, puisque je suis entre les deux générations. J’ai connu le père quand j’étais jeune. Puis quand j’avais 26/27 ans, j’ai vu arriver notre jeune Michel qui a joué avec moi en équipe première pendant un an et demi » , explique Gérard, avant que son frère Michel ne rajoute : « À l’âge de 16 ans, il jouait avec des gens de 30 ans, marquait beaucoup de buts. On n’avait pas encore des mannequins pour l’entraînement à Jœuf, mais il savait en marquer, des coups francs. Quand on jouait ensemble, il évoluait devant en tant qu’avant-centre. Mais il était très libre. Le numéro 10, c’était moi ! » Ses points forts sont les mêmes que ceux qui lui ont valu le statut de joueur extraordinaire. « Il était vraiment très malin. Très grand, très fin, très élancé et d’une adresse diabolique. La première année en senior, il avait dû marquer 25 ou 30 buts » , se souvient Michel Keff, ébahi.
On ne fait pas de carrière sans s’casser de Jœuf
Entraînement après entraînement, match après match, le « petit » impressionne. Bien souvent, il quitte son costume de simple joueur pour enfiler celui de sauveur inespéré. Quand on leur demande individuellement de raconter leur plus beau match avec Michel, les frères Keff répondent mot pour mot la même chose : « Moi, il y a toujours un match qui me revient à l’esprit quand on parle de Michel. On jouait dans un club voisin d’une quarantaine de kilomètres. À l’époque, on était redescendu de DH à PH. On était vraiment dominés, notre surface de réparation ressemblait à une bataille de tranchées. Mais on avait gagné 4 à 1 grâce à Michel. Il avait inscrit trois buts. Il nous en sortait, des épines du pied ! » Après chaque rencontre, l’équipe a ses petites habitudes. D’ordinaire, tout le monde se retrouve au Café des sports, chez les Platini, pour boire un coup et parler des matchs à venir. Mais un jour, Aldo Platini décide qu’il en sera autrement. « À un moment, Aldo avait même rendu obligatoire un débriefing à chaud au café après chaque match. Il était déjà un peu innovateur dans ce genre-là » , explique Gérard Keff.
Dans un premier temps, Michel Platini n’est pas sélectionné dans l’équipe de Lorraine. Son statut de jeune joueur et son très jeune âge l’en empêchent. Jusqu’à un jour décisif dont les frères Keff se souviennent comme si c’était hier. « Une année lors du tournoi des trois frontières, la sélection lorraine s’était retrouvée bien embêtée de ne pas pouvoir avoir les joueurs professionnels de Metz et Nancy. Ils avaient donc pris des amateurs comme Michel. Et sur les deux matchs, il marque sept buts ! C’est là qu’il est sorti du lot au niveau régional » , raconte Michel Keff. Dès lors, tout le monde sait que l’avenir de Michel ne s’écrira pas à Jœuf. Une partie de la famille Platini le suit dans son aventure nancéienne : « Quand Michel est parti à Nancy, Aldo l’a suivi. C’est lui qui a monté le centre de formation à Nancy. On l’a revu ensuite. Naturellement, il est fier du parcours de son fiston » , poursuit Michel Keff. La suite de l’histoire tout le monde la connaît. À Jœuf, tout le monde la connaît même dans ses moindres détails.
Malgré sa carrière, malgré ses succès et malgré ses déboires, Michel Platini n’a visiblement jamais oublié son petit village natal et ses amis. Pour fêter le centenaire de l’entente sportive de Jœuf, il n’avait par exemple pas hésité à sortir les grands moyens. « Il a des oncles encore à Jœuf, des frères de sa mère. Il ne revient pas tout le temps, mais il n’oublie pas d’où il vient. À chaque fois qu’on lui a demandé de l’aide parce qu’on voulait organiser quelque chose, il est venu. Il est venu avec ses copains de l’équipe de France plusieurs fois à Jœuf. Avec mon frère, on avait organisé le centenaire du club. À cette époque, il était président et moi vice-président. On était allé voir Michel en Suisse pour lui demander de l’aide. Et il nous avait offert sur un plateau un Juventus-Nancy à Jœuf. C’était exceptionnel. Sur une commune de 7 000 habitants à peine, on a mis 12 000 personnes en haut sur le terrain. On a aménagé le terrain, commission de sécurité, tout ce qui va bien. C’était phénoménal » , détaille Gérard Keff. Aujourd’hui, la famille Platini n’habite plus à Jœuf. Anna, la maman de Michel, est décédée l’année passée, laissant Aldo, son papa, seul. Enfin seul, pas tout à fait : les frères Keff sont encore là. « Après le décès de la maman de Michel, l’année dernière, Aldo a été placé en maison pas loin de chez nous. On est allé le voir avec mon frère. On continue d’avoir des liens d’amitié assez fort avec les Platini. »
Par Gabriel Cnudde
Tous propos recueillis par Gabriel Cnudde